« Le destin de Michel Foucault est paradoxal. Il est le philosophe français le plus cité dans le monde, mais reste largement méconnu » (p. 8) Aussi, ce numéro anniversaire (voilà tout juste trente ans qu’il est décédé) permettra à tous de faire le point sur son œuvre prolifique et sa vie turbulente ainsi que sur ses héritages.
Des articles très accessibles côtoient dans ce volume d’autres qui le sont moins. Les historiens que nous sommes apprécieront la présentation biographique qu’a réalisée Héloïse Lhérété mais aussi les textes consacrés aux travaux les plus historiques de Michel Foucault : Histoire de la folie à l’âge classique, Surveiller et punir. Naissance de la prison. Cet « intellectuel spécifique » (formule désignant à la fois l’espace qui nourrit sa réflexion et la manière dont l’intellectuel contribue au débat public), ne voulait pas incarner la figure du maître autoritaire mais rejetait l’atmosphère égalitaire (profs-étudiants) de l’après 1968. C’est ainsi que, professeur au Collège de France, il tente contourner le libre accès à l’Institution en imposant à son auditoire la réalisation de travaux de recherche afin d’être admis à son séminaire (avant d’être rappelé à l’ordre).
La chronologie synthétique (pp. 24-25) rend compte de l’œuvre prolifique, dont les textes essentiels sont présentés ici par l’un des spécialistes de Foucault, Jean-Claude Monod. La liste des publications ne cesse de s’allonger car, même si le testament de Foucault indiquait « pas de publication posthume », la parution, encore ce mois-ci, d’un de ses cours Subjectivité et vérité. Seuil, 2014 montre à quel point les héritiers peuvent jouer sur les mots ! Levé dès l’aube, travaillant huit heures par jour à la BNF, les archives du maître, achetées par la BNF, rendent compte de l’ampleur de l’œuvre de celui qui disait à ses étudiants : « Si vous travaillez tous les jours à la même heure, vous finirez par produire ! ».
Les héritiers de Foucault sont innombrables. Le colloque international de juin 2014 Foucault(s) en témoigne et se propose de réfléchir au destin de la pensée foucauldienne en 2014, tout en évitant de dresser un monument funéraire en son nom. La « Foucaultmania », qui a investi les campus universitaires à partir des années 1970, règne encore sur les questions de genre, d’identité et de post-colonialisme. C’est tout le paradoxe de ce philosophe français, qui ayant beaucoup séjourné aux Etats-Unis, a deux visages : « un Foucault français féru de surréalisme, obsédé par la mort, la folie et la transgression, fasciné par Sade, Georges Bataille, Maurice Blanchot ; et un Foucault anglo-saxon – surtout américain – qui nous offre une boîte à outils pour nous affranchir des pouvoirs disciplinaires et normalisateurs. » (p. 54)
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes