Dans ce livre court et concis, Pierre Domeyne permet de faire revivre l’époque riche en débats théologiques et eucharistiques qui suivent la réforme de 1517 à travers la vie de Michel Servet, qualifié par Michel Delumeau comme un marginal millénariste. Le destin de Servet peut être considéré comme tragique, au sens grec du terme. Né en Espagne, ayant passé presque toute sa vie en France du sud, entre Toulouse, Montpelllier et Vienne, ce théologien atypique, subtil et aussi , en un sens, spectaculairement borné, finit sa vie en 1553 dans la Genève puritaine de Jean Calvin et de Guillaume Farel, brûlé vif, son livre à la ceinture. Dans cet ouvrage, La Restitution du Christianisme, tiré à bien peu d’exemplaires en 1552, Servet critiquait ouvertement l’institution orthodoxe de la Trinité établie à Nicée en 325, s’attirant les foudres conjointes de l’Eglise catholique et protestante, en la personne, pour cette dernière, de Jean Calvin.
Pierre Domeyne a déjà écrit sur le western. La force de ce livre, qui permet de le lire presque comme un roman, est que le lecteur connaît déjà l’issue fatale, dès les premières lignes, qui attend Servet. La confrontation théologique finale avec Jean Calvin à Genève, attendue et provoquée par Michel Servet, sert de fil rouge et prend, toute comparaison gardée, des airs de règlement de comptes à OK Corral.
Confrontation d’autant plus dramatique que Pierre Domeyne arrive à bien mettre en lumière l’exigence intellectuelle du débat qui oppose Servet à Calvin et qui contraste avec l’horreur physique de la mise à mort de Servet, sur le bûcher.
Règlement de compte…
Le livre Pierre Domeyne fait d’abord le portrait d’un homme individualiste, caractériel, obstiné, incapable de résister aux sirènes de la provocation, conscient de sa propre perte. Un homme inscrit dans le XVIème siècle humaniste, instruit, vif, intelligent, passionné. Il annote la nouvelle édition de l’Atlas de Ptolémée, aide Vésale lors de ses cours, redéfinit la circulation du sang dans le corps humain…Correcteur d’imprimerie par métier, il est médecin par vocation, notamment à Vienne où il soigne pour presque rien. C’est aussi un fugitif perpétuel, obligé de se dissimuler sous le nom de Michel de Villeneuve depuis des écrits de jeunesse qui ont provoqué la colère de l’Inquisition catholique. Domeyne ne cesse d’alterner les passages ou Servet est porté par ses réflexions sur l’unicité de Dieu, sur son exigence d’une église débarrassée de toute corruption, et ceux où la difficulté de sa vie le font souffrir : son impuissance sexuelle, sa santé fragile, son quotidien précaire, sa déchéance physique en prison et sur le bûcher. Les buts de Michel Servet restent obscurs. Il ne semblait pas vouloir être suivi par une foule de disciples. Il semble que seul le débat l’intéressât, en particulier celui qui l’oppose à Calvin. Ce dernier apparaît comme particulièrement acharné à la perte de Servet, qu’il considère comme un gêneur impudent.
… À Genève Corral
Pierre Domeyne fait aussi le portrait d’une époque, le milieu du XVIème siècle, où s’oppose le foisonnement de l’intelligence humaniste et la méfiance envers les changements qu’elle apporte. Domeyne écrit qu’à Lyon, il suffisait de faire preuve d’un peu de culture pour être considéré comme hérétique, et donc risquer la mort. Il donne aussi toute son importance aux imprimeurs indépendants, tels Arnoullet et Géroult de Vienne qui permettront la sortie de La Restitution du Christianisme.
C’est un livre plaisant à lire mais aussi une excellente introduction, en dehors des figures connues, sur ce XVIème siècle marqué par la juxtaposition de la culture exigeante et de la barbarie des partisans de l’ordre, qu’il soit catholique ou protestant. Michel Servet, franc-tireur humaniste, mérite d’être découvert ou redécouvert.
Mathieu Souyris