Cet ouvrage s’adresse aux 6-9 ans. Il s’agit donc, dans l’esprit de cette rubrique de savoir s’il trouve aisément sa place dans une bibliothèque d’école et dans quel mesure il peut pertinemment initier un lecteur de cette tranche d’âge à la géographie.
Titre original : First Geography Encyclopedia, Londres, Dorling Kindersley, 2011.

Un double-problème de traduction

Avant même de relever de réels points forts, il paraît nécessaire d’aborder la question de la traduction. S’il est d’usage dans une chronique en histoire ou en géographie de préciser le titre original des ouvrages, la pratique est malheureusement peu fréquente dans le cas des publications-jeunesse. Or, tous ceux qui ont l’habitude de jeter un coup d’œil sur les références de ces ouvrages constatent qu’ils sont, comme Shrek ou Kung Fu Panda, au cœur de la mondialisation. Une très grande proportion d’entre-eux est en effet le produit d’une traduction de l’anglais, de plus en plus souvent imprimée en Chine. Il est donc nécessaire de préciser que le présent ouvrage n’est pas une édition originale mais une adaptation française d’un concept anglo-saxon, conçu au Royaume-Uni pour un marché mondial anglophone…et imprimé en Chine.

Cette traduction se heurte à un autre problème inhérent à l’histoire et à la géographie. En usant d’un vocabulaire apparemment à la portée de tous, ces deux sciences humaines donnent toujours l’impression d’une certaine facilité d’écriture… ou de traduction. Il en résulte pour les traducteurs une difficulté à comprendre qu’un mot n’en vaut pas un autre sous le prétexte que le dictionnaire l’affirme.

Ainsi, dans le cas présent, on se heurte à toute une série d’erreurs ou de maladresses dues à cette impression de facilité d’écriture chez des gens qui d’ordinaire font plus d’effort lorsqu’il s’agit de traduire de l’économie ou de la médecine. Comme toujours, le premier test pour déceler la qualité de traduction d’un ouvrage géographique ou historique est le relevé d’usage du mot « industrie » qui en anglais moderne, tout comme en français du XVIIIe siècle désigne toute activité de production. On relève ainsi l’usage inapproprié de ce terme pour évoquer des hôtels, commerces, restaurants, campings et autres so-called « industries côtières » (p. 75) ou une « industrie du tourisme » (p. 98), vocabulaire admis par les chambres de commerce mais peu apprécié des historiens et géographes. Illustré par une photo de moissonneuse-batteuse dans un openfield, le chapitre sur l’économie mondiale (« World Industry ») est très mal traduit « industrie mondiale » (p. 90). Le chapitre consacré aux littoraux use du terme « littoraux » dans le corps du texte mais son titre « Living on a coast » (le terme anglais pour littoraux est coastline), devient « Vivre sur la côte » (p. 74-75). On évoque la « modification des lieux » plutôt que l’aménagement de l’espace ou sa transformation (p. 82). Le chapitre consacré à l’aménagement de la ville (Town planning, p. 76) devient « L’urbanisme », notion plus restreinteR. Brunet, R. Ferras, H. Théry, Les mots de la géographie, Reclus-Documentation française, 1992, p. 498. Terme absent de P. Baud, S. Bourget, C. Bras, Dictionnaire de géographie, Hatier, 2008.. Autrefois vierge ou équatoriale, la forêt dense ou équatoriale de nos manuels de 6e (rainforest) devient ici « forêt pluviale » (p. 56). Le terme est, il est vrai, de plus en plus usité, sans doute justement par transmission de l’usage anglo-saxonCf. P Baud et alii, op. cit., p. 563.
Il ne s’agit pas ici de lyncher la traduction, qui n’est pas plus incompétente qu’une autre, mais de faire comprendre qu’un ouvrage de géographie ou d’histoire doit être relu par un géographe ou un historien parce qu’en dépit d’une représentation courante, nos disciplines usent d’un vocabulaire spécifique qui ne saurait être traduit avec l’approximation du langage courant. Heureusement, tout n’est pas catastrophique puisque les « penguins » du pôle sud ont bien été traduits « manchots » et non « pingouins ». Happy Feet a du bon.

Un vrai ouvrage de géographes adapté aux 6-9 ans

Malgré ces petites critiques peu agréables mais qui devaient être exprimées, l’ouvrage est en général attrayant et agréable, comme le confirmeront les deux individus qui me l’ont chipé discrètement pour le lire en cachette après l’extinction des feux. Sa facture lui confère certes un côté désuet avec un plan faisant se succéder « géographie humaine » et « géographie physique » avant de clôturer sur une troisième partie réservée aux cartes. Après que l’ouvrage ait ouvert sur une introduction où l’on croise Ératosthène et de Humboldt, une longue partie physique décline dans un récit accessible une géomorphologie qu’on distinguera mal de la géologie et qui renvoie davantage aux SVT qu’à la géographie telle qu’on la pratique aujourd’hui en France. La climatologie et l’étude de la biosphère tiennent dans ces pages une grande place en vertu d’une tradition très anglaise.

On constate ainsi que certains thèmes comme les zones humides peuvent être abordés simplement avec des enfants même si l’utilité de ces espaces (et partant la nécessité de leur protection par les textes internationaux) ne leur est présentée que de façon marginale dans un petit encadré ajouté au texte. D’autres domaines-clefs de la géographie thématique sont abordés qui permettent entre autres de préparer l’écolier aux notions du nouveau programme de 6e (habiter la ville, le monde rural, les littoraux, les espaces à forte contrainte) voire de 5e (Des hommes et des ressources dont le thème est repris en seconde). Les littoraux sont présentés via la question des types d’aménagement (touristiques, portuaires…), la fonction d’interface terre-mer (« Le littoral est l’endroit où la terre rencontre la mer », p. 74) ou l’impact de l’action anthropique avec l’exemple photo du complexe the Palm de Dubaï. Ce type de géographie était rarement abordé naguère par les ouvrages destinés aux élèves du primaire. Il en est de même du thème du tourisme (p. 98), dont on aurait pu aller jusqu’à présenter quelques exemples de flux puisqu’on montre un avion en avançant un effectif d’un demi-million de personnes, lequel correspond d’ailleurs au nombre annuel de passagers des transports aériens. Le désir de rivage et la recherche d’espaces-prétextes sont présentés simplement et clairement comme l’envie « de quelque chose de différent, … de vacances différentes ».
La distinction rural-urbain est abordée (p. 72-73) de façon dynamique et plus satisfaisante que dans un certain discours des livres-jeunesse qui en sont restés à la ferme barjavelo-berlienne des Playmob’ ou de Sylvain et Sylvette. Ici, on aborde l’urbanisation du monde et des zones « suburbaines » (à défaut de péri-urbaines). La navette quotidienne (« daily commute » devient « migration quotidienne » à défaut de migration pendulaire ou de navette. Le distinguo entre rural et agricole n’est pas oublié et fait l’objet d’un encadré.
Autre bonne idée qui rappellera les anciens programmes de seconde (2000) et de 6e (1996), la présentation de la notion d’État. La page consacrée aux échanges propose de façon adaptée une introduction au concept de mondialisation et au commerce équitable. La gestion des déchets intègre le problème des continents de plastique et la durabilité de l’enfouissement sous terre.
Chaque double-page fait l’objet d’une brève évaluation via une question dont la réponse figure à l’envers, en bas de page, avantage permettant une lecture active avec un adulte ou en autonomie. On passera sur l’aspect purement ethnographique du chapitre consacré aux fêtes dans le monde (p. 100-101). C’est le côté culturalo-essentialiste de la géographie anglo-saxonne.

Du ballon de foot à Mercator

Les pages 102 à 117 sont consacrées à la cartographie sous différents angles : la nature de la carte, sa lecture avec boussole, dénivelés, quadrillage et légende, la question des coordonnées la réalisation du planisphère, comparée à l’emballage d’un ballon de football ou la création cartographique.
La démonstration utilise efficacement les jeux d’échelles, les cartes anciennes comme celle d’Ératosthène, souvent présentée dans les parties histoire des manuels de 6e. On peut froncer un peu le sourcil devant l’explication des coordonnées qui évoque bizarrement une « grande échelle » alors qu’ils s’agit d’une petiteLa plupart des géographes anglo-saxons considèrent pourtant qu’un planisphère relève de la petite échelle, même si des Australiens disent le contraire.. Le ballon de football (référentiel bondissant de mon année de formatage dans le nid de coucou) introduit les projections de Mercator et Gall-Peters. Comme dans un Chaliand & Rageau pour les écoliers, on casse intelligemment les représentations eurocentriques avec une une carte sino-centrée et le planisphère australien de MacArthur plaçant le Sud en haut. On intéresse ensuite l’enfant à la création des cartes et aux différentes cartes de la vie courante … en terminant par les itinéraires sur portable (sans GPS).
Ces pages sont complétées par un planisphère (sans l’outre-mer français), une double-page de beaux paysages, une juxtaposition de photo-satellites nocturnes reconstituant la terre (avec l’outre-mer français). La notion récente de Southern Ocean/Océan austral a été préférée à Antarctique. Les chapitres sont complétés par un glossaire auquel s’ajoute un index d’une double-page. Marqué par l’importance de la géographie physique, le glossaire retient inévitablement une définition fausse de l’industrie, présentée ici comme la « production de biens destinés à être vendus et utilisés » alors qu’il s’agit en français des biens résultant de la transformation d’une matière première en vertu d’une activité ne pouvant relever que du secteur secondaire.

Cette encyclopédie de géographie est donc à la base un bon ouvrage, adapté aux 6-9 ans et dont il est évident qu’il a été conçu par des géographes, ce qui lui confère une certaine efficacité pédagogique. Si cette version française est parfois erronée du fait de sa traduction, l’ouvrage reste malgré tout attrayant. A charge pour les enseignants en classe et les enseignants-documentalistes d’éclairer les lecteurs sur les imperfections.

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