Mon Voisin Raymond est un ouvrage auto-biographique. Mais, comme toujours, il ne faut pas s’attacher à départir la fiction de la réalité ; à vrai dire, cela importe bien peu, tant on a plaisir à suivre le déroulement des scènes de la vie rurale que Troubs nous propose. Il habite en Dordogne, et n’est séparé de son voisin octogénaire que de quelques centaines de mètres et par un bosquet.

On pense à d’autres albums, comme Retour à la terre, de Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet, ou Moi, BouzarD, de Guillaume Bouzard. Mais Mon Voisin Raymond a une autre tonalité. Le rythme est très calme, enchaînant les mois. Il est imposé par celui des travaux, lui-même soumis à celui des saisons ; l’observation du ciel, du comportement des animaux est essentielle, comme si l’évolution de la météorologie était indispensable à leur vie. Et elle l’est. Chaque saison qui passe en amène une autre, entraînant chaque année les unes après les autres. Et chacun est conscient de l’aboutissement final.

Troubs restitue ensuite un rythme de conversation assez particulier, des éléments de phrase étant répétés à plusieurs reprises, comme pour bien convaincre son interlocuteur et soi-même de leur importance, au-delà d’une banalité supposée. Ces phrases sont très brèves, et attendent des réponses brèves : le temps n’a pas à être gaspillé en faux-semblants. Les restituant, Troubs montre dans quel respect il tient la population dans laquelle il évolue.

Car on le sent parfaitement intégré dans un environnement où on n’imaginerait pas un dessinateur de bandes dessinées. Et pourquoi pas…

L’album apporte un regard sensible sur un monde largement ignoré des médias, en marge à l’intérieur d’un espace rural qui n’intéresse guère que la presse régionale. Il révèle le dénuement de ceux qui l’habitent, surtout quand ils sont vieux. Il montre leur résignation à vivre ainsi, comme ils l’ont toujours fait, et leurs parents avant eux, avec un « eh oui, c’est comme ça » qui revient sans cesse, mais qui prend alors tout son sens. Face à cet état de fait, la solidarité est la réponse qu’ils opposent. Et Jean-Marc Troubs en est partie prenante, sollicité par les uns et les autres, pour tronçonner, enlever un nid d’abeilles, etc. En contrepartie, il y a le cérémonial du café (réchauffé). Surtout, il accède à toute une culture qui lui permet de décoder des choses qui pourraient paraître insignifiantes à un citadin : comment s’organise un rond de champignons, observer un vol de grues qui annoncent la pluie, comment le renard s’y prend pour attraper des tourterelles, etc.

Mon Voisin Raymond est un album tout en nuances qu’il faut prendre le temps de lire et de relire, comme quelque chose d’intime, de précieux. Il aurait pu s’appeler La Vie d’un simple, si Émile Guillaumin n’était pas passé avant.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes