Voici une équation à trois données : l’enseignant, l’histoire savante et l’histoire dite profane. Les auteurs ambitionnent donc d’explorer « les usages scolaires des biens, loisirs et services culturels d’histoire ». Le livre est structuré autour d’une première section théorique puis chacune des quatre à suivre s’organise autour d’une introduction, d’approfondissements, d’une bibliographie et d’études de cas. Pour chaque chapitre il y a un encadré préliminaire qui est un résumé et qui comprend des mots-clés, ce qui peut être très pratique. Les auteurs s’appuient sur des exemples liés au Québec. A la fin de chaque chapitre, on trouve des questions d’approfondissement, manière originale de prolonger la réflexion.
Histoire et fiction : un regard global
Une première contribution revient sur les liens entre histoire et philosophie en articulant cela à l’idée de mémoire. Il ne peut y avoir de « présentation de l’histoire sans une certaine mise en récit ». L’histoire fait l’objet d’enjeux idéologiques forts comme le montrent plusieurs exemples liés à la Seconde Guerre mondiale. Valérie Theis et Étienne Anheim soulignent que « les usages profanes de l’histoire ne sont pas condamnés à être concurrents de l’histoire science sociale ». David Lefrançois et Marc-André Éthier rendent compte d’entrevues avec des créateurs habitant le Québec et utilisant le passé comme matériau sur ces productions et leur réception.
Histoire et arts de la scène : télévision, cinéma, théâtre
Marjolaine Boutet commence en articulant les liens entre l’histoire et chacun des arts. Le cinéma est encore trop souvent utilisé de façon illustrative par les enseignants. Que ce soit pour les films ou pour la télévision, il y a une étape indispensable, à savoir la contextualisation. L’histoire à la télévision nous en dit souvent plus sur le regard que « pose une société sur son histoire que sur l’histoire elle-même ». Le média télévisuel présente trois caractéristiques : un rapport nostalgique plutôt que réflexif au passé. C’est aussi une forme complexe de mise en récit et la télévision est un média de masse. Une approche plus détaillée de la série « Rome » est proposée. Le suivant s’interroge sur la façon d’ « intégrer les médias à l’enseignement des disciplines de l’univers social ». Pour la pratique en classe, on peut retenir quatre étapes : prévisionnement, préparation au visionnement, visionnement et intégration. Des exemples précis sont traités comme « Alexandre » d’Oliver Stone. Vincent Boutonnet traite de l’intégration du film historique ou du théâtre en classe et il met l’accent sur l’importance d’avoir une approche critique de ces documents.
Histoire et jeux vidéos : construction, stratégie et aventure
Les jeux vidéos proposent depuis quelques années des modes « découverte » des époques auxquelles ils se déroulent. Le chapitre suivant présente une analyse de trois genres de jeux : la construction d’une nation à l’aide de « Civilization », la construction de l’espace urbain par des jeux du type « SimCity » et la construction collaborative avec « Minecraft ». Ce dernier jeu est d’ailleurs développé sous forme d’un encadré autour de l’idée qu’il pourrait permettre d’apprendre l’histoire et la géographie. Il faut avoir en tête que cette ressource n’est pas parfaite et plusieurs élèves ont eu du mal à percevoir la dimension de travail d’une telle activité. Alexandre Joly-Lavoie détaille les usages possibles de « Crusader Kings II ». Frédéric Yelle se penche quant à lui sur « Assassin’s Creed Unity » et notamment sur le fait de savoir si le jeu dit la vérité sur la Révolution française.
Enseignement de l’histoire, fiction et narration : entre le récit d’histoire et l’enquête historienne
Différentes manières de faire contribuer la fiction à l’enseignement de l’histoire au secondaire sont ensuite proposées. Il peut s’agir de romans, de chansons, de poésie ou de romans graphiques. Comme dans le reste de l’ouvrage, des exemples ponctuent la réflexion comme une étude autour d’un roman de Jean-Pierre Charland ou encore le roman jeunesse pour l’étude du XIXème siècle canadien. Le roman graphique est abordé à propos de ce qu’il montre de la guerre d’Espagne. Chantal Rivard et Sylvain Larose détaillent une activité qui a pour but d’aider les élèves à voir le lien « entre la situation socio-économique, les idées et les actions politiques de différents acteurs de la guerre civile en Espagne à partir de l’usage d’un roman graphique et de sources ». Charles-Antoine Bachand réfléchit à l’utilisation de la chanson « au service de l’enseignement de l’histoire ». On lira un cas détaillé sur l’évolution du nationalisme québécois à travers plusieurs chansons.
Histoire et culture publique : artéfact, lieu, musée, reconstitution
Chacun de ces aspects est abordé dans un chapitre. Alexandre Lanoix se focalise sur les reconstitutions historiques et s’intéresse à leur « fonctionnement et au rapport au passé qu’elles sous-tendent ». Il explore ensuite quelques pistes d’exploitation pédagogiques des reconstitutions à travers différents récits de pratique. Cette façon de faire a pour but notamment de rapprocher les individus des évènements historiques. Chantal Rivard et Sylvain Larose s’arrêtent sur le déboulonnage des statues autour de deux cas. Le chapitre suivant se penche sur le patrimoine bâti et la culture immatérielle. Julia Poyet et Stéphanie Demers détaillent des ateliers où les élèves étudient « l’histoire du Québec et du Canada en partant à la découverte de leur quartier, de son histoire et de son patrimoine bâti ».
Cet ouvrage, fruit de multiples contributions, pose donc des questions fondamentales sur l’enseignement de l’histoire et sur ses moyens. Il est appuyé d’exemples canadiens, mais cela n’entrave pas pour le lecteur français sa lecture. Au contraire, cela peut permettre de découvrir d’autres ressources et en même temps de constater que des questions essentielles se posent dans les mêmes termes.
Jean-Pierre Costille