Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les mousquetaires quand vous lisiez Alexandre Dumas ! Voilà le contenu de ce catalogue de l’exposition qui se tient au Musée de l’armée du 2 avril au 14 juillet 2014.

L’histoire comme romans ?

Cette exposition est née du travail des conservateurs avec celui des meilleurs historiens de l’armée et de la guerre. Ces figures mythiques que sont les mousquetaires, ne sont pas bien connus car il n’existe que très peu de représentation de première main.

Le paradoxe est que l’on croit bien les connaître grâce à la littérature. Tout le paradoxe de l’exposition repose sur la nécessité de discerner le vrai de la fiction, au risque de moins plaire… Et dire que tout commence parce qu’Alexandre Dumas, insurgé de circonstance, aurait pillé au moment des Trois glorieuses, dans l’assaut du Musée de l’artillerie, installé dans le cloître de Saint Thomas d’Aquin, pas moins que l’épée de François 1er ou l’arquebuse de Charles IX selon son imagination, ou plutôt quelques vieilles pétoires selon le récit prosaïque du directeur du Musée! Déjà, sa fantaisie et son écriture faisaient oeuvre pour émerveiller les lecteurs et faire naître la fascination, la légende, le mythe des mousquetaires. Jean-Pierre Bois et Antoine Leduc racontent cette histoire rocambolesque qui fit de Dumas un historien militaire ou comment l’histoire fit naître la fiction. Ils montrent comment un écrivain plein de verve devient un formidable propagateur d’histoire militaire, suivant le courant qui se développe après 1830, avec Guizot et Michelet, enseignant depuis les chaires de l’université, des tableaux chronologiques de l’histoire de France renaissante alors que la France est un nain militaire mis en tutelle après 1843 par la perfide Albion.

De strate en strate, retrouver le vrai portrait de d’Artagnan

Quittant l’œuvre picturale, littéraire, médiatisée en feuilleton depuis 1844, l’ouvrage aborde la réalité historique avec le corps des vrais mousquetaires, leur belle et dangereuse épée et … leurs chevaux. Or d’eux, il reste peu de choses, à part les bottes de Gene Kelly de 1948 ou la casaque bleue, costume de l’opéra de 1891 (page 52) !

Comment retrouver le détachement de cinquante carabins de la compagnie des chevau-légers devenue unité indépendante à la demande de Louis XIII en 1622 ? Comment voir le visage de ce bretteur élégant vu de dos, cette figure académique du dessin du XVIIe siècle?

Cette unité d’élite entre dans les forces de la Maison du roi, chargée d’incarner les idéaux d’une noblesse puisant dans la vertu guerrière la justification de sa prééminence sociale (page 61). De moyenne voire petite noblesse, ces enfants perdus des premières vagues d’assaut de la guerre de siège font preuve d’une témérité et d’un courage extrême. Leurs assauts flamboyants firent leur légende et contribuèrent à construire un nouveau type de combat, où il fallait ménager le sang des combattants, fixer les combats dans des lieux décisifs dans « un système d’une économie globale de la violence » (Hervé Drevillon – page 62). L’armée d’Ancien régime s’est réformée avec la guerre de siège et devient comptable du prix de la vie du soldat.

Pour les seconder, Louis XIV crée en 1676, une compagnie de grenadiers à cheval, troupe de choc composée de professionnels de la violence qui permit aux mousquetaires d’être un peu épargnés. Par conséquent, après un ou deux ans passés dans leurs rangs, les jeunes aristocrates survivants pouvaient prétendre à une carrière d’officiers fulgurante et brillante qui les mènent à la cour. Voyez Saint-Simon! Jusqu’en 1775, les mousquetaires combattent en chargeant comme troupe de la Maison du roi, deviennent troupe supplétive et auréolée de gloire à coté du roi, avant d’être victimes des réductions budgétaires.

Le rouge et le bleu

L’élégance du mousquetaire est rendue visible par la gravure, les armes présentées et quelques pièces de vêtements : casaque à la croix blanche ornées de cinq flammes jaunes, chapeaux à plume, soubreveste, dentelles d’Italie ou des Flandres, gants à crispin, voire pièces d’armure comme le colletin d’argent repoussé de Louis XIII.

Finie l’image des grandes rapières à large garde des mauvaises reconstitutions historiques. L’épée du mousquetaire a subi une évolution tendant à une escrime rapide avec des armes courtes donc rapprochées. L’escrime devient une école du maintien, un art de l’économie du geste et du contrôle des passions en accord avec le nouvel idéal cartésien (page 121).

Les gardes rouges de Richelieu rivalisent avec les bleus à partir de 1631 mais surtout le cardinal qui possède plusieurs régiments et une maison militaire rivalise avec le roi en imposant la marque de sa propre souveraineté, audace quasi souveraine. Y a t-il eu des rencontres à l’aube entre rouges et bleus ? Elles n’ont laissé de traces que dans les lignes de Dumas…

Plus prosaïque, le quotidien du mousquetaire est évoqué par la présentation, pour la première fois, de quelques résultats des fouilles. L’archéologue Séverine Hurard présente cette castramétation de terre datant de 1669-1670, rare témoignage de la nouvelle forme d’entraînement des troupes pour la guerre des Flandres, au camp d’entraînement du Fort Saint Sébastien, à Achères dont l’exploitation des fouilles (2011-2015) est en cours. Longues soirées à causer, à jouer aux dés en fumant la pipe en terre, en assurant le piquet de garde après avoir mangé une viande bouillie dans un pot à couvercle chauffant sur un maigre feu. Moins glorieux que les chevauchées de Dumas dans les plaines du Nord.

Fleuret moucheté ou épée boutonnée dans ce monde d’hommes

Il faut admirer les ferrets de cristal et les imaginer sur une gravure de mode, fermant les crevés des manches d’une robe de la reine Anne d’Autriche (pages 91-95). Et Milady n’apparaît que dans un gravure…

Moins mythiques, il faut admirer les mousquetaires grâce à la fraîcheur des gouaches sur carton, la précision des dessins de Jacques Antoine Delaistre dans les albums illustrés pour l’éducation de Louis XV, jamais encore exposés.

Une dernière énigme posée par l’œuvre d’Alexandre Dumas à laquelle l’exposition apporte ses propres réponses: On ne peut passer sous silence la collection de masques dit de dérision, de masque-guichet de porte à forme anthropomorphe que possède le musée de l’armée, reposant une fois du plus la question du masque de fer, détournée avec malice dans le catalogue par une image de publicité de viande Liebig (page 193).

On apprécie un catalogue qui mêle textes de spécialistes et vrai catalogue d’œuvres décrites précisément avec de très belles reproductions des oeuvres de l’exposition, associé à une iconographie dynamique. Même la chronologie selon Dumas subit une tentative de remise en ordre d’après l’histoire (page 103).

Mais surtout, cerise sur le gâteau ou plume sur le chapeau, sa couverture se déplie et le lecteur découvre le Paris des Mousquetaires, un Paris Dumartagnan, un plan tiré de celui de Mérian de 1615 où Paris s’arrête à la Porte Saint Antoine, où les murailles isolent les Tuileries, où Madame Bonacieux ouvre une porte dans le rempart la nuit pour rentrer au Louvre, où les berges en terre, descendent en pente douce vers la Seine, vers le pré aux Clercs. Une remise en contexte encore plus radicale que par les images pour suivre à la trace les trois … ou quatre mousquetaires dans leur déambulation autour de leur casernement du quartier Saint Germain…Bonne promenade qui vous amènera au Musée de l’Armée, voir cette formidablement riche exposition.

Un excellent moyen de rendre hommage à Louis XIII, si souvent oublié dans les programmes scolaires alors qu’il est le roi le plus représenté dans les collections du Musée de l’armée.

Pascale Mormiche