Ce numéro a un titre trompeur pour les historiens et géographes, car il porte surtout sur des questions de management économique, macro ou micro, dont de longs rappels théoriques. Je vais en extraire ce qui est plus proche de nos disciplines. Mes réactions personnelles sont entre parenthèses.

Ce dossier commence par un article sur le partenariat public-privé (PPP) en Afrique du Nord, qui traite de la gestion de l’eau. Il rappelle la faible attractivité de la zone pour les investisseurs étrangers et donc la rareté des PPP qui restent concentrés dans le domaine traditionnel des télécommunications et de l’énergie, et non dans celui plus récent des infrastructures. De plus les investissements étrangers ont été ralentis par la crise financière.
Deux exemples sont développés

  • celui de la concession d’eau de Casablanca confié la Lyonnaise des Eaux, pilote d’un consortium franco-espagnol, exemple plutôt positif du fait de la réduction des pertes d’eau (on sait que ce contrat est dénoncé au Maroc par ceux qui y voient une illustration de l’affairisme, des autorités).
  • Une autre exemple est celui de l’opérateur public tunisien qui, avec l’appui de financements internationaux dessert la quasi-totalité du pays et prévoit de passer au secteur privé environ la moitié de l’exploitation et de l’entretien des stations de traitement.
  • L’auteur conclut très diplomatiquement que les contrats sont difficilement comparables techniquement et financièrement, et que beaucoup dépend de la qualité des autorités locales et des rapports avec les usagers.

Le deuxième article porte le rôle des relations interpersonnelles dans les rapports entre grands distributeurs et PME marocaines. Comme il est fréquent dans les pays du Sud, ces relations priment sur une évaluation « froide », comme la qualité de la logistique du sous-traitant, pourtant fondamentale dans ce cas. Au passage nous apprenons que la majorité des points de vente la grande distribution alimentaire dépendent de l’ONA, holding associant le roi et d’autres Marocains à quelques grandes entreprises françaises (certains Marocains pensent que c’est un gage d’efficacité, d’autres qu’il s’agit d’une regrettable collusion économique).

Le troisième article a bien un titre relatif à la transition démocratique en Tunisie, mais il s’agit de considérations générales puis tunisiennes sur l’ESG (environnement, social et gouvernance). Au passage nous apprenons que 40 % du système bancaire était entre les mains de l’État, donc probablement de la famille que l’on sait, ce qui laisse craindre de sérieux impayés, 10 % entre celles de banques françaises associées à des Tunisiens et 17 % entre celles de ressortissants d’autres pays (de la péninsule arabique semble-t-il).

Le quatrième article porte sur la gestion des compétences en Algérie, catastrophique d’après les auteurs, ce qui explique la fuite des compétences à l’étranger. Est préconisé « une refonte globale du système éducatif » et notamment un renforcement de l’étude du français (c’est une évidence pour qui connaît le pays, et est à mon avis souhaité par les milieux populaires, mais contrecarrée par les milieux traditionalistes et le lobbying des pays anglo-saxons, voire, dit-on, par des élites qui veulent garder « les bons postes » pour leurs enfants, qui sont eux formés en français dans l’enseignement privé). Est également dénoncée la forme trop théorique de l’enseignement, inutilisable professionnellement.

Le cinquième article porte sur la gestion des déchets urbains en Algérie, avec également des développements théoriques sur l’écologie industrielle. Le géographe peut retenir que l’Algérie croule sous les ordures, avec tous les risques correspondants de salubrité publique, sans parler de la non récupération de l’énergie contenue dans les déchets.

(Ce dossier étant très critique, la rédaction a pris la précaution d’avoir au moins un auteur d’origine arabe par article)

Ce dossier est suivi par deux articles généraux.

  • Le premier « Choc ou convergence de civilisation ? » rappelle des données bien connues des observateurs du monde arabe comme la baisse de la fécondité et donc la transformation de la société patriarcale. Il dénonce « l’essentialisation » de l’islam qui mènerait les musulmans au ratage systématique alors qu’il s’agit plutôt de catastrophes générées par des dirigeants prédateurs etc. Dans cette optique, l’islamisme est une réaction de crispation face à la convergence avec les sociétés occidentales. Cette convergence est accélérée (au Maghreb) par l’influence des cousins ayant émigré au nord (et la compréhension du français). La conclusion est que les islamistes devront s’adapter socialement, voire dogmatiquement.
  • Le second est consacré aux chrétiens des pays musulmans, à travers la question de l’apostasie en islam. Elle est très sévèrement traitée lorsqu’il s’agit de la conversion d’un musulman au christianisme, voire de la simple proclamation chrétienne ressentie comme un blasphème. Elle est un peu moins sévèrement traitée lorsqu’il s’agit du retour au christianisme d’un « islamisé pour raisons administratives ». Il faut rappeler que chrétiens et musulmans ne sont souvent pas soumis à la même législation, qu’il faut donc que la religion figure sur les documents d’identité, ce qui permet à l’administration de bloquer les changements de religion. (Par contre, contrairement à une opinion répandue en France, l’apostasie n’est pas juridiquement condamnée en tant que telle, il s’agit plutôt de comportements hostiles de la part de l’administration, et dans le pire des cas d’une action violente de musulmans choqués et bénéficiant de la compréhension générale).
  • Parallèlement le prosélytisme chrétien est interdit, explicitement en Algérie depuis 2007, et de fait un peu partout ailleurs, alors que la pression à la conversion à l’islam est très forte.

Yves Montenay