Le nom d’Asinus Pollion n’évoque rien à qui n’est guère familier de l’histoire romaine. Il a d’autant moins lieu de résonner que sa notoriété s’est évanouie dans une brume bimillénaire. Enseveli dans le tombeau de l’Antiquité romaine, cet inconnu célèbre a pourtant été une personnalité marquante de la période charnière où la république, submergée par les ambitions personnelles, s’efface sous le principat.
Pollion homme politique
Christophe Burgeon fait redécouvrir cette figure caractéristique d’un certain idéal du Romain. Membre de l’ordre équestre d’origine italique, Pollion débute sa carrière politique dans l’orbite césarienne. Jeune adulte, il est l’un des compagnons de César lors de la Guerre des Gaules, puis participe à la lutte contre Pompée, accédant à des responsabilités militaires puis politiques d’ampleur croissante jusqu’à gouverner une province. Après l’assassinat de César, il devient par transfert de fidélité un proche de Marc Antoine, avant d’opter pour une posture de neutralité qui lui épargne l’inimitié d’Octave. Son tempérament conciliateur en fait un diplomate de valeur. Négociateur habile, animé du souci de rétablir la concorde civique afin de mettre un terme à la guerre civile, il est notamment la cheville ouvrière du traité de Brindes en 40 avant notre ère. Sa courte accession au Consulat qui s’ensuit est le couronnement de sa carrière publique.
Pollion homme de lettres
Ce pinacle honorifique est le point final de son engagement dans la cité. Alors qu’il n’a encore que 36 ou 37 ans, Pollion se consacre dès lors à la littérature jusqu’à la fin de sa longue existence, à l’âge de 80 ans. Rival à la fois politique et littéraire de Cicéron, dont il fut le correspondant dans sa jeunesse avant de rompre avec lui, il devient ultérieurement un proche de Virgile. Il rassemble une collection de sculptures et fait installer la première bibliothèque publique de Rome. Mais ce fin lettré nourrit surtout des ambitions littéraires. On en devine l’ampleur plutôt qu’on ne la perçoit, car seules de très rares bribes de ses œuvres ont subsisté.
Il faut donc surtout se fier à l’écho qu’en donnent les auteurs qui les ont fréquentées ou en tout cas évoquées. Pollion a été poète, dramaturge et critique littéraire. Il fut aussi particulièrement réputé pour son don d’éloquence, talent qu’il valorisa en plaidant comme avocat. Il est impliqué à ce titre dans diverses causes célèbres. Pollion est également un des promoteurs à Rome de la recitatio, cet exercice de lecture orale publique des productions littéraires par leurs auteurs.
Pollion historien
Enfin, Pollion a aussi fait œuvre d’historien, rédigeant des Histoires qui retraçaient les événements dont il fut le contemporain et le protagoniste, de la Guerre des Gaules à la Guerre civile. Ce texte également disparu, qui semble avoir affirmé un point de vue distinct et moins apologétique que les écrits de son patron César, a été une source de référence connue et citée par de nombreux historiens de l’Antiquité. Strabon, Plutarque, Tacite, Suétone, Appien, Dion Cassius, Flavius Josèphe s’en inspirent, pour ne mentionner que les plus connus. C’est donc un véritable palimpseste dont la trace affleure à travers eux et influence leur lecture des événements.
La synthèse minutieuse bâtie par Christophe Burgeon restitue ainsi un relief insoupçonné au parcours estompé d’Asinus Pollion. Elle témoigne d’un labeur considérable de reconstitution, fondé sur une méthode rétroactive de déduction à l’aide d’éléments parfois ténus. Un puissant effort de collecte et de comparaison des sources historico-littéraires antiques subsistantes a été nécessaire pour y parvenir, combiné à l’exégèse des publications savantes modernes. La rigueur universitaire de la démarche ne va pas sans austérité de ton, mais impressionne par son érudition pointue. Cette monographie qui fait redécouvrir Pollion est un belle démonstration des difficultés et des fécondités de l’histoire ancienne.
© Guillaume Lévêque