Dans ce texte à deux voix, Christophe Cassiau-HaurieIl est l’auteur de plusieurs BD, dont Kinshasa, Rugby Club, avec Tshisuaka (ill.), Des bulles dans l’océan éditeur, 2016 – Les Dogues noirs de l’empire – La Force noire, avec Massiré Tounkara (ill.), L’Harmattan, coll. « L’Harmattan BD », 2020 – Le Singe jaune, avec Barly Baruti (ill.), Glénat, 2018 – Madame Livingstone, avec Barly Baruti (ill.), Glenat, 2014… et Christophe MeunierDocteur en géographie, professeur d’histoire-géographie à l’INSPE Centre Val de Loire ; il est membre des Clionautes et rédacteur de la Cliothèque (Les Migrants et nous – Éloge de Babel, Michel Agier, CNRS éditions, 2023 – Agir face à la vacance – L’expérience d’Ambert-Livradois-Forez (Puy-de-Dôme), Yoan Miot, Sarah Dubeaux, Autrement, 2023 – La Souris qui portait sa maison sur son dos, Jonathan Stutzman et Isabelle Arsenault, Les Éditions des éléphants, 2022 – La Chambre de Warren, Jérémie Moreau, Albin Michel Jeunesse, 2023 … proposent à la fois une réflexion sur la bande dessinée, ses origines et ses diverses formes et une approche du genre en Afrique de l’Égypte à l’Afrique du Sud. Ils resituent avec précision ces publications dans leur contexte historique et mettent en lumière des auteurs méconnus.
Avant la Première Guerre mondiale : le développement de la presse coloniale
Des prémisses d’images rendant compte d’un récit existent en Afrique, comme ailleurs dans le monde, depuis des temps très anciensPeintures de Ouadi Dora, en Égypte. C’est cependant surtout aux XIXe et début du XXe siècle que les premiers cartoons voient le jour au Cameroun, dans le royaume de Bamun en relation avec l’invention d’une écriture par le sultan Njoya. Sur les bords du Nil en réaction au creusement du canal de Suez, la présence européenne introduit l’image commentée au profit du mouvement nationaliste.
Dans l’océan Indien, l’art de la caricature est très politique. Il exprime, dans la presse de l’Île Maurice, le point de vue des colons esclavagistes, notamment sous le crayon de Prosper d’Epinay ou de Gabriel GilletQuelques illustrations p. 34, 36. À la Réunion, c’est dans la revue satirique « La lanterne magique » que s’expriment Adolphe Potémont et Antoine RoussinExtraits p. 38 à 51.
En Afrique du Sud, le cartooning représente l’expression afrikaner au début du XXe siècle, d’abord pour soutenir le moral des troupes durant la guerre (1915-1916).
1918-1945 la bande dessine en Afrique, un instrument de colonisation ?
Dans l’Afrique belge, la BD est utilisée pour évangéliser les populations. La première BD est publiée au Congo, dans le journal « L’Avenir Colonial belge ». Ces publications visent, aussi, à instruire et véhiculer l’information officiel. Sav, dans Ngonga, le journal des Indigènes du Congo belge propose des images légendéesExtraits p. 60-61, le ton est moqueur. Le dessinateur Paul Lomani, en publiant dans La Croix au Congo, une série de planches de Le Match de Jako et Mato montrent le racisme de l’époque. Les auteurs notent l’absence de contacts avec les auteurs belges de BD ; pourtant, les albums d’Hergé ont par la suite influencé les auteurs congolaisVoir l’article de Christophe Cassiau-Haurie sur le site Africultures, les mondes en relation : Esquisse pour une histoire de la BD en République Démocratique du Congo .
En Afrique noire française l’apparition de le BD est plus tardive et limitée : quelques caricatures dans Échos du Sénégal, journal fondé en 1950. En Afrique du Nord, le magazine Cœurs vaillants est diffusé pendant la Seconde Guerre mondiale avant une édition locale au Maroc après décembre 1942. Ce magazine publie les Aventures de Tintin. A Alger les magazines pour la jeunesse sont publiées à partir de 1944.
En Egypte, dès les années 1920, des éditions pour la jeunesse présentent des BD en arabe. C’est une production assez abondante : contes, récits à vocation pédagogique. Elle côtoie Cœurs vaillants, revue présente au Caire en français.
L’Union Sud-Africaine a une position très spéciale du fait de sa nombreuse population blanche. La BD commerciale apparaît dès 1924 avec des séries pour enfants. Le genre se développe jusque dans les années 1950. Si les histoires d’animaux mettent en valeur la nature sud-africaine, les caricatures sont le plus souvent racistes.
Avec le « soleil des indépendances », les Africains s’emparent de la bande dessinée 1945-1970
Dans les années d’après-guerre, on observe le développement des revues pour la jeunesse, souvent proches des milieux religieux chrétiens, comme Kisito – revue catholique pour les enfants de l’Afrique subsaharienne.qui paraît jusqu’en 1971. Certains titres sont traduits en langue malgache.
Bingo, revue laïque, crée en 1953, est publiée jusqu’en 1986. Elle raconte les Histoires de Pat reporter ou Moussa l’intrépideExtraits p. 94-95.
La BD est aussi utilisée pour la publicité.
L’Afrique belge est très productive avec un magazine publié en lingala, en swahili, en kikongo et et en chiluba, dès 1948 dont le personnage récurrent est Mbumbulu. Dans de petites histoires moralisatrices, il incarne l’Africain mis sous tutelle politique et culturelle. Les missionnaires sont très présents dans les éditions pour la jeunesse. Face aux auteurs européens, quelques Congolais comme Paul M’Bila s’essayent à la BD.
De nombreuses revues sont évoquées avec quelques extraits et notamment la revue rwandaise Hobe qui publie Les aventures de Matabaro, jeune héros rusé.
Dans la zone d’influence britannique, les auteurs décrivent les publications égyptiennes, kényanes, tanzaniennes, nigérianes et d’Afrique du Sud.
En Afrique française, le Maghreb se distingue avec des auteurs indigènes qui commencent à se faire connaîtreExtraits p. 131 à 140.
Les autorités se servent aussi de la BD pour leur propagande anti-FNLHistoire d’un village en Algérie, extrait p. 143.
Dans l’Océan indien, les publications de l’Île Maurice et de Madagascar attestent de la faible place de la BD dans l’Afrique coloniale française.
C’est aussi le cas de l’Afrique lusophone où la première BD est publiée en 1967.
Voilà un ouvrage qui, par son originalité, ouvre une porte méconnue. Les illustrations très nombreuses sont une vraie richesse, dommage que le format ne permette pas une bonne lecture (loupe obligatoire) pour profiter pleinement de ces éditions introuvables.