Michel Zimmermann, né en 1937, professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines, a consacré sa vie de chercheur à la Catalogne médiévale, notamment en préparant et rédigeant une thèse d’État intitulée Écrire et lire en Catalogne du IXe au XIIe siècles, soutenue en 1992 et publiée en 2004. Pour le lecteur francophone s’intéressant à la Catalogne et à son histoire, il est, par ailleurs, le co-auteur de deux précieux « Que sais-je »1. L’écriture et la publication de Naissance de la Catalogne sont donc le fruit de plusieurs dizaines d’années de fréquentation et de lecture des très riches sources catalanes, comme l’indique l’auteur lui-même : « Dans le prolongement de recherches effectuées depuis plusieurs décennies et peut-être en conclusion de celles-ci, il me paraît stimulant de suivre l’apparition et l’affirmation de la Catalogne dans le paysage européen, à la fois comme territoire géographiquement défini, comme entité politique souveraine consciente de son identité propre et reconnue de l’extérieur. »2
Singularités d’une méthode et d’un projet
« Alors que le travail de Pierre Bonnassie s’inscrit dans une généalogie intellectuelle aisément discernable, qui appartient à la famille des grandes thèses d’histoire régionale française dont les jalons historiographiques, depuis le Mâconnais de Georges Duby, sont connus, la thèse de Michel Zimmermann possède une ascendance moins linéaire. Elle propose une histoire de la Catalogne qui puise à des disciplines et à des traditions intellectuelles – la diplomatique et la linguistique historique – qui sont très souvent demeurées à la lisière du questionnement et des méthodes élaborées par la médiévistique. »3 Ce constat de Pierre Chastang peut parfaitement s’appliquer au dernier livre de Michel Zimmermann, qui, de ce point de vue, prolonge sa thèse. De nombreuses pages sont consacrées à l’analyse de l’apparition et des évolutions du sens et de l’usage d’un mot dans la documentation, ce qui peut être quelque peu déstabilisant pour le lecteur non averti. Ainsi, l’affirmation du pouvoir des comtes de Barcelone est longuement analysée à travers l’évolution de leur titulature et plus largement des mots qui sont utilisés pour les désigner, comme celui de « princeps», auquel est consacré plusieurs pages4 incluant une chronologie listant « l’usage du terme princeps au Xe siècle »5.
Par ailleurs, Michel Zimmermann n’entend pas faire un récit linéaire et chronologique de la naissance de la Catalogne au Moyen Âge : « Je ne souhaite pas faire un récit continu et événementiel de la naissance de la Catalogne, guettant à chaque instant l’apparition ou la confirmation d’une « identité » en formation ; il existe d’excellentes histoires de la Catalogne, même si certaines exigent d’être parfois réinterprétées, un certain nombre d’aprioris nationalistes empêchant une saine et objective appréciation des faits. Je souhaite réduire mon travail à quelques séquences de contenu thématique clair, identifier et caractériser les diverses étapes de l’émergence catalane, dont l’enchaînement permet de voir se constituer cette entité territoriale, politique et humaine que rien ne permettait d’anticiper. »6 Ces étapes ne se déploient pas au sein de séquences chronologiques clairement délimitées. Elle sont souvent imbriquées ou se chevauchent, ce qui conduit à un certain nombre de répétitions, d’un chapitre à l’autre, choix qui est assumé et expliqué mais seulement en conclusion du livre, et non en introduction comme on aurait pu s’y attendre7.
Un livre savant et destiné aux spécialistes ?
La méthode et le projet de Michel Zimmermann débouchent sur un livre débordant d’érudition et probablement destiné à un public de spécialistes ou, a minima, d’amateurs avertis. Ceci expliquerait le choix de ne traduire aucune citation, qu’il s’agisse d’extraits de documents médiévaux en latin ou d’œuvres d’historiens rédigées en espagnol ou en catalan. Cette impression est renforcée par le peu de place laissée au récit d’événements par ailleurs largement commentés et analysés. C’est le cas, par exemple, du « sac de Barcelone » de 985. La portée et la place de cet événement dans l’histoire catalane sont longuement et finement discutées, mais l’auteur ne rappelle que brièvement ce que furent les faits. Autant dire qu’il vaut mieux connaître les grandes lignes de l’histoire de la Catalogne au Moyen Âge pour profiter pleinement de la lecture du livre de Michel Zimmermann.
Un livre d’actualité
Naturellement, dans le contexte actuel, la « naissance de la Catalogne » au Moyen Âge n’a rien d’un sujet « froid » ou « refroidi ». Les nationalistes catalans et espagnols qui s’affrontent dans le cadre de l’actuelle « crise catalane »8 usent d’arguments historiques et se nourrissent de visions de l’histoire en grande partie antagonistes. Un des objectifs de l’auteur est du reste d’aider ses lecteurs francophones à mieux comprendre et percevoir la singularité de l’histoire et de l’identité catalanes : « Notre travail s’avérera utile s’il contribue à identifier une réalité vécue et revendiquée par des millions de personnes, mais difficilement perçue et même perceptible de l’extérieur, tant le concept globalisant d’ « Espagne » et la prégnance de l’identification étatique l’enferment au regard de l’étranger. »9
La Catalogne dont il entend montrer la naissance entre le VIIIe et le XIIe siècles, Michel Zimmermmann la définit comme un « territoire géographiquement défini », une « entité politique souveraine » et une « collectivité humaine consciente d’elle-même » (p. 11). Une telle réalité n’existe complètement qu’au XIIe siècle mais sa genèse s’étale sur plusieurs siècles comme le montre l’auteur tout en refusant tout déterminisme historique. Dans un premier chapitre, il envisage la place occupée par le territoire qui constituera plus tard dans la Catalogne au sein de l’ordre wisigothique puis dans le contexte de la conquête musulmane de la péninsule ibérique. Il décrit ensuite les effets de la conquête carolingienne et les relations entretenues par les habitants de la « marche d’Espagne » avec le pouvoir central « franc », autrement dit les successeurs de Charlemagne (chapitres 2, 3 et 4). Dans les chapitres 5 et 6, Michel Zimmermann revient longuement sur les effets du « sac de Barcelone » de 985, fruit de la conquête de la ville par les troupes d’Al-Mansûr, et discute de la place de cet évènement dans la naissance de la Catalogne au Moyen Âge. Il montre en particulier dans quelle mesure ce « désastre » entraîne une rupture, relative, avec le monde « franc » et le « basculement » vers l’Hispania. Les comtes catalans participent en effet à la Reconquista et celle-ci joue un rôle majeur dans la construction de la Catalogne médiévale comme l’explique l’auteur (chapitres 7 et 8). Enfin, Michel Zimmermann, en se fondant en particulier sur la thèse et les travaux de Pierre Bonnassie, montre comment la construction d’un ordre féodal (chapitre 9) parachève le processus de naissance de la Catalogne dont l’invention du nom au XIIe siècle apparaît dans ce contexte comme une nécessité pour désigner les territoires non aragonais du comte de Barcelone devenu par ailleurs roi d’Aragon après le mariage de Pétronille, héritière de la couronne d’Aragon, avec Ramon Berenguer IV de Barcelone en 1150 (chapitre 10).
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1 Marie-Claire Zimmermann et Michel Zimmermann, Histoire de la Catalogne, PUF, « Que sais-je », 1997 ; id., La Catalogne, PUF, « Que sais-je », 1998.
2 p. 11.
3 Pierre Chastang, « La langue, l’écriture et l’histoire. La singulière Catalogne de Michel Zimmermann », Médiévales, printemps 2007, p. 171-189, p. 171.
4 p. 246-251
5 p. 247.
6 p. 23.
7 p. 538-539.
8 Voir, à ce sujet, le très éclairant livre de Nicolas MARTY, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Perpignan, Comprendre la crise catalane, Perpignan, Cairn, 2019.
9 p. 8.