Nantes, ville bretonne ?
Il fallait une chronique même tardive pour cette œuvre collective issue d’un atelier d’histoire encadré par des historiens parmi lesquels Alain Croix, dont tout étudiant en démographie historique connaît la thèse sur la population nantaise. Identifier des auteurs de chapitres paraît a priori difficile. Un avertissement préalable annonce la volonté d’allier démarche scientifique et allègement de l’appareil académique mais sans déroger à la présentation des sources. Le livre surprend donc par la prudence parfois excessive avec laquelle il ré-explique des évidences au lecteur profane qui ne considère pas toujours l’événement avec la sérénité nécessaire et sans risque d’anachronisme. Mais l’exercice relève bien d’un questionnement du présent au passé et le résultat apparaît fécond. On note bien ici ou là une erreur factuelle ayant échappé à la relecture. Certains concepts comme la xénophobie et le racisme présentaient justement un risque d’anachronisme pas toujours évité op. cit., p. 207 ; 224. avec quelques tendances à la glose inutile autour du terme « nègre » qui est non seulement la norme du temps mais un terme employé à la première personne par les élites noires de l’époque coloniale. Le lectorat le plus large ne l’entend pas forcément ainsi. L’ensemble présente la tenue correcte exigée avant citation en note infrapaginale.
Publié en 2007, l’ouvrage sacrifie au rituel en marquant sa prévention à l’égard de la repentanceDaniel Lefeuvre
Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006, 230 p. ou du politiquement correct, sans empêcher les railleries de quelques « national-identitaires qui en dénoncent… le politiquement correct. Ce refus d’histoire n’étonne personne quand on sait que, parmi les mythes pourfendus, figure l’image d’une ville tolérante, bretonne et interceltique accueillant chaleureusement les bretonnants.
Étranger : une notion culturelle et mouvante
Les Juifs, ancêtres des Anglais, des Normands et des caquins
Si l’on a pu percevoir comme étrangers les gens des environs, l’imagerie de Bécassine, symbole de la domestique bretonne, d’ailleurs francophone, précède dans l’Espagnole, la Portugaise puis la Marocaine. Mais depuis la fin du XIXe, le mépris pour les Bretons s’estompe avec la folklorisation de leur image. A l’instar de la comparaison britannique entre l’image de l’Irlandais et celle de l’indigène, on établit un parallèle pertinent entre image du Breton et regard paternaliste sur les noirs comme celui porté en 1904 sur le village noir exposé. En 1914-1918, les Français réfugiés ne sont plus perçus comme étrangers même si le préfet rappelle en 1917 que les Alsaciens-Lorrains ne doivent pas être dénombrés comme tels.
Saupiquet, Boches belges et Trente Peureuses
Saupiquet et Cassegrain témoignent de l’apport anglais à Nantes où l’on trouve aussi des réfugiés carlistes. La période 1880-1914 est moins accueillante et le bon accueil aux réfugiés de 1914-1918, tempéré par la dénonciation des « boches belges » (Flamands), ne dure pas, pas plus que celui réservé aux forces américaines, dont automobiles et revolvers exaspèrent la population. L’ouvrage enchaîne ensuite les périodes en consacrant un thème à l’antisémitisme de 1890 à 1945 et en opposant les Trente Glorieuses aux Trente Peureuses qui suivent. La longue durée montre que peur et volonté de contrôle contrastent très souvent avec le nombre, l’impact sur le quotidien local et l’efficacité des mesures. On aurait pu être plus précis sur certains termes (clandestin / sans-papier). Outre les mémoires de maîtrise richement mis à contribution, l’étude se nourrit pour les périodes les plus récentes de témoignages de Nantais d’origines diverses. Les dernières pages proposent une enquête locale d’opinion sur la perception de l’étranger. Richement illustré avec une maquette élégante, l’ouvrage dépasse un intérêt nantais ou ligérien et questionne la notion d’étranger dans la longue durée historique.