Voilà un sujet sur lequel on pensait que tout était dit, Napoléon, ses campagnes et ses batailles… Les ouvrages et revues rivalisent d’études sur ses erreurs à Waterloo ou en Russie, ou bien son génie à Austerlitz… Pourtant, Jean Tulard, en bon spécialiste de la période, réussit à apporter un nouvel angle d’approche. Il prend du recul par rapport au personnage et s’intéresse à son aptitude à être un chef de guerre. L’auteur nous livre ici une synthèse organisée autour de 3 thèmes. Qu’il s’agisse de la préparation de la guerre elle-même ou de la conduite de celle-ci. Il n’occulte cependant pas les défaites de la politique guerrière de l’empereur

Une machine de guerre bien rodée.

Les victoires de l’empereur sont avant tout le résultat d’un système préparé pour faire la guerre. Une pensée militaire formée dans les écoles de l’Ancien régime et poursuivie lors des lectures en garnison. Qu’il s’agisse des anciens ou de ses contemporains, le futur général Bonaparte a su puiser son inspiration dans les grands auteurs militaires.

Les hommes qui entourent l’empereur au ministère de la guerre ou à l’état-major comme les maréchaux et généraux à la tête de ses armées sont passés en revue. Certes, vu la nature de l’ouvrage, on ne va pas trouver une biographie de chacun d’eux. Mais ils sont tous là, et l’abondante bibliographie de la fin du livre permet d’approfondir.

Les simples soldats, français comme étrangers, ne sont pas oubliés. Du nombre de ceux qu’il a mobilisés à l’attachement qu’ils éprouvent pour l’empereur, on retrouve ici les grands classiques de l’imagerie impériale avec un chapitre entier consacré à la garde. Mais la question de leur fidélité et de leur lassitude n’est pas laissée de côté.

La préparation de la guerre nécessite également des renseignements et une bonne cartographie du terrain. Un domaine dans lequel l’empereur ne laisse rien au hasard ce qui lui permet de s’assurer l’avantage sur ses adversaires. Enfin, si les services de renseignement impériaux semblent avoir eu quelques succès. Jean Tulard nous révèle cependant que dans le domaine de l’armement l’empereur ne fait que profiter des armes existantes et l’Empire ne voit pas de révolution technologique.

L’art napoléonien de la guerre

La deuxième partie de l’ouvrage permet de trouver une bonne synthèse des grandes caractéristiques des campagnes napoléoniennes. L’auteur rappelle l’importance de la manœuvre dans chacune d’elle, surprendre un ennemi souvent supérieur en nombre pour aborder la bataille en position de force, ou en essayer de battre les troupes séparées de l’ennemi l’une après l’autre. Un art opérationnel qui permet de surprendre l’adversaire comme à Ulm mais qui n’évite pas les mauvaises surprises comme à Iena Auerstaedt où seule l’habileté de Davout permet de remporter la victoire. Mais tous les maréchaux ne sont pas des Davout, et Napoléon en fait les frais en 1815. Sa tentative de battre séparément Wellington et Blucher échoue car Grouchy et Ney n’ont pas les mêmes compétences.

Néanmoins la manœuvre permet souvent de limiter les batailles en obtenant la capitulation de l’ennemi comme à Ulm, ou bien d’aborder celles-ci dans une situation favorable comme à Friedland. C’est la manœuvre plus que les batailles qui ont permis les succès des campagnes impériales. Lors de celles-ci il est le point central de commandement. Certes l’empereur est plus en retrait que le général mais il s ‘efforce d’avoir une bonne vision du champ de bataille. Néanmoins la structure centralisée de son commandement fait que ses généraux peinent à trouver l’ouverture si leur maître est trop en retrait.

Le corps d’armée est la principale innovation impériale. Regroupant trois ou quatre divisions d’infanterie, avec une division de cavalerie légère et une artillerie de corps, il se révèle une armée en miniature. Cela lui donne une grande souplesse utile pour les manœuvres et une certaine homogénéité quand les divisionnaires et leur chef de corps ont plusieurs campagnes en commun comme le montre l’exemple de Davout et de ses divisionnaires. Cela se révèle plus fragile lorsque le chef n’est pas à la hauteur ou que les corps sont constitués d’unités de différentes nationalités. Sur le champ de bataille l’infanterie et de plus en plus l’artillerie jouent un rôle déterminant. Les charges de cavalerie n’ont souvent pour objectif que de forcer la décision contre en ennemi déjà fatigué. Lorsque celui-ci est encore en état et sur de bonnes positions, elles échouent à l’image de celles de Ney à Waterloo.

La cavalerie joue cependant un rôle important lors de la poursuite de l’ennemi. Elles peuvent transformer une retraite en déroute comme en 1806 et permettent de faire de nombreux prisonniers. Ceux-ci sont en général correctement traités, comme le sont aussi les blessés. Mais les insuffisances du service de santé expliquent que beaucoup décèdent.

Les défaites…

L’ouvrage passe également en revue les échecs de Napoléon. On n’est donc pas surpris de retrouver ici l’ignorance du général pour les manœuvres navales. Le blocus continental qui en découle se révèle également largement inefficace. Il mécontente aussi bien les Etats clients traditionnels de l’Angleterre que les négociants français qui exportaient vers ce pays. Au point qu’il en est réduit à accorder des licences de commerce qui finissent de braquer les autres Etats car celles-ci sont réservés aux commerçant français.

L’échec espagnol est analysé. Sur le plan militaire, où en l’absence de Napoléon, ses généraux ne coordonnent pas leurs actions et ont du mal à se faire obéir les uns des autres. Mais aussi en raison de l’incapacité à adapter l’armée pour faire une contre-guérilla efficace. Mais un échec surtout politique, en Espagne Napoléon ne comprend pas que la guerre mobilise toute une nation contre les Français. On peut regretter que l’auteur n’ait pas étudié cet aspect pour les évènements de Russie en 1812 et d’Allemagne en 1813.

Enfin, la guerre psychologique n’est pas oubliée. Et malgré, ses bulletins et ses propagandistes, l’Empereur n’arrive pas à lutter contre les caricaturistes anglais. Une dimension qui est élargie à l’historiographie de la période impériale des mémoires de Sainte-Hélène à la place de l’Empire dans les programmes scolaire.. Ici l’auteur choisit le camp impérial en reproduisant en annexe la liste des batailles auxquelles Napoléon Bonaparte a participé, mais surtout en reproduisant un certain nombre d’extraits (une cinquantaine de pages) des œuvres de Napoléon rédigées à Sainte-Hélène
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En conclusion

On peut regretter que dans sa partie défaite l’ouvrage de Jean Tulard laisse de côté les raisons de l’échec des campagnes militaires de 1812 à 1815. Le livre n’en demeure pas moins fort riche en informations sur la guerre et ses à côtés. Il donc est une lecture indispensable pour celui qui veut une bonne synthèse de ce qui constitue la base de la légende napoléonienne. Par contre, le « grognard » spécialiste de la guerre napoléonienne y trouvera moins son compte. Il se consolera néanmoins par la richesse de la bibliographie.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau