Catalogue d’exposition se présentant sous la forme d’un livre abondamment illustré et très documenté sur le changement de souveraineté de la région niçoise en 1860 et sur un des artisans de cette réunion à la France, Napoléon III
Dans les départements des Alpes-Maritimes, de Savoie et de Haute Savoie se sont multipliées durant toute l’année 2010 expositions, conférences et manifestations diverses (voir également le CR présenté en article 2953) puisqu’il y a très exactement cent cinquante ans (traité définitif le 12 juin, prise de possession officielle le 19) que la Savoie et le circondario, la circonscription de Nice, rejoignaient l’ensemble français. Les Archives des Alpes-Maritimes ont organisé pour leur part une belle exposition qui s’est tenue jusqu’à la fin du mois de juin et à cette occasion, ce service a édité un très beau catalogue, véritable livre d’histoire sur cet épisode, vu du côté de Nice et de ce qu’on appellera de plus en plus son comté.

Ce catalogue-livre Napoléon III et les Alpes-Maritimes porte en sous-titre La naissance d’un territoire car les solutions administratives pour passer de l’ensemble Piémont-Sardaigne à l’ensemble français ont été inverses dans le cas de la Savoie, où on partagea l’ancienne province en deux départements, et pour la circonscription de Nice, si petite et si peu peuplée à l’époque qu’on jugea nécessaire d’y adjoindre un morceau du vaste département voisin, le Var, dont le fleuve éponyme ne borda plus son territoire.

Le catalogue, bien sûr ne contient pas les reproductions de tous les documents présentés, certains très connus, d’autres moins, d’autres enfin presque jamais utilisés. Il propose, en plus de la très riche illustration et d’une qualité de reproduction rare, un histoire des rapports entre Napoléon III, personnage dont la popularité est localement en hausse 150 ans après le changement de souveraineté de la Savoie et de Nice, et surtout l’histoire de ce changement de souveraineté de 1860, vue de ce qui devient en 1861 le département des Alpes-Maritimes (le premier du nom, issu d’une création de la Convention en 1793, ne recouvrait sans entrer dans trop de détails territoriaux que l’actuel arrondissement de Nice).

Les rédacteurs de ce livre sont les mêmes que ceux qui ont été commissaires de l’exposition : Jean-Bernard Lacroix, directeur des Archives Départementales des Alpes-Maritimes, son adjointe, Héléne Cavallié et Jérôme Bracq responsable du service éducatif.
Le livre, car il s’agit plus d’un livre que d’un catalogue, s’organise autour de cinq chapitres : « l’annexion », « la vie politique », « les grands travaux », « «l’économie» et « la société ». La liste détaillée des documents présentés dans l’exposition termine cet ouvrage. Plusieurs gravures extraites du luxueux album Nice et Savoie, publié en 1864, ponctuent les différents chapitres.

« L’annexion » est l’occasion d’un rapide retour sur les périodes éloignées qui ont précédé la séparation d’avec le comté de Provence au XIVe siècle et la domination du comté bientôt duché de Savoie, ainsi que le rappel du constant intérêt du royaume de France pour la région niçoise. Le comté de Nice, conquis plusieurs fois par les armées de Louis XIV et restitué à chaque fois, fut encore entre 1744 et 1748 un lieu d’affrontement entre armées gallispanes et troupes austro-sardes (car le duc de Savoie portait depuis 1720 le titre de roi de Sardaigne). Le dernier épisode guerrier du XVIIIe siècle conduisit le comté de Nice à devenir le 85e département français en 1793. Chaque épisode était illustré dans l’exposition par des documents dont quelques pièces sont reproduites dans le livre. « L’annexion », c’est bien sûr l’occasion de décrire les relations de Napoléon III avec Cavour et Victor-Emmanuel II, de l’entrevue de Plombières à la consultation des populations en passant par la campagne d’Italie, les traités et la perception sur place qu’illustrent gravures, cartes, reproduction de lettres et de proclamations. Le vote de consultation est étudié de façon précise, tout comme les conséquences du changement de souveraineté : adhésion du clergé à la France, sujets sardes optant pour la conservation de leur nationalité (probablement 96% des officiers), réorganisations administratives, personnages marquants . Dans tous ces registres, le riche fonds des Archives départementales a fourni des illustrations d’une exceptionnelle qualité de reproduction, le tout sous-tendu par un texte de qualité. L’incontournable visite de Napoléon III aux provinces nouvellement françaises est bien entendu présente et largement illustrée.

Le chapitre suivant, « la vie politique » est une intéressante présentation de la situation telle qu’elle existait en 1860, faite en utilisant de nombreuses citations et reproductions d’affiches et de portraits, relatifs à une période de juxtaposition des arrondissements de Nice, Puget-Théniers et Grasse sans qu’il y ait véritable homogénéité : à une zone niçoise plus conservatrice et proche du pouvoir s’oppose alors une zone grassoise déjà républicaine et qui l’est restée.

Le troisième chapitre, qui correspond à ce qui était probablement la partie la plus originale de l’exposition, « les grands travaux », montre de façon claire l’importance des chantiers lancés après 1860, au premier rang desquels une place justifiée est accordée à l’arrivée du chemin de fer en 1864. Le chemin de fer augmenta de façon considérable la fréquentation de Nice par les hivernants et par conséquent contribua à modifier la fonction d’accueil, devenue plus massive, ainsi que l’urbanisation engendrée par cette activité. Les routes, points faibles de l’équipement du comté avant 1860 sont également détaillées : le tout utilise, à côté de cartes déjà connues, de nombreux documents peu fréquemment présentés tels que des plans de ponts ou encore d’endiguements.

Le chapitre suivant consacré à « l’économie » est l’occasion de montrer la modestie des ressources agricoles, les excès d’usage des forêts, les importantes campagnes de reboisement entreprises dès le Second Empire. Dans les activités principales, se détachent la parfumerie grassoise et celles qui sont liées à la fonction d’accueil dont les infrastructures deviennent de plus en plus visibles ( villas, hôtels). Enfin, le dernier chapitre, «la société» examine le peuplement et ses rapides modifications, les épidémies qui menacent encore, et les évolutions qui vont faire des habitants, grâce au rôle joué par l’instruction, des citoyens de plus en plus intégrés dans l’ensemble français. Tout comme l’enseignement, la culture est également représentée par des programmes de représentations et de manifestations, des reproductions d’anciennes photographies que souligne un texte précis qui donne une bonne image de cette période.

Ce chapitre ne peut ignorer pour terminer les remises en cause du changement de souveraineté au cours des années 1870-71 ainsi qu’inversement les manifestations d’attachement à la France à la fin du XIXe siècle, période de raidissement national ici comme ailleurs.
Il s’agit donc d’un ouvrage qui représente à mon sens une très bonne entrée en matière pour étudier cette période, en même temps qu’un beau livre qui fait un tour assez complet de la région niçoise au cours de ces moments de changements considérables.

Alain Ruggiero