En 2006, les éditions Quae avait édité un Petit Guide de l’observation du paysage. Deux ans plus tard, le concept d’une approche pluridisciplinaire est repris et mis en application sur un territoire donné. Les Vosges du Sud sont l’objet de l’étude d’une équipe composée de géographe agronome (Jean-Pierre Deffontaines, récemment décédé), de zootechnicien (Marc Roux), économiste (Michel Petit) et d’agronomes (Jacques Brossier, André Brun, Jean-Louis Fiorelli, Pierre-Louis Osty).
La problématique de cet ouvrage est intéressante puisqu’il s’agit de voir comment se traduit dans le paysage l’évolution des pratiques agricoles. Dans le contexte de la baisse de la population active agricole, le paysage devient un objet central de préoccupation du concept de développement durable. L’agriculteur tend à devenir le « jardinier du paysage » dans les régions de montagne. L’INRA, auteur de ce fascicule, s’est intéressé dès les années 1970 à cette problématique (Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud. 1977). Trente ans plus tard, avec les mêmes auteurs, elle publie cette étude comparative qui s’appuie sur les travaux de deux étudiants (Noémie Marquis et Farid Tigroudja).
La demande paysagère est de plus en plus forte alors que les paysans sont de moins en moins nombreux. Le paysage a une fonction récréative pour les populations urbaines en quête de nature. 2 à 3% de la population gère un territoire rural sur lequel les 97% restants ont des « attentes » de plus en plus fortes. La pression sur les agriculteurs est donc importante. Le paysage est vu comme un élément de l’identité du « pays ». Les reboisements anarchiques (conséquences de l’abandon des terres agricoles) ont un impact fort sur le paysage. Ils renforcent l’impression de fermeture du paysage. L’enjeu est donc pour les agriculteurs de continuer à produire tout en préservant le paysage dit classique des Vosges.
Le paysage des Vosges du Sud est le fruit d’une histoire séculaire. A l’époque moderne, le Duc de Lorraine et les chanoinesses de Remiremont ont favorisé le défrichement en donnant un droit d’acensement (droit d’exploitation du terrain, transmissible et inaliénable). Ainsi, se sont mises en place des exploitations d’environ 4 hectares composées de 3 ha de prairies naturelles et d’un hectare de terres labourables. Les prairies naturelles étaient fauchées manuellement trois fois par an afin de nourrir le bétail (bovins). Cette pratique a donné naissance à un paysage particulier le « peigné vosgien ». Les communaux servaient à faire paître les troupeaux. La population complète ses revenus en travaillant au service de l’exploitation forestière. Au XIXème siècle, l’installation d’industriels textiles alsaciens, immigrés après 1870, permet de faire face à la croissance démographique, grâce à l’embauche de paysans – ouvriers. D’autres font le choix de s’investir dans le marché du fromage (Munster et Geromé). Lorsque l’INRA s’intéresse à cet espace dans les années 1970, l’agriculture est en régression mais elle est encore très présente (contrairement aux Vosges du Nord où la forêt s’est considérablement étendue, responsable d’une fermeture du paysage). L’industrie et le tourisme sont développés dans les Vosges du Sud. L’industrie textile en crise continue de fournir plus de la moitié des emplois en 1975.
Trente ans plus tard, le paysage a finalement peu changé, contrairement aux craintes émises. Il n’a pas été victime d’une fermeture. En revanche, les pratiques agricoles ont beaucoup changé sous l’effet de la concentration agricole. Ce sont les plus gros agriculteurs qui font le paysage et sont chargés, par la même de son entretien. Les exploitations situées en bordure des espaces urbains ou sur les chaumes (sommets plats des Vosges) sont en bonne santé. La planéité du terrain facilite la mécanisation. Les urbains donnent leur terrain à faucher, à défaut de le vendre aux agriculteurs. Un pré de fauche sur deux est devenu une pâture en 30 ans. Sur les communaux, les animaux n’ayant pas besoin d’être traits sont installés avec des systèmes de clôture électrifiée plus ou moins mobile. Le pâturage permet de gérer les espaces difficilement fauchables en raison du relief pentu des champs. Ce n’est toutefois pas la solution idéale. Les animaux ne mangent pas tout et certaines plantes non consommées envahissent progressivement l’espace si l’homme n’intervient pas pour assurer leur élimination. Dans ce cas, comme dans celui de la déprise agricole, des taillis commencent à boucher le paysage. La solution consiste à diversifier les espèces d’animaux : ovins, bovins, caprins dont les « goûts culinaires » permettent d’éliminer un maximum de plantes. Placer des animaux en pâture n’est pas toujours la solution. Les bovins causent beaucoup de dégâts aux pelouses et aux rigoles.
Les exploitations les plus dynamiques sont celles qui diversifient au maximum leurs activités : élevage laitier, élevage de viande, transformation directe du lait en fromage, orientation touristique (vente de produits fermiers, ferme-auberge, camping, gîtes… voire implication dans l’entretien et le fonctionnement des pistes de ski). La valorisation du lait est le fait majeur qui a marqué ces 30 dernières années. La recette de la réussite réside dans la multifonction et dans le soutien financier de cette agriculture par différentes instances. Un excellent chapitre est consacré à l’ensemble des aides versées par l’UE (ISM connue sous le terme de « prime à la vache tondeuse » devenue aujourd’hui ICHN Indemnité compensatrice des handicaps naturels), par l’Etat (prime au maintien des systèmes d’élevage extensif), par la région, le département (aides à la modernisation des exploitations, soutien au développement agricole et rural par des aides à la commercialisation et à la transformation des matières agricoles, sans compter sur les aides plus spécifiques : suppression des bois gênants…) et la municipalité (dans le cadre du PLU, gestion des droits d’usage des communaux, prime à la fauche des pistes de ski).
C’est donc par la diversification des activités vers le tourisme et les subventions apportées par les pouvoirs publics qu’il faut chercher les raisons à l’absence d’une fermeture du paysage plutôt que de l’expliquer par une spécificité vosgienne. Les Vosges du Nord ont connu une évolution inverse. La forêt a envahi le paysage et est responsable de fermeture totale de vallées. Ce n’est sans doute pas pour rien que les touristes fréquentent les Vosges du Sud !
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