L’étude proposé par Pierre-Antoine Dessaux, intitulé Vermicelles et coquillettes histoire d’une industrie alimentaire française ne peut qu’attirer l’attention du public, les pâtes faisant partie intégrante du patrimoine alimentaire français, avec ou sans bolognaise.

L’auteur recentre actuellement à la part des pâtes dans l’alimentation. Si aujourd’hui nous ne consacrons en moyenne que 17 % de notre dépense alimentaire à des produits bruts issus de l’agriculture, il faut noter que ce chiffre est relativement stable depuis les années 50, moment où les produits transformés commencent à prendre une large part dans notre alimentation. Cette étude est donc, comme beaucoup d’autres études sur l’alimentation, se trouve au carrefour à la fois des pratiques culturelles, de l’histoire économique globale, de l’analyse des dynamiques des systèmes de production, alliant la statistique analyse des stratégies commerciales employées pour vendre. L’auteur rend justice aux travaux pionniers de Jean-Louis Flandrin, et l’ouvrage de synthèse publié en 1996 avec Massimo Montanari. Cette étude s’inscrit donc dans une perspective historiographique relativement récente. Les travaux d’Alain Drouard, et de Jean-Pierre Williot par exemple ou encore Martin Bruegel et de Florence Hachez Leroy ont cependant permis d’élargir le champ d’investigation consacrée à l’histoire de l’alimentation en s’intéressant notamment à son industrialisation. C’est donc dans ce secteur de recherches que se situe aussi l’étude de Pierre-Antoine Dessaux. Son objectif est dans cet ouvrage de : « comprendre comment et quand les pâtes alimentaires sèches sont devenues en France un produit des puristes courants et dans quelles conditions une offre industrielle s’est développée, un marché, des pratiques industrielles, des formes commerciales ont émergé et se sont imposées, ainsi que les logiques et le poids des différents acteurs qui contribuèrent ». Mais l’histoire sociale n’est pas oubliée dans la mesure où l’auteur s’intéresse également aux cadres commerciaux et aux ouvriers et surtout aux ouvrières qui ont contribué à l’émergence et au développement de ce secteur.

Genèse d’une demande

Le chapitre un prend pour point de départ la veille de la Révolution française, où une offre commerciale de pâtes alimentaires de fabrication artisanale existe déjà. Si la consommation moyenne évaluée par Armand Husson au milieu du Second Empire fait état d’une consommation parisienne équivalente à 1,8 kg de pâtes en moyenne, elle passe à 2,43 kg en 1873, ce qui démontre une consommation régulière en France. Des pâtes oui, mais pas d’importe lesquels ! des vermicelles à 90 %. Dès lors, il s’agit de se demander dans un premier temps de quel type de céréales et de pâtes nous parlons. Chaque culture alimentaire dispose de sa propre manière de préparer les céréales, ses propres recettes de pâtes, terme qui désigne avant tout toute préparation élaborée à partir d’un pâton issu d’un pétrissage de farine. Puis les pâtes font l’objet d’une mise en forme et d’une cuisson dans un liquide. La préparation est universelle puisque nous retrouvons des pâtes aussi bien en Chine qu’en Italie et donc, en France.

En France, la consommation de pâtes alimentaires sèches s’affirme au XVIIIe siècle. Les recettes européennes sont issues de préparation laminée déjà connue durant l’Antiquité mais aussi de boulettes obtenues en roulant avec les doigts des petits morceaux de pâtes. Le Ménagier de Paris, rédigé au XIVe siècle donne notamment des indications précieuses sur les recettes qui étaient alors en usage sur une table bourgeoise, et les pâtes, sont certainement alors à l’époque, un accompagnement. D’autres publications font état de recettes diverses dont notamment les fameux Crozet qui existent toujours. Par contre, la fabrication des pâtes sèches de format filiforme relève d’une tradition distincte de celle des pâtes laminées consommées au fur et à mesure de leur fabrication qui s’affirme sur les rives de la Méditerranée au cours du Moyen Âge. Très certainement issues du Proche-Orient, leur diffusion se fait via le commerce maritime et les mouvements population qui accompagnent l’expansion de l’Islam à partir du VIe siècle. Nombreux sont les ouvrages diététiques qui, à la fin du Moyen Âge, et au début de l’ère moderne, font état de ses productions. On le reconnaît d’ailleurs volontiers leur aspect nutritif, ce qui font alors des pâtes un aliment privilégié pour les jours maigres. On les retrouve également à la table royale, puisque le jeune Louis XIII a régulièrement dans ses menus des pâtes fraîches comme les lasagnes ou des macarons de pain ou encore des pâtes découpées en formes géométriques ou animaliers, consommation rapportée par son médecin Jean Herouard. Mais il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour que des recettes de pâtes sèches apparaissent dans les ouvrages de cuisine française. Le terme « vermicelle » quant à lui rentre dans le dictionnaire français en 1681. La définition de ce terme qui serait un mot écorché issu de l’italien, le désigne comme des petites tranches de pâtes coupées forts déliées et en manière de petits rubans cuites avec de l’eau et qu’on assaisonne ensuite avec du sel, du poivre blanc et du fromage … déjà ! À l’inverse, le macaroni ne trouve pas grâce à l’époque. Jugé grossier, il renvoie au goinfre, et cette spécialité italienne ne trouve visiblement pas grâce auprès des palais français. Une distinction est alors opérée entre les pâtes françaises et les pâtes proprement italiennes, le vermicelle ayant l’honneur d’être privilégié. Dans les années 1770, le plat se retrouve très souvent dans les restaurants tandis qu’il s’impose dans la restauration et la cuisine bourgeoise. Pour les grands cuisiniers tels qu’Antonin Carême, il est un incontournable qui se décline en de multiples recettes auxquelles on peut rajouter par exemple des petits pois ou de l’asperge par exemple.

Au XIXe siècle

Leur attrait ne se perd pas comme témoignent notamment les pages que consacrent aux pâtes Honoré de Balzac, et Alexandre Dumas qui pourtant ne les appréciait que très modérément. Mais la consommation est avant tout urbaine et bourgeoise dans la mesure où leur préparation nécessite une cuisine équipée. Quelques statistiques présentées par l’auteur sont d’ailleurs éloquentes. Sur 68 ménages observés entre 1840 et 1900, 40 % consomment des pâtes alimentaires du commerce et se répartissent pour l’essentiel en région parisienne et dans la vallée du Rhône. En région parisienne trois ménages sur quatre en consomment pour un total de 2 kg par tête. Mais rappelons-le, à cette époque, le vermicelle est un produit d’épicerie, qui n’est pas recherchée par les populations ayant gardé des modes alimentaires traditionnels issus des milieux ruraux. Mais, cet aliment reconnu comme pratique par l’armée dès la fin du XIXe siècle, ne parvient pas à convaincre dans les rangs des soldats, en particulier les ruraux. Trois causes expliquent ce rejet : le manque d’habitude, la mauvaise préparation et la qualité inférieure des pâtes. Dès lors, les pâtes sont servies… mais avec modération ! Néanmoins, les pâtes alimentaires sèches sont amenées à devenir un produit de première nécessité durant la Première Guerre mondiale. La fabrication des pâtes alimentaires est davantage stimulée que celle du pain frais. En 1917, les pâtes alimentaires sont inscrites au rang des denrées rationnées. Globalement, la guerre profite aux grandes entreprises qui voient augmenter leurs effectifs et leur production en particulier Rivoire et Carret qui devient en 1919 une société commandite par actions.

La géographie de l’activité montre une implantation locale solidement ancrée. Dans la première moitié du XIXe siècle, la production de pâte est avant tout artisanale. En 1845 la France compte 69 établissements actifs. Leur nombre passe à 225 sous le Second Empire. Clermont-Ferrand, Marseille, et la Seine-Saint-Denis accueillent une activité bien installée également dans le Var et l’arrière-pays niçois. Sous Napoléon III, la demande étant bien couverte à l’intérieur, les pâtes deviennent un produit d’exportation massif que l’on retrouve à la fin du siècle aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Suisse ou encore en Belgique. L’étude démontre notamment que Clermont-Ferrand est alors en 1870 le plus important pôle de production de pâtes alimentaires avec en particulier les ateliers de Rollon fondée en 1823. C’est dans ce contexte que la société Rivoire et Carret, qui est au centre du chapitre deux, est fondée en 1857.

La période 1890 – 1939

Le chapitre trois revient sur les changements alimentaires qui profitent durant la période aux pâtes. La question commerciale devient centrale, ce qui permet à l’auteur d’analyser les stratégies adoptées et en particulier par Rivoire et Carret vis-à-vis des points de vente (épicerie, grands magasins d’épicerie comme Félix Potin) et de la publicité qui prend un poids croissant comme en témoigne la création de deux postes d’inspecteur de publicité à Marseille en 1907.
Mais il faut faire face à la concurrence et aux normes d’hygiène dans l’alimentation qui augmente sous pression des consommateurs. C’est ainsi que la loi du 1er août 1905 sert de cadre de référence pour la répression des fraudes et des falsifications et bien sûr, les pâtes n’y échappent pas. Enfin, en 1909 un congrès est organisé à Paris réunissant 2000 participants internationaux et dont le but est de s’entendre sur la définition de plus de 2000 produits alimentaires. Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que l’Italie y joue un rôle majeur, au contraire ce sont la France la Suisse et l’Allemagne qui pèsent de tout leur poids. C’est ainsi que la pâte alimentaire est définie comme étant des pâtes non fermentées obtenues par pétrissage de semoule ou de farine de froment avec de l’eau, et sans ajout de colorant. Les pâtes aux oeufs quant à elles prennent la définition qu’on leur connaît : trois œufs frais au kilo et une coloration inoffensive.

La période de la Seconde Guerre mondiale

La fin des années 30 et la perspective d’une nouvelle guerre voit se poser la question d’un organe global de la production et de la distribution des produits alimentaires dans le cadre des opérations de réarmement. Les pâtes sont vues alors comme produits de première nécessité qui, dans un premier temps ne font l’objet d’aucune restriction d’autant que les récoltes des années 1938 et 1939 ont été particulièrement bonnes. La drôle de guerre est même profitable à l’industrie puisqu’elle enregistre une hausse non négligeable de ses bénéfices. La situation change après l’armistice et les difficultés de l’époque. La consommation d’aliments frais, de pâtes et de céréales sont limitées au profit des conserves. Néanmoins les pâtes alimentaires restent favorisées et les professionnels du secteur deviennent des membres à part entières de la réorganisation économique du pays qui s’opère. C’est dans ce cadre qu’est créé le 21 juin 1941 le comité professionnel de l’industrie des pâtes alimentaires (CPIPA) qui, à la fin de la guerre est l’une des rares structures héritées du régime de Vichy qui parviendra à se maintenir. Néanmoins, les espoirs placés par les industriels dans l’organisation corporative envisagée s’estompent et les tensions avec l’administration du régime de Vichy ne tardent pas à éclater comme l’attestent les archives de Rivoire et Carret.

Jusqu’à la fin des années 40, le régime d’encadrement des activités productives est sévère et certaines branches comme les pâtes restent soumises à une régulation stricte qui repose alors sur trois piliers : l’approvisionnement en matières premières canalisées par l’ONIC, le contrôle des prix, et une activité contingentée. L’objectif alors existait après la guerre de dépendre des marchés extérieurs en général et de celui du marché nord-américain en particulier. À noter d’ailleurs que, jusqu’en 1986, la filière ne décide pas du prix de vente de ces produits. Notons que le CPIPA est réorganisé dans les années 50 à l’initiative de la députée MRP Francine Lefèvre, gênée par la survivance d’une structure héritée de Vichy et dont le mode de fonctionnement était resté inchangé depuis. Mais, comme l’analyse Pierre-Antoine Dessaux, il est intéressant de constater que les industriels s’adaptent, et arrivent à contourner les contraintes pour mieux aussi quelque part se réinventer. C’est ainsi qu’après la Seconde Guerre mondiale apparaît le concept de pâtes de qualité supérieure, mieux représenté, mieux valorisé au point de représenter 50 % du marché dès 1950 après une quasi-disparition durant la guerre.

 La trajectoire de Jean Panzani de 1940 à 1970

En effet, cette marque que l’on pourrait penser italienne (car elle a tout fait pour le faire croire au consommateur !) est en réalité une entreprise née des pénuries de la guerre. Jean Panzani est né en France en 1911 dans une famille originaire de Florence. Blessé lors de la bataille des Ardennes il est démobilisé à l’automne 1940 et rejoint sa famille à Niort. Ces perspectives professionnelles étant quasi nulles, il décide de concevoir une production locale de pâtes alimentaires. Son expérience est concluante ce qui lui permet d’obtenir le soutien de la préfecture et la possibilité d’accéder au contingent de matières premières nécessaires afin de poursuivre ses activités. En trois ans, Panzani devient un incontournable pour les départements du Poitou des Charentes et la Vendée. En 1946, il transfère son activité à Parthenay et, malgré un contexte difficile, il maintient ses activités et dépose une deuxième marque : Francine, du nom de sa fille. C’est là que l’auteur nous démontre toute la stratégie innovante et l’inventivité de Jean Panzani qui cherche dans les années 50 le moyen de s’affirmer sur un secteur déjà fort concurrentiel. Il mise sur un marché de niche celui des produits dits italiens et le marché parisien en jouant sur son nom. Les points de vente visée sont spécifiques : les épiceries italiennes qui accueillent un public déjà large. C’est là que sa stratégie innove puisqu’il combine à la fois son activité à celle d’une agence de publicité, la Vasselais, une entreprise d’emballage performante, La Cellophane, et un grossiste italien, Molinari alors à la recherche de nouveaux produits. Suivant l’adage : « ce qui marche à Paris, marche en province », Panzani parvient donc à s’imposer en faisant croire un produit typiquement italien alors qu’en réalité il est parfaitement gaulois. La stratégie est payante, Pantani voit ses parts de marché grimper de 2 % en 1950 à 7 % 10 ans plus tard. Sa modernité et son dynamisme ne manquent pas d’attirer l’œil des autres industrielles et en particulier d’André Forgeot, propriétaire des biscuits Brun-Pâtes la Lune, qui décide de racheter Panzani à un moment délicat consécutif à des choix stratégiques peu payants. Notons que cet ouvrage est également particulièrement plaisant à lire car l’édition a su faire une part belle aux illustrations publicitaires, en couleurs. Ce choix nous rappelle combien la publicité a su mettre en scène ce produit de grande consommation courante avec des stratégies gagnantes comme le montre, entre autres le cas de Panzani qui su s’adapter au format imposé par la télévision avec la célèbre figure de Don Patillo dans les années 70, suivi plus tard par celle de Germaine pour Lustucru.

Gervais – Danone

Le dernier chapitre quant à lui s’intéresse aux stratégies commerciales, financières et industrielles développées par Gervais – Danone, groupe fondé en 1967 dans un contexte économique alors en pleine expansion et démontre la capacité d’adaptation aux contraintes des marchés d’un secteur alimentaire qui a su rester populaire.