Cette histoire urbaine aux origines multiples est un atout pour permettre à la ville de s’insérer dans la mondialisation (même si cette insertion se fait essentiellement par le biais du tourisme). L’objectif des auteurs est de montrer comment Nice est devenue une des villes les plus connues du monde et comment le cosmopolitisme s’est traduit dans l’urbanisation, les comportements sociaux et culturels. Si la fréquentation de Nice, de manière saisonnière, par des aristocrates, y compris têtes couronnées, venus de pays variés (Anglais, Russes et Européens du Nord) est bien connue, on lira avec délice le récit des stratégies mises en œuvre par ceux que l’on appelle alors les rastaquouères (plus connus sous le nom de « gigolos »), à la recherche de la fortune qui prend souvent les traits d’une femme seule, laide mais indispensablement riche. La présence de cette élite n’est possible que grâce à celle d’une population laborieuse. On rendra gré aux auteurs de ne pas les avoir oublié et même d’y consacrer de nombreuses pages. C’est surtout l’immigration italienne qui permet, dès la Belle Epoque, puis pendant l’entre deux guerres, de soutenir l’économie du tourisme, à l’aide des bas salaires qu’ils acceptent de toucher. Migrations saisonnières dans un premier temps, elle devient définitive avec notamment l’arrivée d’Italiens qui fuient le régime de Mussolini. De même, on voit revenir sur la Côte d’Azur des Russes blancs mais, cette fois-ci, chassés par les Bolchéviques et contraints de se mettre au service de la clientèle internationale et des villas dont ils avaient fait parti dans un temps révolu.
Le détail des engagements politiques des immigrés est très largement développé même si il apparaît à terme nécessaire pour comprendre dans quel cadre se font les migrations. Nice compte ainsi 22 000 membres dans le fascio local en 1938. Les échauffourées entre fascistes et anti fascistes marquent l’entre deux guerres et s’accompagnent de l’expulsion des éléments les plus agités. Nice fut aussi le pôle d’accueil vers lequel se dirigea une part importante des rapatriés d’Algérie. Cet afflux fut responsable de 50% de la croissance démographique de la ville entre 1954 et 1962. Dans les années 1970, nombreuses furent les rixes opposant Maghrébins et population européenne.
Ces évènements sont révélateurs du contexte du racisme des époques successives dont sont victimes Italiens, Russes, Algériens, Yougoslaves, Roms… surtout quand les difficultés économiques ou le contexte politique (guerre d’Algérie) viennent compliquer leur intégration. C’est ainsi que le mythe de « l’homme au couteau » est tenace puisque cette réputation touche successivement les différents vagues d’immigrants. La presse locale se fait écho de la pauvreté des migrants et détaille leurs conditions de logements : bidonvilles (celui de la digue des Français qui regroupe jusqu’en 1976 une communauté maghrébine importante) et lieux insalubres.
Il apparait donc au fil de la lecture de l’ouvrage que le cosmopolitisme affiché en introduction doit être nuancé, d’autant plus si on retient les orientations de la politique menée par le « système Médecin » (de 1966 à 1990) : volonté de jumelage de la ville avec celle du Cap en plein apartheid en 1974, engagement de Jacques Médecin dans les années 1990 aux côtés du FN. Depuis la fermeture des frontières françaises en 1974, c’est le mythe du clandestin qui a remplacé les apriori précédents. Le cosmopolitisme est mis à dure épreuve, surtout dans les temps de crise. On retiendra cette phrase tirée de la conclusion de l’ouvrage : « le brassage dépasse difficilement les contraintes liées au cadre économique, aux classes sociales, aux différences ethniques, culturelles et religieuses ».
© Catherine Didier-Fèvre