Une reine en Afrique centrale aux XVI-XVIIe siècles

La Découverte propose une biographie originale : il s’agit de celle d’une reine africaine du XVIIe siècle, Njinga. Dominant une vaste région sous souveraineté angolaise, cette femme se caractérise par les relations qu’elle entretient avec les Portugais : le commerce des esclaves, les affrontements pour le contrôle des ports et des ressources. La guerre est le prisme par lequel cet ouvrage se distingue. L’auteur insiste aussi sur le décalage qui est visible entre la vie de Njinga aux XVI-XVIIe siècles et et le mythe qui en résulte 300 ans plus tard.

Paru sous le titre « Njinga of Angola » sous les presses universitaires d’Harvard en 2017, et traduite de l’anglais par Philippe Pignarre, cette biographie est écrite par l’historienne états-unienne Linda Heywood. Spécialiste de l’Afrique Centrale au XVIIe siècle et enseignante à l’Université de Boston, elle avait écrit la préface du récit de voyage de l’Italien Antonio Cavazzi datant de 1687 et publié en français par les éditions Chandeigne en 2010. Les lectures du récit italien et de la biographie américaine permettent de croiser les sources afin de mieux comprendre les relations tumultueuses entre les Européens (Italiens, Portugais) et un royaume africain.

Njinga règne sur le royaume africain du Ndongo, située à la frontière méridionale du Royaume du Kongo. Elle est la première femme à détenir le titre de Ngola (souverain du Royaume de Ndongo) en 1624. Le Ngola est la personne détenant le pouvoir le plus important avant l’arrivée des Portugais. Il reçoit des tributs des territoires semi-autonomes et est assimilé à un Dieu (pouvant faire tomber la pluie et rendre la justice). Njina est donc une africaine singulière sur le plan politique à l’époque moderne. Elle meurt à 81 ans en 1663.

Dans une préface très engagée et aux propos peu convaincants, la politologue Françoise Vergès verse dans le sensationnalisme en érigeant Njinga en une véritable icône féministe. Or, un problème demeure : les chapitres de l’historienne états-unienne Linda Heywood sont écrits de façon très nuancées et évitent les anachronismes tout au long du livre. Françoise Vergès définit les principaux apports du livre en l’inscrivant dans l’histoire du genre. Or, les propos de l’auteur sont bien plus mesurés et subtils que sa restitution dans la préface. Il s’agit davantage d’une biographie s’appuyant sur les démarches de l’histoire connectée (au sens de Sanjay Subrahmanyam à travers les itinéraires d’ambassadeurs et de marchands), d’histoire globale, et d’histoire militaire (par le récit des affrontements et des stratégies) que d’une simple grille de lecture mettant en scène une princesse africaine s’élevant contre la domination coloniale (et masculine) des Européens. Selon la préfacière, Njinga naît à la fin du XVIe siècle dans une période où les Portugais arrivent et prennent des premiers contacts avec les populations africaines du littoral angolais. Ceci est en contradiction avec ce qu’écrit Linda Heywood à la page 24 : les contacts remontent à 1483 !

Fort d’une solide introduction d’une trentaine de pages, Linda Heywood explique clairement la situation régionale grâce à plusieurs cartes. Souvent absentes des biographies historiques, l’effort de l’auteur et de l’éditeur est louable. La compréhension des lieux devient relativement simple. Les cartes sont nombreuses et précises, bien qu’en noir et blanc. Les toponymes du texte sont fidèlement indiqués. Prudente, Linda Heywood explique à plusieurs reprises l’absence des connaissances sur certains aspects de la vie de Njinga. Dès le départ, elle brosse un panorama de la région à travers les questions sociales (femme, famille), géographiques (cours d’eau, frontière, déplacement) et politiques (souveraineté). Elle présente le rôle des Portugais en Afrique centrale et les coutumes locales qui les effraient. Les sacrifices humains existent à la fin du XVIème siècle lors des funérailles d’un Ngola : c’est le cas pour Ndambi Angola au début des années 1560.

La première biographie « moderne » de la reine

Cette reine a dirigé le Nord-Ouest de l’Angola actuel, sur une étroite bande littorale de 300 kilomètres. Le livre débute par une anecdote se déroulant lors de la rencontre entre le gouverneur portugais de Luanda et Njinga, ambassadrice du roi Ngola Mbande en 1622. La princesse africaine s’exprime en langue portugaise mais s’habille à l’africaine. Elle est élue en 1624 à la tête du Royaume de Ndongo malgré des troubles politiques.

Les méthodes de l’histoire connectée permettent d’obtenir des résultats intéressants : l’auteur analyse clairement les rapports d’ambassades et d’observations au Ndongo dès 1518 vis à vis des Portugais (marchands, explorateurs, missionnaires jésuites et franciscains).

« Njinga, Maître des armes et Grand Guerrier »

C’est ce titre officiel que porte la reine Njinga. Convertie par calcul politique plutôt que par un suivi assidu des prêches des missionnaires européens, son royaume est reconnu indépendant par le Pape Alexandre VII. Sa mémoire perdure toujours grâce à des danses et des gestes : elle est vénérée au Brésil par des communautés afro-brésiliennes, composées de descendants d’esclaves du Ndongo. Linda Heywood estime ce flux à 50 000 Africains transportés depuis le Royaume du Ndongo vers le Brésil pour y travailler comme esclaves entre 1575 et 1578. La souveraine a fourni de nombreux esclaves dans ses liens diplomatiques avec les Portugais mais oppose une vigoureuse résistance à la colonisation (des Portugais, des Néerlandais). La violence des combats et des affrontements entre les armées africaines et européennes n’est pas éludée. En 1581, 619 guerriers vaincus du Ndongo ont le nez coupé par les soldats portugais. Un seigneur africain est décapité par les Portugais malgré le paiement d’une rançon (sous la forme d’esclaves).

La dimension sociale du Royaume dirigée par Njinga est présentée de façon didactique. La société se structure autour d’un triptyque : l’agriculture, la métallurgie et le commerce. Les cauris sont utilisés comme monnaie. Un regret concerne les sources archéologiques qui sont très peu mobilisées : est-ce simplement dû à une quasi-absence de fouille dans une région où il est difficile de fouiller ?

Comme le présage le nom de l’éditeur, cette biographie s’avère être une découverte originale, bien écrite et stimulante, portée par une traduction extrêmement agréable à lire.

Pour aller plus loin :

Antoine BARONNET @ Clionautes