« Je n’adapte pas le roman à proprement parler mais j’adapte mon récit du roman. »

Entretien avec l’auteur, réalisé par Damien Canteau le 13 octobre 2018.

« La dimension érotique du roman ne prend sens que dans le projet de Petit Wu de devenir un “héros du peuple. »

Alex W. Inker, dans Cathia Engelbach, « Alex W. Inker casse du Mao », Le Monde, 16 août 2018.

Propos de l’éditeur  « Subversif ! Révolutionnaire !

Lorsque Yan Lianke s’empare du célèbre slogan de la Révolution culturelle, c’est pour piétiner au passage les tabous les plus sacrés de l’armée, de la révolution, de la sexualité et de la bienséance politique.

Ou comment « Servir le peuple » devient, pour l’ordonnance d’un colonel de l’Armée Populaire de libération, soldat modèle au régiment, l’injonction d’accéder à tous les désirs de la belle épouse de celui-ci. Tous !

Le mari s’étant absenté pour deux mois, commence une remise en cause vertigineuse des doctrines qui ont bercé le jeune subalterne depuis toujours. Au service de l’épouse du colonel, l’ordonnance devient amant – et c’est à qui se montrera le plus « contre-révolutionnaire » en commettant sacrilège sur sacrilège ! »

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Quand il s’appelait encore Alexandre Widendaële, ce brillant trentenaire vivant à Lille, enseignait. Diplômé en 2006 de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles en Bande dessinée, et titulaire d’un Master 2 de cinéma. En plus de son activité de dessinateur auteur, il a donc également été professeur à l’université de Lille 3 où il enseignait les liens entre cinéma et BD. Aujourd’hui, on le connait sous le nom d’Alex W. Inker (inker, « encreur » en anglais), auteur talentueux des très remarqués APACHE en 2016, prix Polar SNCF en 2017, et Panama Al Brown, (plus de 6000 ex. vendus), deux BD publiées chez Sarbacane.

C’est chez ce même éditeur que paraît sa troisième et croustillante bande-dessinée. Alex W. Inker revisite ici la Chine maoïste en adaptant le roman éponyme de Yan Lianke (Éditions Philippe Picquier, 2006). Né en 1958, ce dernier s’engage dans l’armée pour échapper à sa condition de paysan, puis débute sa carrière d’écrivain en 1978. Ses romans et ses nouvelles lui ont valu d’obtenir de nombreuses récompenses littéraires, parmi les plus prestigieuses.

Censuré dès sa parution en Chine en 2005, le roman titré « Servir le peuple » joue sur la satire en détournant le célèbre slogan de la « Révolution culturelle » (1966-1968).

Dans celui-ci et dans son adaptation graphique par Alex W. Inker, le lecteur suit le parcours d’un jeune garçon « modèle » le Petit Wu, petit paysan naïf originaire d’un petit village de montagne. Il travaille dur dès son jeune âge pour faire honneur à sa mère à son chef dont il espère obtenir la main de sa fille puis à sa femme. Il entre ensuite comme conscrit dans l’Armée populaire de Libération où il redouble d’efforts pour devenir un maoïste exemplaire et remplir ses promesses envers son épouse et son beau-père à savoir être promu officier et cadre du Parti. Il devient rapidement, par son travail acharné, l’ordonnance et le cuisinier d’un colonel. Ce militaire ambitieux lui annonce un jour qu’il s’absente deux mois à Pékin pour participer à un séminaire d’étude et de recherche sur la façon d’améliorer l’efficacité des troupes tout en simplifiant l’administration. Il confie à Wu de soin de s’occuper de sa maison et de préparer les repas de « Tante Liu », la femme du colonel. Cette dernière lui demande rapidement de répondre à tous ses désirs en ces termes issus du célèbre slogan de la Révolution culturelle : « Tu dois Servir le peuple, Petit Wu ! ». S’en suivent des épisodes où la transgression monte crescendo et tous les idéaux du Petit Wu finissent par se fracasser les uns après les autres : « Alors, je t’ordonne de te mettre tout nu ! Pour servir le peuple, déshabille-toi ! » p. 59.

Dans cette adaptation magnifique et caustique, Alex W. Inker joue sur les métaphores et les codes de la Révolution culturelle (symboles, couleurs vertes et rouges, blanches, traits et expressions des personnages volontairement caricaturaux, etc.) pour rendre compte avec humour d’une des périodes les plus sombres de l’histoire chinoise du XXe siècle.

    En définitive, cette bande-dessinée est truculente et donne envie de lire le livre original dont elle s’inspire. Dans un genre « érotico-historico-satirique », il ravira les lecteurs et lectrices. Adressé à un public averti, il ne semble pas convenir à un public scolaire, mineur le plus souvent, mais devrait trouver sa place dans toute bonne bibliothèque qui se respecte, à côté par exemple… du « Petit livre rouge » !


Rémi BURLOT, pour Les Clionautes