Norman Ohler est un journaliste et réalisateur de documentaires allemand. Il découvre les documents laissés par Théo Morell, médecin personnel d’Hitler, documents dans lesquels il évoque un Patient A qui subit « des injections quotidiennes, des substances douteuses, des doses croissantes ». C’est le point de départ de son enquête.
Pervitine, la drogue du IIIe Reich
Malgré une politique anti-drogues, la pervitine, à base de méthamphétamine, devient un médicament grand public. Délivrée librement, puis sous ordonnance à partir de 1939, elle n’est soumise à la législation sur l’opium qu’en 1941. Elle a été produite par les usines Temmler, dans lesquelles le docteur Fritz Hauschild, chef du département pharmacologique, recherche un « productivisant » pendant le IIIe Reich.
Norman Ohler revient ensuite en arrière pour dresser un panorama historique des drogues. Il évoque les expériences de Friedrich W. Sertürner sur l’opium au XIXe siècle. Il isole la morphine, principal alcaloïde dans le but de traiter la douleur. Parmi les pionniers de la production d’alcaloïdes, Emanuel Merck fonde les entreprises Merck en 1827. L’invention de la seringue au milieu du siècle facilite sa diffusion. La drogue est injectée en masse aux soldats pendant la guerre de Sécession américaine (1861-1865) et pendant le conflit franco-allemand de 1870. Aux États-Unis, les sirops opiacés et les boissons à base de cocaïne comme le Coca-Cola sont en vente libre. En 1897, Felix Hoffmann, chimiste de Bayer, découvre coup sur coup l’aspirine et l’héroïne. Ce dernier produit est commercialisé comme remède contre les maux de tête, les malaises, comme sirop contre la toux ou médicament contre les coliques et les troubles du sommeil pour les enfants. Ces activités sont lucratives et l’Allemagne devient « l’usine chimique du monde ».
La Première guerre mondiale prive l’Allemagne de ces colonies et d’un certain nombre de plantes médicinales, ce qui stimule encore la chimie. La défaite génère des souffrances physiques et morales, qui contribue à la consommation de drogues. Pendant l’entre-deux-guerres, l’Allemagne est le leader de la production d’opiacés et de cocaïne. En effet, 80 % du marché mondial de la cocaïne est contrôlé par les entreprises allemandes Merck, Boeringer et Knoll. La drogue y est vendue légalement, sous ordonnance : en 1928, 73 kilos de cocaïne et de morphine sont vendus dans la ville de Berlin. Communistes et nazis critiquent cette décadence.
Hitler est décrit comme un abstinent : « Il ne fume pas, il ne boit pas, il ne mange presque que de la verdure, il ne s’approche pas des femmes » selon un partisan en 1930. Dès novembre 1933, une loi autorise le placement des toxicomanes dans des centres fermés pour une durée maximale de deux ans. Un juge peut prolonger l’incarcération pour une durée infinie. Les consommateurs sont fichés, à partir des ventes en pharmacie, mais la délation est aussi encouragée. Ceux qui sont repérés peuvent être désintoxiqués de manière forcée si leur race est pure, les autres partent en internement pour une durée indéterminée. En 1935, le mariage est interdit aux personnes souffrant de « troubles de l’esprit » dont les toxicomanes, une stérilisation forcée est mise en place car les nazis considèrent que la toxicomanie est incurable et se transmet de manière héréditaire. Sur les fiches signalétiques des toxicomanes, un signe + signifie leur élimination, par injection ou chambre à gaz.
L’auteur évoque ensuite le lien entre pureté de la race et lutte contre la drogue. Dans l’ouvrage de référence de l’époque, Poisons magiques (1938), Viktor Reko écrit : « Les stupéfiants les plus allogènes, les plus étrangers à la race produisent toujours les effets les plus néfastes ». Il défend la thèse selon laquelle les produits stupéfiants proviendraient des races inférieures. Le bureau de politique raciale du NSDAP affirme que le Juif est toxicomane, en particulier les intellectuels et les médecins. Cette idée est reprise dans un livre pour enfants : Le champignon vénéneux (1938).
Normal Ohler évoque ensuite le docteur Théo Morell, qui adhère au parti nazi, sans conviction, pour se protéger après avoir accusé à tort d’être Juif par les SA. Cette décision lui permet d’accroître sa clientèle, il se spécialise alors dans les compléments vitaminés. Il rencontre Hitler à un dîner et devient rapidement son médecin personnel. Le médecin effectue plusieurs injections par jour sur celui qu’il nomme le « patient A ». Le Führer approuve cette méthode car il refuse les examens médicaux et souhaite des résultats rapides.
Parallèlement, l’industrie pharmaceutique connaît un essor important en Allemagne. En 1937, Temmler met au point une méthylamphétamine allemande pour remplacer la Benzidine américaine : il s’agit de la pervitine. Une campagne d’affichage est lancée dès l’année suivante et des doses sont envoyées gratuitement aux médecins. La pervitine est présentée comme un produit qui donne confiance en soi et tonifie, mais les effets secondaires comme la dégradation des fonctions cérébrales, les troubles de la concentration, la dépendance, ne sont pas évoqués.
La pervitine se répand rapidement dans toutes les couches sociales. Elle devient « un symptôme de la société productiviste ».
Les soldats allemands dopés à la Pervitrine durant la guerre éclair (1939-1941)
Certains soldats comme le futur prix Nobel de littérature Heinrich Böll, réclamant régulièrement des envois de pervitine à leurs familles, ce qui montre que son usage n’est pas moralement condamné.
Selon le professeur Otto F. Ranke, qui dirige l’institut de physiologie militaire, « Le jour du combat, la fatigue peut décider de la victoire ». Selon lui, un soldat qui dort est inutile et en danger, car l’ennemi ne dort pas forcément. Il organise des expériences sur les soldats, auxquels il prescrit de la pervitine, de la caféine ou un placebo. Il en conclut que la pervitine les empêche de dormir, mais que les soldats du groupe P font aussi plus d’erreurs. Elle constitue cependant selon lui « un excellent moyen pour galvaniser des troupes fatiguées […], une substance militairement précieuse« . L’administration générale des armées n’en voit pas l’utilité, mais la consommation de pervitine se développe chez les officiers. Comme son emploi n’est pas organisé par l’armée, l’ampleur de la consommation est difficile à évaluer mais beaucoup de rapports en font mention.
En 1939, la pervitine n’est plus délivrée, en théorie, que sur ordonnance, mais certaines pharmacies n’appliquent pas cette interdiction. En 1940, la pervitine est intégrée à l’équipement sanitaire des soldats. La Wehrmacht et la Luftwaffe en commandent 35 millions de doses. Pendant la Blitzkrieg, le général Guderian ordonne : « J’exige de vous que vous ne dormiez pas pendant 3 jours et 3 nuits si cela est nécessaire ». La méthamphétamine contribue à l’effet de surprise ainsi qu’à la diffusion du mythe d’une Wehrmacht invincible.
Göring, dépendant à la morphine, ordonne le coup d’arrêt de Dunkerque : les panzers doivent reculer pour permettre à l’aviation de bombarder. Les Britanniques en profitent pour évacuer 340 000 soldats français, belges et britanniques. L’usage de la pervitine entraîne des addictions, des arrêts cardiaques et de l’hypertension artérielle chez des officiers. La pervitine est aussi utilisée lors de la bataille d’Angleterre au sein de la Luftwaffe. Elle est surnommée les « sels de l’aviateur » ou les « pilules de Göring ». Mais l’opération est un nouveau échec pour Göring qui se heurte à la supériorité de la RAF.
L’utilisation de la pervitine dans l’armée allemande est connue dès la guerre et exploitée par la propagande britannique. Le chef de la santé du Reich tire la sonnette d’alarme dès 1940. En 1941, la consommation mensuelle en Allemagne dépasse le million de comprimés ce qui le pousse à déclarer la pervitine comme produit stupéfiant. Mais la consommation continue à croître.
2e Guerre Mondiale – Mystère Nazis, de la drogue dans les armées d’Hitler
Hitler drogué aux psychotropes par le docteur Morell, sous cocaine en juillet 1944
Les archives du docteur Morell détaillent avec précision ce qui était administré au dictateur. Entre l’été 1941 et l’automne 1944, Hitler réside principalement à la « Tanière du loup », forteresse à l’est de la Pologne, composée à l’origine de 10 bunkers, décrits comme humides et malsains par Théo Morell. Dans ce contexte, Hitler tombe malade en août 1941, Theo Morell le remet sur pied en quelques jours, mais augmente désormais les doses de médicaments afin d’éviter une rechute. Le Führer prend alors plus de 80 préparations pharmaceutiques parmi lesquels de nombreux psychotropes et des hormones.
Pendant ce temps, les forces allemandes s’enlisent en Russie. Les soldats sont épuisés par le manque de sommeil et peu équipés face au froid russe. Hitler déménage dans un nouveau poste de commandement, le Werwolf (le loup-garou), mais reste éloigné à la fois du front et de la population locale.
Morell obtient une usine tchécoslovaque à aryaniser et des organes provenant de tous les animaux abattus en Ukraine. Il peut ainsi produire un grand nombre de médicaments à base d’hormones. Pour les acheminer, il utilise quotidiennement la logistique de la Wehrmacht. Il recourt au travail forcé. Il contourne l’interdiction de mise sur le marché de tout nouveau médicament en temps de guerre en se servant des officiers du quartier général et sans doute d’Hitler lui même comme cobayes. Les hormones et les stéroïdes, produits dans des conditions d’hygiène douteuses, sont ensuite distribués dans l’ensemble du Reich.
Face aux défaites, le Führer continue de se replier sur lui même, à nouveau dans la « Tanière du loup » et au Berghof à partir de 1943. Sa santé se dégrade et son entourage en est désormais conscient. La veille d’une rencontre avec Mussolini, Hitler est au plus mal. Morell lui injecte de l’oxycodone commercialisée sous le nom d’eucodal. Lors de la rencontre, le Führer est exalté, parle sans cesse d’un débit rapide et Mussolini ne parvient pas à aborder avec lui un éventuel retrait de l’Italie du conflit. Morell est plus que jamais dans les petits papiers d’Hitler, il s’enrichit considérablement et se lance dans la production d’opiacés. Norman Ohler avance l’hypothèse que certains prises d’oxycodone ne seraient pas consignées dans les notes du médecin : les mentions « injection x » et « injection comme d’habitude » laissent en effet planer le doute.
De plus, Hitler renvoie ceux qui lui semblent malades ou peu enthousiastes. L’entourage d’Hitler a de plus en plus recours aux injections du Docteur Morell, ce qui le coupe également des réalités. Eva Braun demande le même traitement qu’Hitler (seule la prescription d’hormones varie). Mussolini, les industriels Alfred Krupp et August Thyssen, la cinéaste Leni Riefenstahl, le chef de la SS Heinrich Himmler, le ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop, le ministre de l’armement Albert Speer… consultent aussi Morell.
Après l’attentat du 20 juillet 1944, les doses administrées à Hitler augmentent encore. Hitler a les tympans percés, un spécialiste oto-rhino est appelé à son chevet, le Docteur Giesing. Il lui prescrit de la cocaïne. Hitler demande rapidement à augmenter les doses. Il est euphorique, veut relancer une offensive sur le front de l’Ouest. Les deux médecins ne communiquent pas entre eux. Giesing soupçonne une surdose d’atropine et de strychnine chez Hitler et tente de court-circuiter Morell, mais il est renvoyé par Hitler. L’état du Führer se dégrade encore, les tremblements sont permanents. La maladie de Parkinson est suspectée.
De la drogue miracle pour l’armée du IIIe Reich, chewing-gums à la cocaine… (1944-1945)
A partir de ce moment, la Wehrmacht ne connaît plus que des échecs. De nombreux soldats sont dépendants de la pervitine. Le moral est au plus bas. La Wehrmacht demande à ce qu’une « drogue miracle » soit mise au point. Deux compositions, numérotée de DI à DX (drogue 1 à 10), sont mises au point à partir de cocaïne, de pervitine et d’un dérivé de morphine. La DIX est choisie : 5 mg d’eucodal, 5 mg de cocaïne, 3 mg de méthamphétamine. Mais elle entraîne une grande fatigue et un sentiment d’abattement.
De nouvelles expériences sont menées à Sachsenhausen. Des drogues sont ingérées par les membres du « commando piéton », qui marchaient toute la journée afin de tester les chaussures. Un jeune homme parcourt ainsi 96 km après avoir ingéré 75 mg de cocaïne pure. Le médecin de marine Richert propose de distribuer des chewing-gums à la cocaïne aux soldats.
Face à l’avancée de l’armée rouge, aux bombardements des usines pharmaceutiques et de Berlin, Morell n’est plus en capacité d’approvisionner Hitler. Le Führer est en manque, son état se dégrade encore, ses ordres sont incohérents. Le 19 mars 1945, il lance « l’ordre Néron », qui consiste à détruire les infrastructures du Reich, ainsi que l’ensemble des bâtiments culturels. Il n’est pas exécuté faute de moyens. En avril 1945, le docteur Morell est congédié.
Le 27 avril, Hitler distribue des pilules de cyanure à ses derniers fidèles. A l’annonce de son suicide, plus d’une centaine de milliers d’Allemands se suicident. Morell est incarcéré deux ans par les Américains, il ne leur est d’aucune utilité, il tient des propos incohérents. Après sa libération, il se retrouve dans un hospice où il meurt en 1948.
L’extase totale est un livre passionnant, abondamment documenté, qui donne à voir un autre aspect du IIIe Reich, qui éclaire la relation entre Hitler et son médecin.
Jennifer Ghislain pour les Clionautes
L’extase totale Le IIIè Reich, les Allemands et la drogue
Norman Ohler
La découverte, 2016, 250 pages, 14,99 €
Compte rendu de lecture de Pierre-Yves Marzin
Salué par les historiens lors de sa parution l’année dernière en Allemagne, cet ouvrage du journaliste Norman Ohler (Stern, Der Spiegel) nous offre une vision décapante du IIIe Reich. Il se penche précisément sur l’usage quotidien des drogues dans la société allemande. Usage militaire jusque dans le haut commandement, mais aussi civil et qui devient assez massif à partir de 1937. Avec un produit phare : la pervitine, produit de synthèse de la métamphétamine.
En se basant notamment sur des archives tels que les carnets de Théo Morell, le médecin personnel d’Hitler, le journaliste allemand nous livre un travail passionnant qui, comme le souligne Ian Kershaw, “modifie le tableau d’ensemble” quant à notre perception de la réalité du IIIe Reich.
Norman Ohler part d’un constat sous forme de diagnostic (l’introduction, tout à fait originale, est construite comme une notice d’utilisation de médicaments !): le national-socialisme semble avoir été étudié de long en large, il ne subsisterait que peu “d’angle mort”. Pourtant, selon lui : “quelque chose échappera toujours à la compréhension si l’on ne saisit pas le rôle qu’ont joué les drogues sous le IIIe Reich et si l’on n’étudie pas les états de conscience de cette époque à la lumière des stupéfiants.” Il cherche donc à montrer une nouvelle facette de la période et d’un système.
Il établit ainsi une relation entre la déclarée “lutte contre la drogue” des nazis déguisés en pères-la -vertu (dans un esprit de vengeance contre l’hédonisme décrié de Weimar) imposant un contrôle étatique sur toutes les substances à partir de 1933 et l’absence d’études globales sur le sujet. Jusqu’à présent on ne disposait selon lui que de peu de choses sur l’utilisation des drogues sous le IIIe Reich.
Une amphétamine “nationale”, 35 millions de doses pour le Blitzkrieg
Or, c’est sa thèse, les psychotropes ont eu une influence conséquente, sinon déterminante, sur l’Allemagne nazie. Il se penche au chevet d’une “Allemagne chimique – voire toxique” et dissèque cliniquement, chiffres et documents à l’appui, ce qu’il qualifie avec brio de “national-socialisme en gélules”. En bref, quand l’idéologie ne suffisait pas, on a fait appel à la pharmacopée. L’ouvrage cherche et parvient ainsi à démontrer que “cette communauté raciale régentée avait besoin de drogues en quantités toujours plus importantes pour continuer à fonctionner” selon les mots de Ian Kershaw. On découvre dans le livre que la consommation de pervitine, en vente libre à partir de 1937, concerne en effet la société dans son ensemble, de la femme au foyer en passant par le soldat de la Wehrmacht jusqu’au Führer, dictateur de plus en plus addict au fur et à mesure qu’il perd sur le terrain militaire.
L’administration croissante de drogues en intraveineuse contribuant à lui faire perdre contact avec la réalité, à influer de manière notable sur ses décisions de commandement et à détériorer sa santé. Itinéraire somme toute classique, si ce n’était le personnage et le contexte, d’un junkie tout tendu vers le désastre final, ici reclus paranoïaque bientôt constamment saisi de tremblements dans le bunker berlinois. On apprend ainsi que dès 1941 Hitler ne connaît plus une seule journée de sobriété ! A partir de l’attentat du 20 juillet 1944 la consommation, devenue indispensable, s’accélère.
“Mon bon docteur je me réjouis tellement de vos visites matinales” déclare le dictateur chargé à l’Eukodal. Il est rarement plus sincère note Norman Ohler. On peut en effet alors parler de polytoxicamonie (opium, cocaïne, barbituriques, stéroïdes, hormones…). Au total ce sont plus de 80 préparations mystérieuses qui sont administrées au “patient A” et consignées dans les carnets du Theo Morell, Doctor ès Vitamin, qui a su gagner la confiance du dictateur depuis 1937 en le requinquant par de détonantes injections.
La consommation de pervitine, psychostimulant redoutable et addictif aux effets secondaires nocifs
La consommation de pervitine, psychostimulant redoutable et addictif aux effets secondaires nocifs, se banalise aussi largement dans la société à partir de cette date, jusqu’à devenir une sorte d’amphétamine nationale. Le “coup de fouet” qu’elle procure dure une douzaine d’heures. Tout va plus vite, on travaille et on combat mieux, l’enthousiasme est là. Dans un premier temps avant les contre coups et les premiers revers, la drogue est bénéfique au régime. Le soldat de la Whermacht peut, par exemple, se passer ainsi de sommeil pendant plusieurs jours. L’invasion de la Pologne en septembre 1939 sert de test produit, réussi. Pendant le Blitzkrieg, véritable “guerre du speed”, la Wehrmacht dispose de 35 millions de doses…
Il faut dire que depuis le XIXè siècle l’Allemagne a développé un savoir-faire en matière de transformation chimique, elle est à l’avant-garde de l’industrie pharmaceutique. Particulièrement pour les produits susceptibles de dompter la douleur, par exemple chez les blessés de guerre. Morphine, analgésie, anesthésie se généralisent au moment du conflit franco-allemand de 1870 et se diffusent aussi ensuite dans la société civile.
Le “made in germany” devient gage de qualité en la matière, Norman Ohler parle de leadership mondial. Parallèlement, dans les années 20 la dope circule assez largement dans la société allemande. Morphine, cocaïne, toutes sortes de drogue sont disponibles sans ordonnance. Dans ce climat, les nazis vont avoir “les stupéfiants en horreur car ils veulent faire eux-mêmes l’effet d’une drogue”. Au changement de régime va correspondre un changement de produit.
Le mythe de la pureté aryenne mis en scène par la propagande structure l’idéologie nationale-socialiste
Le mythe de la pureté aryenne constamment mis en scène par la propagande structure l’idéologie nationale-socialiste. On construit le mythe d’Hitler l’ascète, réfractaire à toutes les tentations terrestres. “C’est ce mythe, encore vivace aujourd’hui qu’il nous faut déconstruire” nous dit Norman Ohler. Il y parvient brillamment en démontrant la dépendance réciproque (et chiffrée) qui a lié le docteur Morell, serviteur zélé et inoffensif politiquement, assoiffé de reconnaissance, au patient “A”, dictateur de plus en plus coupé des réalités et maintenu artificiellement dans ses délires de grandeur. “De même que le peuple consommait toujours plus de produits excitants, de même la tête de l’Etat répondait à la catastrophe générale par de plus fortes doses de médicaments” note Hans Mommsen dans la postface.
Le IIIè Reich, une société hallucinée
Conclusion : Lecture stimulante donc, est on tenté de dire, que celle de cet ouvrage bien documenté et mené tambour battant. Grace au “pas de côté” caractéristique du journalisme de qualité, il apporte un nouvel éclairage sur le IIIè Reich, société hallucinée. Notre vision en sort transformée. Selon lui les drogues n’ont bien sûr pas fondé le système national-socialiste mais elles auraient exacerbé des éléments déjà existants. Elles ont été “l’instrument d’une mobilisation artificielle; elles ont pallié une ferveur qui s’amenuisait avec le temps et gardé la clique au pouvoir en état de fonctionner”.
Norman Ohler précise très sincèrement qu’il ne prétend pas réécrire ou bouleverser l’histoire du Reich mais simplement en dévoiler la face ignorée “arracher un masque dont nous ignorions l’existence même”. Ce qu’il fait avec rigueur et honnêteté, nous semble-t il. Contrat rempli et lecture tout à fait recommandée.
Pierre-Yves Marzin