Autant le dire d’emblée : ruez-vous sur ce livre éblouissant. Tout part d’un album photographique de 1919, offert, en 1920 par un ancien mobilisé, Gérald, à sa femme, Berthe.
L’objet
Cet album raconte leur journée de mariage et la lune de miel qui a suivi, au lendemain du conflit. La question surgit immédiatement : quelles aspirations pouvaient bien porter un tel voyage de noces ? Ce livre est aussi une tentative, une exploration, voire une expérimentation historiographique. Il inclut utilement la reproduction de parties de l’album et contient un important appareil de notes en fin d’ouvrage.
Le pari du singulier
Le récit photographique construit par Gérald offre une porte d’entrée vers un retour à l’intime, au singulier. Il s’agit d’un exemple de micro-histoire. L’album, consultable d’ailleurs en ligne, se compose de quatre-vingt-quinze pages grises et épaisses sur lesquelles se mêlent cinq-cent-cinquante-et-une photographies et cartes postales. Il pèse plus de huit kilos. L’autrice dit aussi que, face à un tel objet, il faut accepter de procéder par hypothèses. Elle procède par contrepoints qui viennent clore chaque chapitre et sont autant d’éclairages possibles de ce qui vient d’être dit.
Le mariage
Sur la première page, trois images immortalisent le groupe des convives, trois autres isolent le couple. La similarité de leurs origines sociales révèle l’endogamie persistante dans les milieux bourgeois. L’autrice déplore de ne pas posséder les lettres échangées pendant la guerre par les futurs époux.
Rencontre
L’album dévoile une série d’arrêts symboliques, loin des ruines de guerre, sur les traces du passé de chacun : ce sont vers leurs enfances révolues que se dirigent les deux époux. Le périple est néanmoins davantage centré sur l’époux. L’album matérialise ce dont le couple voulait se rappeler et acceptait de montrer.
Dark tourism
Sur vingt-neuf jours, vingt sont consacrés aux lieux de la guerre. Le récit photographique témoigne de la tension entre devoir et loisir, entre indignation et plaisir. Pour Berthe, la découverte des champs de bataille se fit à l’allure du train. Cette idée de voyage que l’on pourrait croire unique, certains en fait l’eurent avant eux.
La guerre sans silence ?
Clémentine Vidal-Naquet retrace l’itinéraire de Gérald dans le conflit. Il a reçu une éducation exaltant le courage. Il eut plusieurs postes très différents durant les quatre ans de la guerre. Dans ses légendes de photographies, Gérald oriente le regard, date les évènements et précise les positions de chaque armée. Si l’on observe précisément le parcours de Gérald, on remarque qu’il fut aussi un combattant longtemps épargné. Il y a là quelque chose à découvrir qu’on ne dira pas ici.
Conclusion ?
La fabrication de l’album achève symboliquement le voyage de noce, un an après la fin effective de leur périple et deux ans après la fin des combats. En allant sur les traces de sa guerre, l’ancien combattant ne présente qu’une part infime de ce qu’il a vécu. Le livre de Clémentine Vidal-Naquet aurait dû s’achever là mais l’autrice découvrit alors la suite de l’histoire de Gérald. Qu’en faire ? Ce chapitre est presque comparable à un twist de film et c’est pour cela, qu’une nouvelle fois, on ne dira rien de ce passage. On ne peut que recommander chaudement ces trente dernières pages.
Cet ouvrage est donc une pleine réussite et si le compte-rendu vous semble elliptique, il n’a que pour objectif de ne pas trop vous dévoiler sa richesse. Vous n’en savourerez que davantage la lecture et la découverte. Clémentine Vidal-Naquet restitue l’épaisseur d’une vie avec ses contradictions, ses zones d’ombre. Ruez-vous dessus : on vous le dit depuis le début !