TABLE-RONDE

Rencontre le 25 juin, à partir de 19H30, Alain Ruscio, Philippe Ould-Aoudia, Delphine Renard, autour du livre d’Alain Ruscio, Nostalgérie, l’interminable histoire de l’OAS

(Espace Niemeyer, 6, avenue Mathurin Moreau, Paris 20e, métro Colonel Fabien).
Invitation en PDF joint

La décision prise par le Maire de Béziers, en mars 2015, de débaptiser la rue du 19 mars 1962, date du « cessez le feu » en Algérie, Béziers : Ménard débaptise une rue et ravive la nostalgie de l’Algérie française pour la rebaptiser du nom de l’un des officiers putschistes d’avril 1961 s’inscrit dans une démarche que les partisans de la « Nostalgérie », infligent régulièrement à tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à ce conflit.

Sans avoir aucune complaisance pour les « erreurs » ou les atrocités commises par toutes les parties lors de cette guerre qui n’a avoué son nom qu’en 1999 jusqu’à la loi du 18 octobre 1999, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 juin et par le Sénat le 5 octobre. Auparavant règnaient les euphémismes : “événements”, “opérations de maintien de l’ordre” cette tendance à vouloir réécrire l’histoire dans un sens victimaire est bien ancrée dans certains milieux « politico-mémoriels » et largement influente encore dans la France méridionale.

Cet ouvrage est largement documenté sur cette gestation de l’OAS, notamment dès les débuts de la colonisation, avec cette idée selon laquelle les « arabes ne comprenaient que la force ». À chaque tentative d’améliorer le sort des populations indigènes, des bureaux arabes du second Empire au projet Blum-Violette de 1936, en passant par le statut de 1947, et même avec le Plan de Constantine de 1958, des représentants, plus ou moins autorisés du lobby colonial ont fait barrage. Cela a pu donner ce que l’auteur appelle une « mentalité d’assiégés », à cette minorité européenne qui considérait disposer de droits inaliénables sur la terre mise en valeur par leurs prédecesseurs dès 1830.
En 1919, alors qu’en reconnaissance du sacrifice des soldats de l’Empire morts pendant la Grande guerre, une extension de l’accès à la citoyenneté française prévue pour une petite minorité d’anciens combattants, des députés du lobby colonial viennent s’en plaindre à Georges Clémenceau. Ce dernier leur aurait répondu en leur montrant la porte : « Messieurs, je vous emmerde ! ».
Peut-être que le maintien d’une telle fermeté, même triviale, par le personnel politique de métropole aurait pu éviter bien des difficultés par la suite.

À propos de la mise en valeur du territoire de l’Algérie, dans laquelle les partisans de la nostalgérie se complaisent, il faut reconnaître que cette écriture de l’histoire n’est évidemment pas neutre ; ni totalement fausse d’ailleurs, mais pas exacte pour autant. La mise en valeur a été incontestable mais elle a été entachée dans de nombreux cas d’une spoliation des terres indigènes. Pendant la période où les États-Unis, avec l’opération Torch ont pu s’intéresser au devenir de l’Empire, en considérant que les intérêts des populations indigènes devaient être pris en compte, le lobby colonial a laissé passer l’orage avant de s’imposer à nouveau.

En 1945, les émeutes de Setif ont été traitées avec rigueur, même si le chiffre de 40000 victimes émanant des autorités algériennes doit être remis en cause et l’est d’ailleurs par tous les historiens sérieux. Au delà des chiffres, la répression de Setif et de Guelma a eu des conséquences majeures. Les populations algériennes ont subi un traumatisme majeur, ce qui a contribué à radicaliser l’opposition, tandis que les européens se sont bercés de l’idée que seule « la manière forte obligeait les arabes à se tenir tranquilles » et qu’il ne pouvait y avoir de cohabitation entre les deux communautés, indigène et européenne que reposant sur la crainte.

Une réécriture permanente de l’histoire

Plus d’un demi-siècle après la fin de la guerre, les partisans de l’Algérie française réécrivent l’histoire en évoquant la fraternité avec les indigènes, la modestie du niveau de vie moyen des colons, bien inférieur à statut égal à celui des métropolitains. « Nous jouions ensemble, nous étions dans les mêmes écoles, nous célébrions les mêmes fêtes », pouvons nous encore entendre aujourd’hui. Et si cette mémoire d’une Algérie de la douceur de vivre n’est pas absolument inexacte, elle fait peu de cas quand même du déficit de scolarisation des enfants algériens, et des différentiels de traitement face à l’administration, aux employeurs et aux services sociaux.

Albert Camus disait lui même en revenant dans son pays natal en 1945 qu’il faudrait reconquérir l’Algérie une deuxième fois « et que cette reconquête sera plus difficile que la première », tant il constate que l’état d’esprit des indigènes a pu changer.
La paix pour 10 ans, annoncée par le général Duval après la répression de Sétif a quand même fait évoluer le sentiment des populations qui comprennent alors que les possibilités d’évolution les concernant sont des illusions.

L’OAS est le résultat ultime de cette série d’occasions manquées du fait de l’aveuglement dont a fait preuve le lobby colonial qui a mis les européens, les petits blancs dans l’impasse en les mettant dans la situation de choisir entre « la valise ou le cercueil ». Mais il faut dire aussi que l’OAS n’hésitait pas devant la terreur à l’encontre des européens qualifiés de « libéraux »qui estimaient possible de construire une Algérie respectueuse des principes de la patrie des Droits de l’Homme.

15 jours après le premier novembre et la Toussaint Rouge, des européens d’Algérie constituent des réseaux de contre terrorisme, stockent des armes, organisent comme Robert Martel, le chouan de la Mitidjah » des milices. En 1956, c’est l’organisation de résistance de l’Afrique Française qui voit le jour avec le cafetier Jo Ortiz et Jean-Claude Perez entre autres.

Pour Alain Ruscio, la genèse de l’OAS se trouve aussi dans cette mentalité complotiste qui s’exprime dans les multiples réseaux constitués autour des services de police, de certains secteurs de l’administration qui agissent en sous-main pour faire échouer toutes les tentatives d’apaisement. Jacques Soustelle est tout d’abord détesté par les ultras qui parlent de lui, et de façon significative, comme du juif, Ben Soussan, avant d’en faire un héros de l’Algérie française lorsqu’il s’oppose à la politique du Général de Gaulle.
Alain Ruscio s’interroge également sur la participation des futurs cadres de l’OAS a ce qui constitue bel et bien un complot permettant de faire revenir le Général de Gaulle au pouvoir. Entre l’OAS et les Gaullistes, ce fut un mariage de raison mais ensuite un divorce de passion, marqué par une violence extrême, une fois que les Ultras avaient compris que le Général de Gaulle n’avait pas l’intention de devenir l’otage des européens d’Algérie, notamment lors de la semaine des Barricades en 1960.

Les extrémistes de l’Algérie française ont tout de même été tenus à l’écart, grâce notamment au Général Challe de la préparation du putsch d’Avril 1961. L’OAS s’est officiellement constituée à Madrid là où les vaincus de la semaine des barricades et le général Salan avaient trouvé asile. L’échec du « quarteron de généraux en retraite », s’explique par l’impréparation de la tentative, la lucidité de quelques uns et l’attentisme de beaucoup d’autres, plus que par une indifférence des appelés du contingent qui se seraient spontanément opposés aux ordres. Il n’en reste pas moins que le discours du général de Gaulle et son utilisation de l’article 16 ont fait une forte impression. Pour Challe et Zeller, le refus d’en appeler à la population européenne pour défendre la rébellion militaire était sans doute un sursaut de lucidité permettant d’éviter de faire couler le sang français. Cela concerne aussi le Commandant Hélié de Saint Marc d’ailleurs dont le sens de l’honneur, l’engagement dans la Résistance et les qualités de soldat, malgré cette participation au putsch auraient mérité un bien meilleur hommage que cette récupération biterroise de 2015.
D’autres comme Edmond Jouhaud n’avaient pas forcément les mêmes intention, et, avec Raoul Salan, ils forment une partie du le noyau dirigeant de l’OAS.
Bénéficiant de nombreuses complicités dans l’armée, les services de police, la population européenne d’Algérie, du soutien de réseaux d’extrême droite comme celui de Pierre Sidos avec Jeune Nation, de membres du mouvement Poujade, l’OAS a voulu inverser le cours de l’histoire en acculant la population européenne à l’impasse.

Une action terroriste

L’action de l’OAS relève bel et bien du terrorisme avec les attentats ciblés, les tentatives d’assassinats multiples contre le général de Gaulle, les violences aveugles contre la population musulmane, les destructions de biens publics comme l’incendie de la bibliothèque d’Alger et les provocations comme dans la rue d’Isly. Les conséquences de ce 26 mars 1962 en ont été dramatiques même si elles n’exonèrent pas un commandement défaillant et des responsabilités des forces de l’ordre.

À la terreur des attentats aveugles du FLN lors de la période 1956-1957, aux violences subies par les européens et aussi les algériens loyalistes sans compter les harkis et autres goumiers, les attentats de l’OAS pouvaient apparaître comme des répliques. Mais au moment des accords d’Évian, c’est bien à une volonté de déclencher une guerre civile que se heurtent les services de l’État. Ces derniers, les fameux « barbouzes », utilisent aussi des moyens peu acceptables et se livrent également à des cruautés qui les disqualifient également.

Les liens de l’OAS, mais aussi des barbouzes avec le milieu sont d’ailleurs avérés, et si les Ultras de l’Algérie française sont peu à peu réduits à l’impuissance, les héritiers des barbouzes se sont retrouvés dans le Service d’Action civique qui s’est sinistrement illustré dans les années 70 et jusqu’à sa dissolution.

L’ouvrage s’achève par une description des parcours post-OAS de quelques protagonistes de ces années de sang. Terroristes sans aucun doute, soldats perdus, même s’ils ont pu vouloir respecter la parole donnée et leur serment, ils ont surtout contribué à capturer la mémoire des européens d’Algérie. Omniprésents sur la toile, diffusant des mailings à chaque anniversaire du « jour de la honte », influençant le personnel politique dans les régions méridionales, ces partisans de l’OAS ont pu trouver, au moins pour certains d’entre eux, refuge au sein du Front National ou dans ce que l’on appelle la droite forte, un des courants de l’UMP.
Septuagénaires encore verts, ils influencent quand même encore une partie de l’opinion et trouvent une forme de revanche en affichant une haine de l’islam représenté par l’immigration qui s’appuie bien évidemment sur le rejet des crimes commis en son nom par les fondamentalistes islamistes.

C’est en ce sens que cet ouvrage est utile, car il permet de démythifier, et de démystifier aussi ce qui s’apparente bien à une usurpation mémorielle. Celle-ci est d’autant plus difficile à combattre que l’actualité tragique vient alimenter des préjugés.

Lorsque l’on exerce comme professeur d’histoire dans une région méridionale, là où des élèves qui sont nés presque un demi-siècle après la fin de la guerre d’Algérie, ayant des grands-parents « pieds-noirs » reprennent parfois mot pour mot à leur compte le discours de leurs aïeux, on est toujours un peu surpris.
Et pourtant, cela se passe pratiquement tous les ans. Ce phénomène n’est pas exclusif aux régions méridionales, même s’il peut y être plus spécifiquement concentré.
Il montre cependant que cette guerre d’Algérie constitue toujours une cicatrice mémorielle, et que dans ce domaine, celui de la connaissance, celui de la réflexion et de l’analyse, les praticiens de l’histoire ont toujours leur rôle à jouer. Mais encore faut-il qu’ils cherchent à aller au-delà de la reprise des manuels du second degré, et qu’ils développent cette veille scientifique indispensable sur des « questions socialement vives », comme les déchirures que la guerre d’Algérie a pu entraîner.

Bruno Modica