Comment peut-on comprendre que des manouches, appartenant à cette population que des déclarations récentes ont pu stigmatiser se soient installées dans le massif central, se sédentarisant de fait, même s’ils conservent leur mode de vie nomade et pour beaucoup d’entre eux, en marge ?

Les Manouches forment l’un des principaux groupes tsiganes d’Europe occidentale. Dans le courant du XIXème siècle, ils quittent en grand nombre le Nord de l’Alsace et l’Est de la Lorraine pour découvrir de nouvelles contrées et s’y installer. L’époque était dure. La méfiance est grande à l’égard des itinérants qui vont être soumis à des mesures de contrôle de plus en plus humiliantes au nombre desquelles, le carnet anthropométrique mis en place par la République.

La mort, marqueur identitaire

Les Manouches ont pu s’insérer dans le tissu local, dans le massif central notamment. Ils font du culte de leur morts un de leurs marqueurs identitaires et leur sociabilité s’exprime dans les diverses activités du quotidien aux multiples facettes.
Ces manouches sont d’origine germanique, venus de l’Alsace, de la Hesse ou de la Westphalie. Pourquoi sont-ils venus s’implanter dans le nord du massif central, mais aussi dans le Béarn ou en basse Normandie. Une hypothèse que l’on aurait envie de formuler serait celle de la présence du bocage, de l’eau, des hérissons aussi.
C’est la présence des morts parmi les vivants que Patrick Williams a étudiée tout particulièrement et il livre ici un travail d’ethnologue. Mais ici, la discipline vient au secours de l’histoire. Tant celle-ci est difficile d’accès vu le problème récurrent des sources écrites.
La mort dans cette culture est bien celle de la destruction des objets du défunt, si l’on est pas en mesure de les conserver. On trouve cela y compris pour les camions et autres véhicules utilitaires permettant de ramasser la ferraille, Les objets ayant appartenu à un mort sont « mulles », morts eux-aussi. C’est sans doute une façon de parler des morts que de ne pas en parler. Cela peut se traduire par l’arrêt de la consommation de ce que le mort préférait, une façon sans doute de le respecter, mais aussi de montrer que cela lui appartenait. Le rapport à l’image des morts, autorisé par la diffusion de la photographie obéit à une certaine forme de délai de carence. Ensuite la photo sera omniprésente dans la caravane, mais après un délai de décence.
Pour l’auteur, le respect des morts ne s’inscrit pas dans le passé, il est immuable. Les morts deviennent alors divinités tutélaires, références d’un groupe et ceux-ci leurs servent de ciment.

Les manouches se saignent aux quatre veines pour entretenir leurs sépultures et l’une des raisons de leur fixation dans certaines régions, souvent limitées à deux ou trois cantons, tient à la présence de leurs morts. Paradoxal pour ces nomades… Les caveaux sont de modèle familial et permettent de rassembler pour l’éternité une « famille ». Sur la pierre, le nom de la famille initiale, différent du nom d e l’état civil, le nom pour les gadgé suffit.

Parmi les découvertes de cet ouvrage, celle des rapports particuliers de cette population avec les hérissons n’est pas la moins inintéressante.

Source de protéines, assez facile à capturer, le hérisson est l’objet de plusieurs types de préparations, à l’étouffée ou en sauce forte. Sans doute cet animal qui vit à la marge des zones sauvages, qui est insectivore mais qui ne dédaigne pas quelques attaques dans les vergers ou les potagers est-il identifié aux manouches eux-mêmes ?
Cet ouvrage permet de s’initier aux méthodes de l’ethnologue, recueillant des témoignages dont certains peuvent apparaître d’une grande banalité, mais dans le même temps, ils montrent comment ce quotidien est porteur d’une conception du monde spécifique et qui a pu apparaître, du fait d’un rapport particulier au travail, dérangeante pour susciter un certain rejet.