Safdar Ahmed est un musicien (de death métal), un artiste et un éducateur vivant à Sydney. Il est l’un des fondateurs de Refugee Art Project, un collectif d’artiste né à la suite de visites au centre de Villawood, centre de détention pour les migrants situé à une trentaine de kilomètres de Sydney.
Nous sommes encore en vie est une adaptation de l’impressionnant travail réalisé par Safdar Ahmed lors d’ateliers auprès d’exilés et d’abord publié en ligne (en 2015) sous le titre Villawood, chroniques d’un centre de détention pour migrants. Villawood est géré par l’entreprise Serco, multinationale à laquelle le Royaume-Uni confie la gestion de ses prisons (l’auteur cite un ahurissant slogan en rapport avec cette multinationale : « people are our business »).
Safdar Ahmed, dans le cadre de l’atelier graphique qu’il y a animé (avant d’être remercié par le centre en raison de l’organisation d’une exposition présentant les œuvres des exilés), a pu recueillir de nombreux témoignages des effroyables souffrances des femmes et des hommes qui n’eurent pas d’autre choix que de quitter un pays dans lequel ils ne pouvaient tout simplement plus vivre. Le témoignage central est celui d’Haider, jeune afghan appartenant à la minorité des Hazaras. Après l’assassinat de son frère puis de son père, il se retrouve contraint à l’exil. Après une très longue errance qui le conduit d’Iran au Royaume-Uni, Haider reste six ans en Angleterre et y obtient un diplôme en technologies de l’information. Sa demande d’asile n’aboutit finalement pas et il se retrouve contraint à un retour en Afghanistan. Capturé par les talibans, il parvient à s’enfuir et part pour la Thaïlande avec l’espoir d’atteindre l’Australie. Il y parvient et se retrouve interné à Villawood. A la fin du roman graphique, il se voit signifier sa sortie. Il finit par trouver un emploi dans le bâtiment et agit comme sauveteur durant les week-ends.
Safdar Ahmed évoque également les politiques répressives australiennes vis à vis des exilés, l’emploi du terme de « resquilleurs » pour désigner les réfugiés ou encore ces horrifiantes zones de non-droits que furent les camps de détention des îles de Nauru et Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
L’auteur (p.151) indique que « 1637 personnes ont été détenues dans ces camps au cours de 7 années notamment 786 Afghans , 684 Irakiens et 88 Sri-Lankais. La plupart ont été reconnus comme réfugiés et ont été renvoyés vers l’Australie ou d’autres pays ». Les camps ont fonctionné de 2001 à 2008 puis de 2012 à 2017.
Nous sommes encore en vie est un extraordinaire témoignage, d’une très grande humanité là où ne règne souvent que désespérance pour les déracinés. Il s’inscrit dans une lignée de romans graphiques de grande qualité comme Trois histoires de réfugiés ou encore Profession solidaire.
Nous sommes encore en vie pourra également servir dans le cadre d’une séquence consacrée aux mouvements de population à l’échelle de la planète.
Grégoire Masson