Bertrand Badie et Dominique Vidal, nouveaux acteurs nouvelle donne, l’état du monde 2012 éditions la découverte septembre 2011

La rédaction de cet ouvrage a été achevée les 30 juin 2011, ce qui signifie que en termes d’actualité, seuls les six premiers mois de l’année 2011 sont effectivement traités. Toutefois, cet ouvrage que les plus anciens d’entre nous connaissent sous le nom de « l’état du monde » lancé en 1981, reste toujours une référence commode, d’autant que cette encyclopédie de l’État du monde désormais accessible en ligne sur abonnement, et à un prix parfaitement abordable, moins de 10 €, pour l’année, permet de disposer de 30 ans d’archives de cette publication.
L’état du monde comme le disent les auteurs en avant-propos peut être considérés comme un roman vrai de l’actualité mondiale, avec des auteurs qui présentent leurs centres d’intérêts spécifiques sur différents sujets. L’ouvrage est organisé en trois parties, la première concerne les ruptures et bien entendu il y est question de l’anatomie des printemps arabes, à la fois mouvement social et mouvement protestataire contre les violations répétées des droits de l’homme de ces régimes, pourtant amis de l’Occident, à l’exception notable de la Libye. En fait, l’article qui peut être éclaire les plus sur cette période, est bien celui de Bertrand Badie professeur à l’institut d’études politiques de Paris, qui explique que : « le social défie les politiques et fait trembler l’international ». Les systèmes politiques ont eu extrêmement de mal à comprendre ce qui était en jeu lorsqu’ils ont vu ce qui se déroulait dans la rue. L’idée fétiche de stabilité a été ébranlée mais ne l’a pas été par des partis politiques structurels, mais simplement par des mouvements populaires au sens premier du terme associant différentes catégories de la société, n’ayant pas nécessairement les mêmes objectifs si ce n’est celui de faire « dégager » le pouvoir en place depuis plusieurs décennies. Évidemment, dans un tel contexte, il n’était pas évident de prévoir voire d’envisager les évolutions qui se sont poursuivies après juin 2011. D’après Jean-Marie Cléry, qui écrit cet article sur les révolutions arabes, la montée en puissance des mouvements islamistes a paradoxalement joué un rôle significatif dans la longévité des régimes autoritaires à laquelle elle a longtemps présenté, aux yeux des dirigeants et des médias occidentaux une alternative parfaitement inacceptable. Le souvenir de l’Iran, où l’on a assisté plutôt avec bienveillance à la chute du chah d’Iran en 1979, a incontestablement laissé des traces. Mieux vaut finalement un leader autoritaire mais « moderniste et laïque », même très largement corrompu, qu’un régime « intégriste » sous forme théocratique. Dans un premier temps, pendant les premières manifestations en Tunisie comme en Égypte, les observateurs notaient « l’absence des islamistes » et présentaient ses révolutions arabes comme un échec de l’islam politique. Les résultats des élections en Tunisie comme en Égypte, certaines déclarations du conseil national de transition Libye, l’organisation des émeutes en Syrie, ont apporté depuis un démenti cinglant à ce vœu pieux.
Bien au contraire, une forme de radicalisation vient déborder les frères musulmans, traditionnellement opposants, avec les mouvements salafistes.

La deuxième partie de l’ouvrage présente les transitions, avec des institutions qui sont à la fois capables d’utiliser la force d’inertie, comme un moyen de résistance au changement. C’est ainsi que l’on qualifie la réforme creuse du fonds monétaire international, qui ne semble pas douter le monde d’un instrument de gouvernance mondiale suffisamment efficient, tout comme le sauvetage financier du privé associé à des déficits publics qui permettent aux agences de notation de prendre acte des difficultés des états à rembourser les dettes abyssales dans lesquelles ils s’enfoncent. Encore une fois, on sait depuis juin 2011, que les banques devront procéder à de nouvelles recapitalisations, mais qui n’est pas évident que cette fois-ci les états viennent au secours du système bancaire. La dévalorisation des créances est un scénario envisageable, s’il n’existe pas de possibilité de résorption par la croissance économique. L’austérité et les prélèvements sur la consommation, dès lors qu’elles amputent le pouvoir d’achat, empêchent que le cercle vertueux de la croissance ne se met en place pour venir combler ses déficits.
Parmi les articles qui seront lus également avec beaucoup d’attention, celui sur les réseaux sociaux, comme outil de subversion, rédigé par Philippe Rivière journaliste au monde diplomatique, pose tout de même un certain nombre de questions. Les réseaux sociaux du Web 2.0 ont incontestablement été ressentis par les populations en révolte contre leurs dirigeants comme une sorte de « territoire libéré », pourtant, dictateurs et présidents à vie, avait parfaitement conscience de l’intérêt de manipuler ces outils. L’agence tunisienne information, le gouvernement soudanais, ont utilisé la mobilisation sur Facebook pour amener des opposants à se démasquer. Mais cela n’a pas suffi pour autant inverser la marche de l’histoire. On trouvera d’ailleurs dans cet article une explication de l’efficacité du grand « pare-feu chinois, permettant à la fois de fermer les accès et de filtrer les connexions au réseau, en analysant le contenu de chaque transaction. Un système de terme banni, et donc épié, permet ensuite d’affiner le contrôle de l’Internet. On apprendra d’ailleurs dans cet article que cette technologie, équivalent numérique de la fouille corporelle porte un nom, DPI, ce qui signifie littéralement, inspection profonde des paquets, il s’agit bien entendu des paquets de données numériques. On apprendra également avec plaisir, puisqu’un consensus assez large se développe aujourd’hui sur le « produire français », que c’est notre pays qui est l’un des tout premiers spécialistes de cette technologie qu’elle exporte vers des états assez peu regardants en matière de droits de l’homme. Cela conduit les pouvoirs, ceux qui ont le plus à craindre d’une circulation de l’information, à investir désormais la toile. Les partis politiques enjoignent leurs militants d’intervenir sur les forums et sur le blog avec des commentaires, le ministère français de la défense fait appel à des prestataires pour savoir ce qui se dit sur les blog à propos de la guerre en Afghanistan, et il existe même ministère de l’éducation nationale une cellule de veille sur les « faiseurs d’opinion » sur la toile. Il faut se garder de la croyance naïve dans la nature émancipatrice de la communication en ligne qui repose sur un refus obstiné de prendre en considération ses aspects négatifs. Le vent de révolte qui a marqué l’année 2011 a certes utilisé et ce que l’on appellera ici les tuyaux numériques mais les contenus qui transitaient par ces tuyaux aboutissaient à une mobilisation effective et concrète sur le terrain. L’omniprésence sur le réseau des réseaux ne suffit pas à inverser le cours de l’histoire.

Enfin dans la troisième partie, « conflits et enjeux régionaux », il sera question de plusieurs territoires qui ont été à la haine de l’actualité cette année très clairement le Moyen-Orient est au centre des préoccupations, avec l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, la Turquie et le Pakistan, le tout à partir d’une interrogation sur le rôle des États-Unis dans la région, un pays qui apparaît comme « un géant impuissant » il est clair que la capacité de l’administration de Barak Obama à sortir une solution face au blocage de la situation dans le conflit Israëlo palestinien peut très largement handicapé la politique étrangère des États-Unis dans la région au passage, on sait que depuis quelques mois, l’administration démocrate, a décidé de redéployer ses moyens, sur fond de retrait des troupes d’Irak pour cette année et d’Afghanistan à l’horizon 2014 en Asie avec une réinstallation de la présence de l’aéronavale en Asie du Sud et du Sud-Est. Les derniers et articles méritent d’être lus à la lumière de l’évolution actuelle de l’Hongrie, la désillusion des pays d’Europe centrale et orientale à l’égard de l’union européenne favorisant une montée du populisme, un mécontentement intérieur transféré sur l’union européenne qui peut favoriser des replis nationalistes et xénophobes comme à Budapest.
Très utile dans le cadre d’une préparation de concours ou d’examen, ce nouvel état du monde permet de balayer les grandes tendances en matière de relations internationales mais également des phénomènes socio-politiques dans des ensembles régionaux qui auraient tendance, sur fond de crise à se replier sur eux-mêmes. C’est très clairement ce que l’on assiste à propos de la façon dont les États-Unis aujourd’hui envisagent la crise de leur partenaire d’outre-Atlantique, à savoir l’union européenne. Les États-Unis ne sont pas en capacité de s’investir pour jouer un rôle régulateur, ils n’ont plus les moyens et depuis longtemps et il se contentent, à partir de leur pré carré, d’observer les évolutions de la vieille Europe tout en se projetant vers le monde asiatique qui apparaît très clairement comme leur nouvelle frontière. Paradoxalement, la Chine et ses évolutions récentes ne sont pas traitées dans ce recueil, peut-être parce qu’il faut attendre les changements prévus à la tête de l’État et du parti qui devrait se dérouler au cours de l’année 2012.

Bruno Modica