Professeur d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Paris-Sorbonne et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Dominique Barthélemy vient de publier un essai sur l’histoire de la dynastie capétienne, lequel a paru aux éditions du Seuil. C’est sous un jour nouveau que l’historien revisite la trajectoire de cette dynastie.
Avec le recul, les Capétiens constituent une famille royale tout à fait centrale dans l’histoire de France. Initialement faible, cette dynastie établie en 987 est néanmoins parvenue à traverser le « rude et farouche du XIe siècle ». Pis, elle s’est solidement enracinée au point de réussir finalement à fonder son hégémonie dans le royaume de France. La troisième dynastie des rois de France, apprend-on dans cet ouvrage agréable à lire, a toujours accueilli les reines étrangères, mais elle n’a jamais reconnu le droit des femmes à régner. En effet, si elle a toujours reçu des dots, elle n’en donna point.
L’avènement des Capétiens contribua à fixer les populations. D’origine saxonne, ils s’établirent dans l’Anjou. Comme l’a naguère écrit le grand historien Jules Michelet, « cette fixité de la dynastie est une des choses qui ont le plus contribué à garantir l’unité, la personnalité de notre mobile patrie ». Dans cet essai d’une érudition tous azimuts, l’historien Dominique Barthélemy s’efforce de répondre à la question fondamentale de savoir comment les Capétiens réussirent le tour de force consistant à se développer au milieu de mille périls.
Il faut en effet rappeler que les derniers Carolingiens avaient sensiblement abaissé la fonction royale. Cependant, l’arrivée aux affaires de la dynastie des Capétiens suscita énormément d’espoirs dans toutes les classes de la population. Pour Dominique Barthelemy, les guerres féodales et le rôle de l’Église contribuèrent à renforcer la stabilité sociale autour de « l’an mil ». Sous la plume de l’auteur, cette histoire de la dynastie capétienne de la France féodale et chrétienne n’est plus considérée comme celle d’une évolution lente mais sûre vers la prépondérance royale.
Initialement mieux assurés que ce que l’on a parfois cru, les Capétiens risquèrent plusieurs fois d’être déstabilisés vers1100. La réforme de l’Église et l’essor des communes urbaines furent d’abord des problèmes pour eux et des atouts pour leurs rivaux, même s’ils jouèrent finalement en leur faveur. C’est une histoire palpitante, dans laquelle le destin le des rois ne se sépare pas de celui de toute la société française, que revit ici, autour d’eux, avec les imprécations des moines, l’orgueil des chevaliers, et parfois la rage des serfs.
Les capétiens sont partis de très bas en 987, c’est-à-dire d’un simple titre royal très dévalué, acquis à la sauvette par Hugues Capet et aussi d’une très étroite bande de terre entre Paris et Orléans, jalonnée de châteaux à demi hostiles. Jusqu’au règne de Philippe Auguste, les Capétiens donnèrent l’impression de joueurs ayant certes de bonnes cartes entre leurs mains, mais les utilisant très mal. Son surnom d’Auguste ne fut pas très employé de son vivant. Lorsqu’il le fut, il s’agissait essentiellement de mettre en évidence le fait qu’il avait contribué à élargir le domaine de la couronne.
Leur histoire fut pleine d’aléas et de suspense. Cette histoire, à force de marche et de contremarches, donne d’ailleurs le tournis au non-initié que l’historien Dominique Barthélemy parvient néanmoins à dissiper. Le roi vivait parfois avec une concubine, i.e. dans le pêché selon les critères moraux et religieux de l’époque. A cause de l’Eglise et de son travail de sape, les rois capétiens souffraient souvent d’un discrédit. Les Capétiens furent les premiers rois à être adoubés. Peu à peu, ils réussirent au surplus à créer un véritable palais institutionnel (avec sénéchal, chambriers, connétables, bouteillers, etc.). Les principaux serviteurs du roi étaient issus de la petite noblesse.
Les communes urbaines devinrent, quant à elles, de plus en plus oligarchiques. Les rois capétiens s’émancipèrent de plus en plus des conseils parfois étouffants de leurs entourages afin de se ménager de grandes marges de manœuvre et pour faire reculer les guerres féodales. Au final, si le royaume de France était mieux rassemblé que l’Allemagne et l’Italie, il ne l’était pas aussi bien que le royaume d’Angleterre.
Dominique Barthélémy constate, au cours de ce brillant essai, « que l’hégémonie royale, acquise en quelques années (1204 1214), n’a donc pu coïncider avec un changement social rapide ». La mutation de l’an1200 ne fut guère que politique. S’il faut lui reconnaitre un soubassement social, mieux vaut penser qu’« elle a réajusté les choses, comme il fallait, ou à peu près, pour que la société féodale subsiste, parée de chevalerie, légitimée par l’Eglise, flanquée en contrebas de quelque bourgeois complices ». Avec Philippe Auguste, les grandes puissances féodales s’affaissèrent et il créa l’assemblée des pairs pour lui fournir aide et conseil.
L’ouvrage de Dominique Barthélemy est passionnant : fourmillant de détails et d’anecdotes, le présent essai propose une synthèse très solide et documentée de l’histoire de la dynastie capétienne.
Jean-Paul Fourmont