La liaison du Président de la République française François Hollande avec la comédienne Julie Gayet mise à l’honneur par les tabloïds de la presse people voici un an, le 10 janvier 2014, n’est pas sans rappeler cette question taraudant l’histoire (et les petites histoires) du pouvoir politique : Comment définir la limite existant (ou devant exister) pour les représentants du pouvoir entre l’espace public et l’espace privé ? La problématique est donc celle de la double représentation, à priori dichotomique, de la « chose privée » et de la « chose publique » (Res publica). Cette idée de l’existence des deux corps sacré et naturel réunis dans la personne du gouvernant fut particulièrement travaillée par l’historien Ernst Kantorowicz.
Le volume présenté ici, paru en 2000, comprend les deux ouvrages essentiels d’Ernst Kantorowicz : L’Empereur Frédéric II (1927, traduit en français en 1987) et Les Deux Corps du Roi (1957, traduit en 1989), suivi de Histoire d’un historien, Kantorowicz postface de 1990 par Alain Boureau.
Ernst Kantorowicz et Frédéric II de Hohenstauffen : les « Chevaliers intellectuels », destructeurs de mythes …
Ernst Hartwig Kantorowicz (3 mai 1895 – 9 septembre 1963) est un historien allemand naturalisé américain, né à Pozen, dans une famille juive aisée ayant réussi dans le commerce des spiritueux. Après des études d’ingénieur commercial à Hambourg avant la Première Guerre mondiale, il se dirige vers des études de philosophie puis d’histoire médiévale à la faculté de Berlin puis à celle de Heidelberg. Le confort matériel de sa vie est peut-être alors à l’origine de ses conceptions politiques et sociales. Il fréquente, en effet, le Cercle du poète Stefan George qui sera pour lui un maître à penser. Ce Cercle culturel rassemble de jeunes esthètes empreints d’idées pour le moins conservatrices voire réactionnaires et amène Kantorowicz à participer activement, dans les Corps Francs, à l’écrasement de l’insurrection Spartakiste berlinoise d’abord, puis à celui de la République des Conseils de Munich mise en place par l’extrême gauche allemande.
La Première Guerre mondiale avait été pour lui matière à exprimer sa fougue et sa verve nationaliste, les armes à la main. Plusieurs fois blessé, il est décoré pour sa bravoure sur le front ouest.
Ses conceptions nationalistes rejaillissent ensuite dans sa production littéraire. Il publie en 1927 une œuvre qui fait date immédiatement : L’Empereur Frédéric II. Cette biographie, empreinte d’érudition mais aussi de lyrisme, embrasse l’esprit national allemand à un moment où le besoin semble se faire sentir Outre – Rhin de renouer avec les hauts faits historiques de la « Germanie ». Le chef du Saint Empire Romain Germanique (1194 – 1250) tombe à point nommé comme objet d’étude pour lui et pour le public cultivé qui fut nombreux à le lire. Sa biographie permit à Ernst Kantorowicz d’acquérir une renommée rapide et ce, sans aucune carrière universitaire véritable, par la seule grâce de sa plume enlevée. L’historien, homme du monde élégant et à la tenue vestimentaire toujours soignée, cultive dans sa gestuelle et son langage, une recherche de l’excellence et de la distinction. Il fut d’ailleurs comparé en son temps à un « chevalier » Stefan George ou à un « escrimeur », virtuose du fleuret Robert Boehringer. La réussite professionnelle d’Ernst Kantorowicz ne se révèle qu’à ce moment – là, surfant sur le succès de librairie et les ventes importantes de son livre (10 000 exemplaires vendus en quelques années !). Pourtant, les critiques de ses pairs, tel Alfred Brackmann, furent virulentes. Dans une conférence en 1929 intitulée : « L’Empereur Frédéric II sous un regard mythique », l’historien positiviste attaque les présupposés idéologiques de Kantorowicz et parle de « mythographie ». Il lui reproche particulièrement l’absence complète de sources en fin d’ouvrage, comme c’est la règle habituelle, et donc sa méthode douteuse d’élaboration du discours. Kantorowicz répond mais prend soin d’écrire un volume complet de sources concernant son ouvrage, manière pour lui de reconnaître sa faiblesse en donnant satisfaction à ses détracteurs.
La montée des idées nationalistes dans le contexte troublé et potentiellement violent de la République de Weimar (1919 – 1933) ne sont pas, d’abord, pour déplaire à Kantorowicz, lui qui écrivit de l’Allemand qu’il était « cette créature unique qui contient en elle l’univers ». Cependant, il n’adhère pas non plus aux idées nazies en pleine progression à la suite de la crise économique de 1929 puisque le NSDAP apparaît à ses yeux comme un parti au discours révolutionnaire, s’appuyant sur les masses et au caractère philistin et anti-intellectuel. Quant à l’antisémitisme, essentiel dans le corpus idéologique du nazisme, il place l’historien de culture juive (non pratiquant et même probablement athée…), en tant que personne, dans le camp des « ennemis » ontologiques et irréductibles de la cause du mouvement et ce malgré ses convictions pangermanistes et nationalistes. Les blessures et décorations militaires reçues par l’écrivain pendant la guerre contre les Français et les communistes allemands ne changèrent rien à l’affaire. Pas davantage le fait que sa biographie, livre de chevet d’Adolph Hitler, fut offerte par le Führer en personne à Benito Mussolini en 1938, à l’occasion de la grande exposition que celui-ci organisa à Rome en l’honneur d’Auguste et de l’Empire romain. L’oeuvre des Hohenstauffen apparaît comme la continuation de l’Empire romain initial et le livre de Kantorowicz a pu servir de lien entre les deux régimes à tendance hégémoniques, d’autant plus que le Stauffen régnait conjointement en Allemagne et en Italie… L’historien tenta de se maintenir en place à l’université de Francfort où il enseignait, mais ses cours, de plus en plus perturbés par les étudiants nazis et la volonté des autorités universitaires de le cantonner à des sujets le renvoyant à une judéité qu’il n’a jamais revendiquée, le firent hésiter sur la conduite à tenir pour la suite de sa carrière. C’est finalement l’obligation faite par le régime nazi de prêter un serment d’allégeance à tout enseignant universitaire qui le poussa à partir.
Après un passage rapide à Oxford (1939) où il rencontra l’historien français Marc Bloch, il quitta définitivement l’Europe pour se réfugier aux Etats-Unis, à l’Université de Californie à Berkeley. Il y continua des recherches sur la fabrique des mythes liés au pouvoir. Sa période de référence étant le Moyen Age, il travailla sur les fondements symboliques du pouvoir royal dans la monarchie anglaise. Son essai de théologie médiévale visait à dégager les origines de la mise en œuvre de l’incorporation de la couronne britannique et de l’Etat dans le corps naturel du souverain : Les Deux Corps du Roi. Face aux critiques reçues précédemment par Alfred Brackmann et d’autres, il rectifie le tir quand il crée ce chef d’œuvre d’érudition éblouissante. Dans ce livre, Kantorowicz analyse le corps du roi comme « double selon la théologie juridique formée au Moyen Age, puisqu’il comporte, outre l’élément transitoire qui naît et meurt, un autre qui, lui, demeure à travers le temps et se maintient comme le support physique et pourtant intangible du royaume » Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975, p 33. Ce travail sur la nature du pouvoir, et notamment sur sa « sacralité » Thème aussi étudié par Marc Bloch, dans sa thèse Les Rois thaumaturges, Etude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, publiée en 1924, trois années avant le Kaiser Friedrich der Zweite, d’Ernst Kantorowicz, inspira par la suite nombre de chercheurs tel Ralph Giesey et Alain Boureau.
Hélas !, ce « patriote apatride » Alain Boureau qu’est devenu Ernst Kantorowicz doit partir de l’université de Berkeley pour les mêmes raisons qui l’avait fait quitter Francfort : l’obligation de prêter serment en faveur du pouvoir politique, alors en pleine « chasse aux sorcières » communiste, menée sous la houlette du sénateur Mc Carthy. Par principe et refus de se soumettre au « diktat » des autorités universitaires, Kantorowicz manifeste avec la gauche américaine, en contradiction apparente avec ses méthodes d’expression et son appartenance politique conservatrice. L’indépendance et la liberté vis-à-vis du pouvoir, quel qu’il soit, sont donc les vertus cardinales défendues par l’historien. C’est pourquoi Ernst Kantorowicz est finalement accueilli à New York, par l’université de Princeton, où il enseigne ensuite et jusqu’à sa mort en 1968.
Ernst Kantorowicz devenu un mythe : « Le monument EK » Alain Boureau…
Dans l’édition Quarto Gallimard, les deux œuvres principales d’Ernst Kantorowicz sont suivies du texte d’Alain Boureau concernant la vie et le travail de l’auteur. Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Alain Boureau est spécialiste d’histoire intellectuelle de la fin du Moyen âge. Il a fondé et dirige le groupe d’anthropologie scolastique. L’épistémologie de l’histoire et la critique des textes médiévaux sont les aspects les plus marquants de son travail. Il cherche à démonter les mythes construits par les croyances et les discours les énonçant, tel celui de Jacques de Voragine « La Légende dorée ». Sa thèse de Troisième Cycle le concernant fut publiée chez Cerf La Légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine en 1984. Par la suite, il publia de nombreux ouvrages dont La papesse Jeanne (Aubier, 1988) ou encore Le Droit de cuissage. Histoire de la fabrication d’un mythe, XIIIe-XXe siècle (Albin Michel, 1995). Cette entreprise de démêlage et démontage des mythes suppose une vaste connaissance du contexte historique tant dans ses aspects touchant à la construction théologique, la pratique juridique et à la philosophie politique, les liens entre les trois étant souvent inextricablement mêlés à cette époque. Le mérite de ce travail de « mise en intelligence » peut alors permettre d’éclairer la compréhension de la réalité productrice des mythes. Qui de mieux armé et adapté qu’Alain Boureau pouvait s‘attaquer au monument historien « Kantorowicz », générateur par la grâce de son discours du mythe concernant l’Empereur allemand et, de façon indirecte, de sa propre personne ?
L’intérêt didactique et pédagogique de la vie et de l’œuvre de Kantorowicz
Le travail d’Ernst Kantorowicz permet d’abord d’éclairer par l’explication des phénomènes pouvant sembler incarner le merveilleux, le mythique et de contribuer ainsi à « désenchanter » le monde d’hier par l’analyse et la critique constructive, qui n’a de sens que si elle déconstruit le mythe pour mieux révéler l’état du monde réel.
Ceci étant, les aspects de la vie de Frédéric II racontés par l’auteur peuvent très bien illustrer le contexte politique mais aussi culturel de l’époque, en évoquant précisément une personnalité atypique, que l’on pourrait dire « d’avant – garde ». Le souverain Hohenstauffen, impressionnant et surnommé par ses contemporains « Stupor Mundi » La stupeur du monde annonce, par bien des aspects, les princes de la Renaissance Nietzsche le comparait d’ailleurs à Léonard de Vinci. C’est un précurseur et son exemple peut être utilisé pour introduire le chapitre d’Histoire de 5e « Les bouleversements culturels et intellectuels (XVe – XVIIe siècle) ».
Il est en effet, le créateur d’un Etat pré-laïc (le royaume de Sicile qu’il réorganise complètement). Il privilégia presque toujours les affaires d’Etat aux affaires religieuses, en menant une lutte sans merci contre la papauté de Grégoire IX pour la suprématie temporelle mais aussi spirituelle de l’univers. Il préfigure ainsi les souverains absolutistes de l’époque moderne. Antithèse de François d’Assise, il est « Héraklès Musagète » et incarne le « Chevalier intellectuel » en lieu et place du « Chevalier spirituel ». En critiquant la richesse matérielle de l’Eglise et en affirmant une relation directe à Dieu sans passer par le clergé, il annonce la Réforme. Il affiche, de façon parfois scandaleuse, un goût certain et proclamé pour les choses de l’esprit à caractère profane Développement sous son aile en Sicile et en Apulie d’une sculpture non religieuse mais néanmoins sacrée avec Nicola Pisano. Son empirisme dans la manière de concevoir les domaines politique et culturel est bien connu. Il s’entoure de nombreux savants tels le mathématicien Léonardo Fibonacci de Pise ou Michel Scott. En esprit scientifique du temps, voulant découvrir si les Hommes possédaient un langage inné et lequel il pourrait être, il fait mettre à l’isolement complet plusieurs enfants en bas âge avec interdiction à quiconque de communiquer avec eux. Les enfants meurent précocement, mais cette tentative atteste néanmoins d’un esprit pragmatique, tenant ostensiblement à l’écart la main mise de la religion sur les choses de l’esprit. Ce qui explique le jugement qu’il édicta dans le Liber augustalis Les fameuses Constitutions de Melfi, 1231 à propos des ordalies, alors couramment pratiquées : « Nous, qui étudions la science véritable des lois et rejetons les erreurs, abolissons de nos cours ces preuves que les simples appellent apparentes, qui ne tiennent pas compte de la nature physique ni ne correspondent à la vérité ; nous décidons que ces opinions doivent être frappées de nullité, et non pas simplement corrigées, puisqu’elles font croire que la chaleur naturelle du fer chaud peut se rafraîchir, ou ce qui est encore plus sot, devenir froid pur sans aucune raison valable, ou que l’eau froide ne peut accepter en elle un homme coupable en raison de sa mauvaise conscience, alors qu’en fait seule la rétention d’un volume suffisant d’air l’empêche de couler. » (p. 1281). Par ailleurs, Frédéric II parle 9 langues et en écrit 7, n’hésite pas lui-même à produire un savoir par l’écriture, en témoigne son traité de zoologie, « De arte venandi cum avibus » Sur l’art de chasser avec les oiseaux, longtemps reconnu et célébré en son temps par l’historien Leopold von Ranke (1795 – 1886). L’introduction du traité comporte la phrase suivante : « Notre intention est de manifester les choses qui sont telles qu’elles sont ». Quant aux dessins de l’ouvrage, réalisés par l’empereur lui – même, ils témoignent des débuts de la science expérimentale par l’importance reconnue aux sens et en l’occurrence à la vue pour l’approche de la vérité. Ces différents exemples ne sont pas sans annoncer la révolution culturelle connue ensuite par l’Europe à l’époque moderne, mise en évidence par Paul Hazard La crise de la conscience européenne, 1680 – 1715, 1961. Cette dernière est basée sur la raison et nommée au XVIIIe siècle les « Lumières ». On peut ainsi montrer aux élèves de niveau 4e que ces éléments n’apparaissent pas subitement, mais que de lentes maturations intellectuelles trouvant leurs origines au Moyen Age ont œuvré patiemment dans cette direction (Chapitre d’Histoire « L’Europe des Lumières »).
Enfin, Frédéric II réussit la « 6e croisade » (Traité de Jaffa, 1228) en reprenant Jérusalem, sans verser le sang, par la grâce de la diplomatie et des affinités électives partagées avec le chef musulman, le Sultan Al-Khamil. Jérusalem resta ensuite chrétienne jusqu’à la mort du sultan, ami sincère du « Fléau de Dieu ». Cette amitié, qu’il ne renia jamais, fut parfois difficile à faire accepter dans le contexte d’alors. Elle a néanmoins le mérite, vis – à vis des élèves d’aujourd’hui, de relativiser quelque peu la théorie du « Choc des civilisations » chère à Samuel Huntington The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, 1996 et traduite en français par Le choc des civilisations et la refondation de l’ordre mondial en 1997. Ces éléments peuvent être utilisés en niveau 5e, dans les chapitres d’Histoire intitulés « Les débuts de l’Islam » et « L’expansion de l’Occident ».
De ce qui précède, il ressort que la figure du souverain peut donc être évoquée comme transitoire entre un cours sur le Moyen âge et un autre sur la Renaissance (niveau 5e et en 2nde), de façon à montrer le caractère certes commode, mais néanmoins artificiel, des catégorisations chronologiques, déjà mis en lumière par Johan Huizinga dés 1919 Herfsttij der Middelwen, traduit par Le déclin du Moyen Age, en 1932 puis L’automne du Moyen Age en 1975.
Enfin, l’exemple de Frédéric II montre que les contacts entre les différentes civilisations étaient importants à certains endroits de l’Europe comme dans les Etats Latins d’Orient mais aussi en Sicile dans le royaume de Naples, comme ce fut d’ailleurs déjà le cas précédemment avec Roger II (1095 – 1154). Il contribue ce faisant à l’émergence d’une société nouvelle, aux assemblages voire métissages prononcés Exemples utiles en lien avec le programme de 5e et les chapitres d’Histoire « Les débuts de l’Islam », « Féodaux, souverains, premiers Etats », « Regards sur l’Afrique » et le chapitre d’Education Civique « Des êtres humains, une seule humanité ». L’image même de son armée Qui, bien qu’étant celle du récipiendaire de l’idée romaine d’empire « universel », ressemble davantage à celle de Darius qu’à celle de César accompagnée toujours de sa ménagerie exotique est une description éclairante : « Ce n’était pas l’armée d’un général romain précédant les pas sonores des légions bien entraînées mais le cortège du Cosmocrator qui disposait des hommes et des animaux de toutes les régions du monde, comparable au roi des rois de la Perse conduisant ses peuples contre les cités grecques » (p. 434).
Le Double Corps du Roi permet d’expliquer comment le pouvoir royal est littéralement incarné par la personne du roi, un contenu utilisable en niveau 5e Chapitre d’Histoire « Féodaux, souverains, Premiers Etats » et « L’émergence du roi absolu » et encore en 4e Partie 1 d’Histoire : « L’Europe dans le monde au XVIIIe siècle ». Le contexte historique est en effet celui de l’affirmation de l’Etat comme élément incorporé par le souverain, doté à la fois d’un corps naturel et d’un corps symbolique, immanent, intangible et, en tant que tel, éternel. On utilisera avec profit la caricature de William Thackeray (1811 – 1863) du fameux portrait de sacre de Louis XIV (par Hyacinthe Rigaud) qui date de 1840 (p 937). Là où Rigaud fait l’étalage des insignes royaux comme révélateur de la « Majesté de Dieu », Thackeray place côte à côte « le pompeux portrait officiel et ses deux composantes : le pitoyable corps naturel du roi et un mannequin affublé des insignes royaux. » Il ne s’agirait dès lors que de l’illustration visible et compréhensible par des élèves de l’expression du légiste Pierre Grégoire (fin du XVIe siècle) : « La Majesté de Dieu apparaît dans le Prince extérieurement, pour le service des sujets ; mais intérieurement demeure ce qui est humain » (p. 936).
La vie de Kantorowicz, elle-même, a fonction d’exemplum permettant de brosser le destin d’un homme en butte aux soubresauts du tumultueux XXe siècle. Le niveau de 3e s’y prête remarquablement bien. L’homme se montre ainsi résolument attaché à sa liberté par devers tout. Il refuse ainsi, systématiquement, de prêter serment au pouvoir politique en place, quel qu’il soit !
Il apparaît finalement un Kantorowicz « double corps » de Frédéric II, à la fois créature et créateur de l’empereur : allemand, « Chevalier intellectuel » mais ouvert au sacré, … et comme lui une personnalité infiniment complexe qui fait son intérêt et suscite la fascination. Il écrivit : « Cet esprit libre a édicté des lois contre les hérétiques. L’ami des Sarrasins a pris la croix pour les combattre. Celui qui lutta contre la bourgeoisie des villes attira précisément celle-ci à sa cour. L’homme qui, plus qu’aucun autre, suscitait la liberté, fut contraint de la détruire à sa naissance. Lui à qui échut la monarchie universelle se concentra totalement sur l’Italie. Lui qui n’avait que mépris pour les prêtres se donna lui-même pour prêtre. Lui, l’empereur chrétien, mina les fondements de l’image chrétienne du monde par ses recherches et ses interrogations. Finalement, celui qui voulait être le Messie pouvait tout aussi bien être le fléau de Dieu et le marteau qui frappe le monde. Mais n’appauvrit-on pas le génie en exigeant de lui qu’il se laisse interpréter de façon univoque ? » (p. 568).
Emmanuel Didier – Fèvre © Les Clionautes