Voici la version « poche » de l’ouvrage L’impensable défaite – L’Allemagne déchirée 1918-1933 publié chez Belin en 2019. L’auteur, Gerd Krumeich, est professeur émérite de l’université de Düsseldorf, co-fondateur de l’Historial de Péronne et co-président du Conseil scientifique de l’Historial du Hartmannswillerkopf. Il a notamment publié Verdun 1916 – Une histoire franco-allemande de la bataille (avec A. Prost) et Jeanne d’Arc à travers l’histoire

Je ne reviendrai pas ici sur le contenu de l’ouvrage à proprement dit, le collègue Gilles Legroux s’en étant déjà chargé à la sortie de l’ouvrage en 2019. Je m’attarderai davantage sur les motivations de cet essai, explicitées par l’auteur, et qui sont particulièrement intéressantes afin de saisir l’intérêt tout particulier de l’ouvrage de Gerd Krumeich. L’impensable défaite est la réponse à un cheminement et à un questionnement d’historien et tente de répondre à cette interrogation : « Dans quelle mesure Hitler et le nazisme ont-ils été le résultat de la guerre perdue, de l’impensable défaite et du traumatisme de Versailles ? ».

L’auteur ne livre pas ici une histoire comparée, comme il a su le faire avec Antoine Prost par exemple, mais tente d’expliquer aux lecteurs français ce que fut l’esprit de « Ceux de 14 » côté allemand. Dans L’impensable défaite Gerd Krumeich, en historien des mentalités comme il se désigne lui-même, essaye de saisir dans les profondeurs les pensées de ceux qui ont fait la guerre comme de ceux et celles qui ne l’ont vue et subie que de très loin. C’est donc l’histoire d’un traumatisme collectif et du syndrome d’amertume de la société allemande, amertume incarnée par le « Diktat de Versailles » et le « coup de poignard dans le dos ». Ainsi, le lecteur comprend comment la culture de guerre allemande à l’origine de la conviction d’avoir mené une guerre juste ainsi que la haine immense qui résulta de l’expérience de guerre et du traité de Versailles, ne pouvant se libérer par la bataille contre un ennemi extérieur, déborda d’une autre manière.

Il ne faut pas s’attendre non plus à une nouvelle histoire de la République de Weimar. Gerd Krumeich s’intéresse ici à un héritage lourd de conséquences en proposant une vision inédite des frustrations que la défaite de 1914-1918 a provoquées chez les Allemands dès la fin de la guerre et sous la République de Weimar. Pour Krumeich, cette dernière « est née de la Première Guerre mondiale et en est restée l’enfant, sa vie durant ». Hitler et les nazis sauront justement recourir à cette culture mémorielle entourée d’une omniprésence émotionnelle afin d’arriver au pouvoir en 1933.

Au final, un très bel et riche ouvrage de Gerd Krumeich permettant de mieux saisir les mentalités allemandes face aux traumatismes liés à la défaite de 14-18. Poursuivant les études antérieures de Wolfang Schievelbusch, de Boris Barth, de Nicolas Beaupré ou Wilhelm Deist, l’auteur y analyse en profondeur le vécu des Allemands face à la guerre et à sa fin et se penche sur « la question du passage d’une myriade de traumatismes individuels à un traumatisme collectif ».

 

« Le sort funeste de la République de Weimar fut lié au fait qu’elle avait été incapable de trouver une réponse à défaite qui soit susceptible de conduire les Allemands à surmonter, tout au moins en partie, la haine et la discorde ».

 

 

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux