Germain Viatte, Conservateur général du patrimoine et responsable jusqu’en juillet 2006 de la muséographie du musée, rend compte, dans cet ouvrage, des principes de la politique d’acquisition et de sa mise en œuvre dans ce nouvel espace dédié à la culture des autres civilisations, véritable « galerie des esprits », « terre d’accueil » selon l’architecte du projet, Jean Nouvel. Un des objectifs annoncé par l’auteur est de retracer au cours de cet ouvrage la part du spirituel qui animait chaque objet à l’origine.

Germain Viatte rappelle que l’évolution de la politique d’acquisition est à mettre en regard avec l’évolution de la considération que les européens ont apportée depuis la fin du XVème siècle. En effet, à l’occasion de la création du musée, une politique d’acquisition sans précédent fut entreprise malgré les reproches récurrentes liés à la faiblesse des œuvres contemporaines. L’auteur insiste tout d’abord sur l’ancienneté de la collecte des œuvres d’art en France de la création du Muséum d’Histoire Naturelle en 1819 à celui du quai Branly en passant par le musée du Trocadéro et de celui de l’Homme. Ce qui change avec les nouvelles acquisitions, c’est l’argent investi par l’Etat mais aussi par les donateurs privés et publics.
Plus intéressant encore, la problématique de toute politique d’un musée comme celui-ci est de trancher singulièrement avec le pillage organisé tel qu’il a eu lieu pendant la période coloniale, justifié par le désir d’avoir une « collection ethnographique » qui devenait ainsi « le miroir déformé de peuples convertis, parfois depuis de nombreuses décennies, au christianisme ou à l’islam ou totalement désorientés par les ravages de la vie moderne ». (p.30)
Les droits nationaux sont donc aujourd’hui une des données essentielle de cette politique d’acquisition comme la coopération avec le Nigéria avec l’exemple des sculptures Nok qui avait un temps déclenché une polémique entre les deux pays ou la collaboration interinstitutionnelle avec sept pays majeurs qui confient, pour le pavillon des Sessions, une pièce maîtresse de leur collection. La déontologie de cette politique, avec la volonté de l’intervention diplomatique, est maintes fois affirmée par l’auteur.
Ainsi, la politique d’acquisition du musée du quai Branly prend en compte les dimensions historiques, technologiques et esthétiques des œuvres, bien loin d’une envie d’exhaustivité qui serait illusoire à l’heure de la société de l’information. La politique fut menée pour éviter toute compromission et tout contentieux postérieurs.
Enfin, Germain Viatte présente les personnages centraux qui ont inspiré, participé directement ou indirectement à la constitution des collections du musée. Ainsi, on retiendra l’itinéraire fantastique de Jacques Kerchache, à l’origine de l’ouverture du pavillon des Sessions, mais aussi André Breton, collectionneur avisé dont la vente des œuvres d’art ont constitué un moment fort des acquisitions du musée. Le titre du livre d’ailleurs, Tu fais peur tu émerveilles, est extrait d’un de ses poèmes inspiré par une statue qu’il possédait, Uli.

A l’issue de cette partie essentielle pour comprendre la déontologie nécessaire à la constitution du fond du musée, l’auteur présente de très nombreuses pièces qui sont décrites pour leur intérêt historique, mais aussi avec le souci d’en expliciter la provenance et le contexte de leur acquisition. Il choisit ainsi de nous présenter ces œuvres en quatre unités transversales (Histoire, Instruments de musique, photographies et textiles) et en quatre unités géographiques (Afrique, Amérique, Asie et Océanie).
Ces itinéraires thématiques nous permettent de constater la recherche d’équilibrage entre les différentes collections du musée surtout dans les régions qui ne se trouvaient pas sous l’influence coloniale française. Le musée se doit aussi de prendre en compte les évolutions majeures que connaît le monde. En effet, il insiste sur le fait que « l’ensemble culturel du sous-continent indien qui compte plusieurs grandes nations appelées à jouer un rôle de plus en plus important sur la scène mondiale et dont la représentation nous paraissait particulièrement faible dans nos collections devait être considéré comme l’une des lacunes à combler » (p.10Copyright Clionautes6)
Ce rééquilibrage concerne aussi l’Afrique que l’auteur aurait souhaité considérer au pluriel, « Les Afriques ». Sa description des acquisitions en Afrique centrale est véritablement passionnante et pertinente.
L’approche par aire donne une cohérence d’ensemble très nette mais le lecteur pensera à prendre un atlas pour accompagner l’auteur au fil de ses enthousiasmes successifs. L’auteur rend compte des découpages géographiques à l’intérieur de ces aires comme en Afrique ou dans les Amériques dont il propose un parcours qui part du Sud pour aller au Nord.

De plus, Germain Viatte met en avant le travail de l’ombre et les compétences des spécialistes. Dans la partie consacrée à l’Océanie, il montre ainsi l’importance de la recherche comme l’indique « Susan Rodgers au sujet des bijoux et des textiles, dans la mesure où l’on dispose d’une information abondante sur le sujet d’un ornement déterminé, celui-ci peut être déchiffré comme un texte complet dont la lecture révèle des significations à plusieurs niveaux » (p.86).

180 illustrations, aussi belles les unes que les autres, émaillent cet ouvrage et dressent un panorama des arts provenant des quatre continents présentés au Musée du Quai Branly : Océanie, Asie, Afrique et Amériques. On peut les retrouver aussi sur le site internet du musée, preuve du souci de la direction de participer à cet échange culturel mondial que permettent les nouvelles technologies de l’information (http://www.quaibranly.fr/ ) Cet ouvrage est donc à consulter sans aucune modération tant la lecture est passionnante et aisée. Germain Viatte a su parfaitement communiquer son raisonnement et ses conceptions de la muséographie. Plus qu’un catalogue de la politique d’acquisition du musée, ce recueil est un parcours initiatique, historique, spatial et sociologique d’un monde en changement. Les enseignants y trouveront de nombreuses inspirations pour leurs cours. De nombreux passages font état de la représentation de l’ancienne politique d’acquisition basée sur une vision coloniale. Mais c’est avant tout aux amateurs d’arts et plus encore, aux amoureux de la culture que cet ouvrage s’adresse. Donner du sens au réel ou à l’irréel telle est la mission de Germain Viatte qui évoque à la dernière page cette collection comme « un ciel qui ne saurait être accaparé, ni revendiqué, il appartient désormais à tous ».

 

Compte-rendu par Jean Philippe Raud Dugal, professeur au lycée Edmond Perrier