L’ouvrage publié par les éditions Cosmografia de Nantes rend compte d’une recherche-projet Fabrique ACTive du paysage, menée pendant trois ans (2015-2017), sur L’Île-Saint-Denis. L’objet de cette recherche était de révéler des lieux et des paysages par des interventions urbaines artistiques.
Il revient à Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, de préfacer cet ouvrage et de le rappeler que, depuis quinze ans, une place de plus en plus importante est donnée aux sens pour révéler un paysage. « D’innombrables sensations m’envahissent et me « paysagisent » ; je deviens paysage à mon tour, ou plus précisément, j’appartiens au paysage que je ressens, je ne suis plus simplement un regardant qui, de l’extérieur, découvre l’intérieur du paysage, mais fais corps avec lui plus que je lui appartiens. » (p. 11).
L’ouvrage s’organise en trois parties. La première revient sur les activités de Fabrique ACTive du paysage et plus particulièrement sur les dix projets ayant été mis en œuvre sur le territoire de L’Île-Saint-Denis. Ces double-pages illustrées présentent les objectifs, les moyens mis en œuvre et les résultats des actions artistiques menées sur le territoire à partir des ressources de celui-ci. C’est ainsi qu’Alice Milien a mené l’action « Fleurs de pétrole » sous le viaduc autoroutier de l’A86. Avec les élèves de l’école élémentaire Jean Lurçat, elle a fabriqué des fleurs à partir des sacs plastiques abandonnés dans la nature. Une manière de « faire fleurir les rebuts polluants de l’industrie pétrolière » (p. 40). Des lancers de bombes de graines ont pu être organisés également dans la mouvance des seed-bombingusitées par les mouvements contestataires outre-atlantiques pour végétaliser des espaces urbains pauvres en biodiversité.
La deuxième partie analyse les expériences de participation expérientielle et sensible menées et leurs limites : « davantage l’occasion d’une monstration que d’une implication active » des habitants, à l’exception de celle des enfants dans le cadre de projets scolaires. Emeline Bailly replace ces expériences dans le contexte de l’évolution de la recherche académique sur le paysage avec les travaux de Gaston Bachelard, de Georg Simmel, d’Augustin Berque notamment. Son article intitulé « Le mouvement clé du paysage sensible » comporte des tableaux et des schémas très synthétiques montrant les composantes du paysage commun, le système des affects du monde sensible.
La troisième partie, si elle revient également sur l’état de la recherche dans le domaine, élargit la question à la transposition de celle-ci dans les politiques d’aménagement. Emeline Bailly craint toutefois que des experts du sensible (artistes ou professionnels de l’urbain) accaparent cette question alors que c’est aux habitants d’être sollicités, même si ceux-ci sont souvent désarçonnés par les méthodes exploratoires usitées. Le manifeste « Oser la ville sensible » vise à aider les acteurs publics à saisir et révéler le monde sensible urbain en pensant un urbanisme expérientiel et sensible.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes