Compte-Rendu par JP Raud Dugal
Cet ouvrage, fruit des regards croisés et de la coopération des deux institutions que sont Harvard et Sciences Po, s’attache à analyser les origines et les conséquences de la « crise » dans laquelle la France se trouverait. Les différents contributeurs s’attachent à démonter le mécanisme des problèmes rencontrés par notre pays afin d’en illustrer les mutations majeures ces trente dernières années.
Rappelant les récents séismes sociaux et politiques (succès du non à la constitution européenne, crise des banlieues à l’automne 2005), les auteurs dénoncent la vision d’un pays bloqué, symbole d’un dirigisme et d’un corporatisme sans limite.
La France se serait-elle exclue d’elle même de la mondialisation ?
Au contraire semblent penser les auteurs. Leur démarche consiste à rendre compte de ces changements sur l’économie et la société en les analysant ainsi que leurs conséquences politiques. Chaque chapitre est l’occasion de rappeler les principaux traits de la France des « Trente Glorieuses » pour mieux étudier les impacts des changements récents.
Quatre parties composent l’ouvrage relatant les mutations sur les plans économiques, sociaux, étatiques et politiques.
Sur le plan économique, les mutations ont été très fortes. Après les plans de relance de 1974-1976 et 1981-1982, la France s’est ouverte aux changements économiques, bien plus profondément que la plupart de ses voisins européens : privatisation, ouverture aux capitaux étrangers ont favorisé la concentration du pouvoir au détriment des petits actionnaires. Même si le modèle américain n’est pas imité, la France s’est rapprochée d’une économie libérale de marché. Ce n’est plus l’État qui régule et contrôle mais c’est au niveau de l’entreprise que les choses aujourd’hui se règlent. Les fonctions de l’État sont transformées : « Il a peu à peu abandonné son rôle de direction et de production pour un rôle d’accompagnement et de compensation » (p.17). La situation est donc devenue paradoxale.
La deuxième partie de l’ouvrage, « l’effritement des piliers de la cohésion sociale », insiste sur le basculement générationnel des années 1980. En effet, l’Etat n’a pas su changer ses préoccupations issues des Trente Glorieuses. Ce sont les jeunes générations qui connaissent désormais un destin plus difficile que leurs aînés comme l’a illustré l’épisode du CPE au Printemps 2006. Les nouvelles générations sont aussi à la base de la « crise » que connaît la France. Avant tout du point de vue politique. Les différents diagrammes qui composent cette partie montrent parfaitement ce désintéressement des jeunes pour la chose publique (exemple des figurés 4 et 5 p.174-6). De plus, le système français de protection sociale s’est progressivement transformé laissant place aujourd’hui à un système de plus en plus dual entre privé et public. L’école et la politique d’intégration ont elles aussi connu des mutations majeures et des remises en cause. Virginie Guiraudon qualifie même cette dernière par « l’intégration des immigrés ou la politique de l’esquive ». Après avoir expliqué de façon très claire les principaux abandons de la politique d’assimilation, le 21 avril 2002 a servi d’électrochoc avec la promulgation de plusieurs mesures dont celle de Jacques Chirac avec le « contrat d’intégration » (p.293-294).
L’État, au cœur des mutations actuelles, a vu son rôle évoluer comme l’indique le titre de la troisième partie : « La redistribution des pouvoirs de l’État ». Le constat, comme lors des deux premières parties, est que l’Etat central organise moins l’action publique laissant la compétition et les logiques du marché s’en arroger de plus en plus le droit. L’Etat définit ainsi les règles de la compétition mais dans le même temps privatise le service public. C’est ici que le rôle de l’Union Européenne se fait pressant. Ce « gouvernement de l’Union Européenne » décrit avec précision par Andy Smith (p.343-368) est marqué par la faible mise en débat public des décisions prises. Le débat sur le remplacement du conception du ‘service public’ par la notion de « service universel » dans le secteur des télécommunications est un exemple tout à fait intéressant pour éclairer cet état de fait (p.356-8). Une partie de ces changements n’ont donc pas été maîtrisés par l’Etat.
Patrick Le Galès examine aussi « la restructuration de l’Etat jacobin ». Il insiste tout particulièrement sur les raisons externes et internes qui ont permis la décentralisation encore en cours. Une nouvelle échelle est à prendre en compte et à mieux appréhender : ‘l’européanisation’ avec ses réseaux transnationaux (p.326-327).
Enfin, la quatrième partie, « les crises du politiques », permet un bilan de ces mutations sur la société française. C’est dans cette partie que la crise est bel et bien réelle. Ces changements, pas tous assumé par l’Etat, la difficulté à accepter le déclin de la toute puissance étatique qui sont au cœur des problématiques choisies par les trois auteurs de cette partie. La question centrale qui se pose dès lors est celle de la capacité de la doctrine républicaine à fournir une réponse aux défis contemporains. Suzanne Berger analyse parfaitement cette crise qui touche la représentation politique. Elle reprend une phrase qui est très éclairante aujourd’hui : « C’est toute la fragilité des partis français de gouvernement que permet d’éclairer davantage la comparaison européenne. La faiblesse des partis de gouvernement est un problème français » (p.432). Richard Balme s’attache à analyser les réactions des français devant les grands débats de société : immigration, peine de mort.. qui explique la fragmentation politique actuelle. Enfin, Gérard Grunberg envisage « l’adaptation du système des partis (1965-2006). Cette France politique est déstabilisée par des forces internes majeures comme l’a révélé l’élection présidentielle de 2002. La bipolarisation, conclut l’auteur, tout en demeurant multipartisane « a permis une fonction de régime politique plus proche des exigences de gouvernement représentatif tout en conservant les éléments centraux du régime qui assuraient un fonctionnement régulier des pouvoirs publics et une capacité à gouverner dans la durée » (p.475).
En conclusion, les auteurs ont tiré d’inintéressantes constatations :
– partout, le marché, la concurrence ont gagné du terrain
– les changements ont été progressifs même s’ils n’ont pas été délibérés
– ces deux premières constations permettent de comprendre la crise politique que connaît la France.
La multiplicité des problématiques envisagées dès l’introduction laissent le champ ouvert à de nombreuse interprétations.
D’une lecture stimulante et agréable, cet ouvrage peut aussi bien être utile aux professeurs du secondaire (3ème et Terminale en Histoire mais aussi ECJS au lycée), qu’aux étudiants en classes préparatoires, en sciences politiques ou à l’université. On appréciera tout particulièrement les bibliographies très complètes qui émaillent chaque parties et qui peuvent constituer un point de départ essentiel à des recherches futures ou a de nombreux approfondissements.
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