Alors que l’Europe communautaire tente de sortir de l’impasse institutionnelle née de la multiplication des états-membres et des « non » de 2005, la construction européenne s’invite aux concours de recrutement des professeurs quelques années après son entrée dans le programme de terminale.

Le présent ouvrage s’inscrit à la fois dans les besoins d’une première approche d’un sujet de concours et dans la démarche propre à la collection « Amphi histoire contemporaine », dirigée par la spécialiste d’histoire rurale Nadine Vivier: une approche chronologique centrale et qui occupe une grande partie de l’ouvrage encadrée par une problématique une étude thématique du sujet.
Les auteurs sont tous deux chercheurs à l’Université de Nantes; Michel Catala, professeur d’histoire contemporaine est spécialisé dans les thèmes des relations internationales, notamment franco-espagnoles et dans celui du rapports entre états, nations et construction européenne depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Laurent Jalabert est maître de conférence, spécialiste d’histoire immédiate et notamment politique.

Le sujet et sa place dans l’historiographie.

L’analyse du sujet qui débute l’ouvrage démine le terrain pour les candidats: le « Penser l’Europe » ne peut en effet se réduire aux plan de construction mais doit s’analyser aussi sous l’angle d’une vision culturelle de l’Europe. De même, l’étude des réalisations (« construire ») nécessite celle de leurs conditions, notamment le rôle des différents types d’acteurs. Enfin, comprendre le lien entre penser et construire passe par l’examen des logiques qui ont conduit les projets aux succès ou aux échecs, sans oublier le rapport de ces chantiers avec l’opinion publique et notamment, le sentiment d’appartenance à ces constructions dans les populations européennes .
Cette même diversité des approches se retrouve dans l’historiographie: une histoire spécifique de la construction européenne existe mais le champs couvert sur le sujet est très large puisqu’il s’agit aussi bien d’une histoire des relations internationales, d’une histoire culturelle du politique (opinions et représentations…), d’une histoire économique et sociale, une histoire enfin où l’échelle européenne voire mondiale croise l’histoire des états est très présente.
Le manuel propose ensuite une liste des thèmes, des approches, des cadres chronologiques et des acteurs qui s’achève par une bibliographie « de base » d’une petite centaine d’ouvrages où figurent en bonne place les ouvrages des années 2000.

Temps longs, temps courts: une Europe objet plus que sujet ?

L’objet Europe, mis au centre du sujet, n’est pourtant pas étudié au moment le plus brillant de son histoire; l’historiographie sur la longue durée place cette période des lendemains de la première guerre Mondiale aux déchirements de l’ex-Yougoslavie sous le signe du déclin du continent. La construction européenne ne constituerait alors qu’un dérivé du combat des idéologies (Furet) voire un signe de l’impuissance à enrayer le désordre du vingtième siècle (Hosbawn);les auteurs souhaitent cependant contester cette situation « marginale » de l’idée d’Europe et de la construction européenne.
De même, les temps courts, présentés par les auteurs pour découper le cadre chronologique du sujet, sont davantage déterminés par des crises générales qui ballottent ou bouleversent le continent que par des dates propres à l’histoire de l’idée européenne, à l’exception de 1957.
La principale question de fond, l’une des plus complexes reste de savoir si la recherche de paix et de prospérité, objectifs avoués des projets successifs, accompagnent la construction d’un sentiment européen et d’une identité européenne: là encore, les réponses nécessitent de croiser les temps courts (ceux des enquêtes d’opinion) et une vision d’histoire longue. L’ouvrage cite ainsi le médiéviste J. le Goff qui pense que le sentiment européen se construit à la fois sur les fondements culturels passés et sur la projection dans un destin collectif des européens.
L’autre complexité réside dans la foison de modèles et d’utopies portés par des mouvements très divers qui précèdent -ou non- les réalisations institutionnelles; tout cela génère un vocabulaire institutionnel d’autant plus touffu que la pratique communautaire l’a encore épaissi; il en est de même des opposants à la construction européenne dont le rôle ne doit pas être négligé. Le « kit de survie » pour aborder ces questions est donné par l’ouvrage dans sa dernière partie après une l’approche chronologique.

Une valse à quatre temps, c’est beaucoup moins dansant….

La longue partie centrale de l’ouvrage reprend les quatre temps du découpage chronologique adopté par les auteurs et développe le feuilleton du « penser et construire l’Europe » en une soixantaine d’épisodes; chaque temps fort fait toutefois l’objet d’une conclusion et d’une suggestion bibliographique. Ce maillage très serré doit permettre au candidat de pourvoir avancer vers la maîtrise d’une chronologie touffue et complexe.

L’avant-guerre, est décrite comme un temps de montée et d’organisation des mouvements européens qui resteront des mouvements d’élite; les projets pour unir l’Europe qui font l’objets de négociation internationale comme celui d’Aristide Briand restent lettre morte. Les auteurs ont souhaité consacrer un temps particulier à la guerre : l’Europe y est « réalisée » dans la brutalité et l’inégalité mais fait l’objet de projets très construits dès le tournant de 1942-43. De 1945 à 1955, le rôle de la guerre froide est souligné tout comme l’incapacité des tenant d’une Europe forte d’un point de vue institutionnel à résister au partisans d’une Europe molle. De la Communauté européenne à l’Union européenne, le récit porte sur le bal des crises des relances et des compromis qui font avancer de façon chaotique un objet hybride, supranational mais où les états gardent la main.
Dans ce récit, l’articulation avec le contexte international est particulièrement suivi: la montée des tensions avant guerre, la guerre froide et enfin la disparition de celle-ci qui voit les rêves d’une architecture nouvelle pour le continent disparaître au profit de l’extension de la communauté existante. Mais ce sont les tactiques des promoteurs qui sont soulignées tout autant que le contenu des projets et des réalisations: les auteurs montrent que les grandes réunions publiques des européistes et fédéralistes sont bien moins efficaces que le travail souterrain et misant sur l’effet de surprise des Monnet et Schuman par exemple. De même la méthode Delors est mise en avant pour sa capacité à proposer des compromis successifs. Enfin, à partir des années 50, le poul des opinions est pris régulièrement, il est rarement très enthousiaste.

Approches transversales: quels modèles, quels jeux des politiques et des populations ?.

Cette partie répond donc aux problématiques posées dans l’analyse du sujet . le point sur les différents modèles d’Europe unie est fait en premier lieu; les simples associations et coopérations d’états qui restent souverains triomphent dans des organismes comme l’OECE ou le conseil de l’Europe; la « fédération », imitant les Etats-Unis d’Amérique était l’objectif des fédéralistes et fut présente dans des projets d’union politique… qui ont tous échoué. La « communauté » où les état délèguent une partie de leur souveraineté à une organisme supranational dans des domaines précis représente une étape transitoire. L’Union Européenne est, présentée comme un compromis entre communauté et fédération.
Une rapide chronologie des projets et réalisations de construction européenne économique montre la relative facilité de mise en place de ceux-ci par rapport à la construction politique, l’inspiration libérale croissante et les rapport avec le domaine politique.
Elle est logiquement suivie par une courte section sur les positions européennes des partis politiques montre leurs divisions internes parfois très fortes quand aux modalités de la construction européenne; celle-ci occupe de plus une place de plus en plus grande dans les débats politiques des états européens après la seconde guerre mondiale. L’exemple du parti socialiste est développé et mis en parallèle avec les mouvements sociaux-démocrates européens.
Souvent invoquée dans les parties précédentes du livre, la place des opinions publiques face à la construction européenne est replacée dans le cadre d’une durée plus longue que celle du sujet, puisqu’elle débute avec la construction des consciences nationales aux 19ème siècle; le tête à tête des projets européens avec le nationalisme, tantôt repoussoir favorisant les rêves ou les projets européens, tantôt facteur de fragilité de la construction est ici analysé de façon efficace et synthétique. Ainsi, les trois dernières années du programme (1989-1992) sont à la fois celle d’une résurgence des nationalismes avec l’éclatement du bloc de l’est, un sentiment d’impuissance de l’Europe dans les populations, mais aussi celles d’une volonté d’ancrer l’identité européenne par des symboles, une citoyenneté et même…. des programmes scolaires (programmes de seconde en 1992!). Les auteurs ne peuvent s’empêcher d’évoquer « le retour de bâton de ce forcing conjoncturel » dans les années 2000: le spectre de 2005 aura hanté tout l’ouvrage, jusqu’à la partie méthodologique « s’entraîner » qui l’achève.

Cette partie offre des pistes de traitement de sujets de concours: un sujet de dissertation accompagné de plusieurs documents, et le commentaire d’un texte pour l’agrégation; le sujets sont analysés et un plan est proposé et commentés. La dissertation, « Les peuples face aux projets et réalisations européens (1919-1992) », enfonce le clou sur cette thématique, avec un découpage chronologique qui complète le travail sur les opinions publique dans le dernier chapitre. Si le commentaire des extraits du rapport Tindemans (1975) est traité en quelques pages de conseils, il s’agit pourtant d’un moment fort de cet ouvrage, dans la mesure où les auteurs ont sélectionné les extraits qui permettaient de faire un bilan de la construction européenne depuis les années 50 et de présenter l’un de ces grands projets d’Europe politique que les dirigeants de l’époque refusent mais dont nombre de recommandation seront appliquées plus tard: c’est l’articulation entre le « penser » et le « construire » qui est bien résumée ici.

Les guides à l’usage de l’impétrant constituent un défi pour les auteurs qui doivent en quelques mois fournir un panorama complet en un nombre de page limité. On sent bien sur ici les limites du format, par exemple dans le déséquilibre entre la longue partie chronologique et les approches thématiques , mais le « déminage » du sujet permet bien de rentrer dans une histoire dont la maîtrise nécessite en plus de la connaissance des institutions, des projets, des étapes et des hommes une réflexion profonde sur les mécanismes qui conduisent des idées à se réaliser… ou pas. Si le livre de M. Catala et L. Jalabert aidera les candidats à mesurer cette difficulté, il pourra aussi inspirer les enseignants de terminale qui souhaitent faire autre chose de l’histoire européenne que la récitation d’un chapelet d’étapes orné d’un moment de recueillement devant les images pieuses du Chancelier et du Président à Verdun. Les deux dernières parties de l’ouvrage sont à cet égard bien utiles pour penser son cours en profitant des orientations historiographiques de cette dernière décennie et pour bien orienter l’analyse des documents.