130 années d’histoire analysées au prisme de l’olympisme dans un ouvrage passionnant, intelligent et stimulant ! Le groupe de recherche AchacCrée en 1989, le Groupe de recherche Achac est un collectif de chercheurs, d’universitaires, d’écrivains, de collectionneurs, de documentaristes et de journalistes qui travaillent sur les représentations, les discours et les imaginaires coloniaux et postcoloniaux, ainsi que sur les flux migratoires extra-européens à travers différents programmes de recherche : Histoire & culture colonialeMémoires combattantesRacisme & zoos humainsPortraits de FranceSport & diversitésImmigrations des suds et Sexe, altérité & corps colonisés., qui anime le programme « Histoire, Sport & Citoyenneté » de la CASDEN Banque Populaire, nous propose ici une autre histoire du monde en envisageant les Jeux olympiques comme le reflet des enjeux et conflits majeurs de l’époque contemporaine. Au delà de l’engouement qu’elle suscite et de son gigantisme, cette compétition sportive est bien un objet sérieux à étudier. Depuis la création du CIO en 1894 sous l’impulsion du Pierre de Coubertin qui lança la première édition athénienne de 1896 jusqu’aux Jeux Olympiques de Paris à venir, l’olympisme a étendu son emprise sportive mais aussi spatiale, politique, économique et culturelle. Cette Histoire mondiale de l’olympisme (1896-2024), dirigée par les historiensSous la direction de Nicolas Bancel, historien, professeur à l’Université de Lausanne, directeur du programme « Histoire, Sport & Citoyenneté » autour de l’histoire des Jeux Olympiques ; Pascal Blanchard, historien, chercheur au CRHIM de l’Université de Lausanne, directeur du programme « Histoire, Sport & Citoyenneté » autour de l’histoire des Jeux Olympiques ; Gilles Boëtsch, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS ; Daphné Bolz, historienne, professeure à l’Université de Rouen Normandie ; Yvan Gastaut, historien, maître de conférences à l’Université Côte d’Azur ; Sandrine Lemaire, historienne, enseignante en classes préparatoires aux grandes écoles et directrice de la pédagogie du programme « Histoire, Sport & Citoyenneté » ; Stéphane Mourlane, historien, maître de conférences en Histoire contemporaine à Aix-Marseille Université. Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Yvan Gastaut, Sandrine Lemaire et Stéphane Mourlane, rassemblent une trentaine d’articles passionnants écrits par des spécialistesContributions de Michaël Attali, Lukas Aubin, Nicolas Bancel, Emmanuel Bayle, Gabriel Bernasconi, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Guillaume Bourel, Pascal Charitas, Sylvère-Henry Cissé, Fabrice Delsahut, Yannick Deschamps, Paul Dietschy, François Doppler-Speranza, Yvan Gastaut, Vassil Girginov, David Gogishvili, Carole Gomez, Christina Koulouri, Michael Krüger, Sandrine Lemaire, Anne Marcellini, Stéphane Mourlane, Martin Müller, Fabien Ohl, Pascal Ory, Didier Poracchia, Didier Rey, Pierre-Olaf Schut, Philippe Tétart, Dominic Thomas, Georges Vigarello, Sven Daniel Wolfede diverses disciplines (histoire, géographie, droit, sport, sociologie, etc.) qui nous plongent au cœur des olympiades d’été et ainsi donc au cœur des grands enjeux historiques de chaque période.

Les Jeux, qui se voulaient apolitiques et un moyen de contribuer à une « paix universelle », n’ont pas échappé au jeu des rivalités entre les États. De la Grèce à la fin du XIXe siècle à la Chine du début du XXIe siècle, ils furent depuis l’origine une vitrine de la puissance des pays qui n’hésitèrent pas à mettre en scène la vitalité de leur régime (en particulier les régimes autoritaires) ainsi qu’un miroir plus ou moins déformé des dynamiques au sein des sociétés (les questions liées aux discriminations des minorités ou encore celles de l’égalité entre les hommes et les femmes). Pierre de Coubertin en faisait (à regret) lui-même le constat, reconnaissant que les Jeux Olympiques sont destinés à « épouser la vie du monde ». Ainsi, cette relecture permet de faire émerger toutes les problématiques des XXe et XXIe siècles quelles soient politiques, sociétales ou économiques.

Des premières olympiades à la montée des périls (1896-1945)

Le rétablissement des Jeux Olympiques

Pour Pierre de Coubertin, la renaissance des concours sportifs pentétériques organisés à Olympie depuis le VIIIe siècle avant JC jusqu’en 393 devait être un moyen de contribuer à une “paix universelle” en cette fin de XIXe siècle marquée par la multiplication de crises suscitées par la montée des nationalismes. Ainsi, dès 1896, les premiers Jeux sont utilisés par le gouvernement de la jeune nation grecque comme un moyen d’affirmation de sa place en Europe. Toute la symbolique antique est ainsi réquisitionnée pour légitimer un régime monarchique en difficulté. Lors de cette première édition, 12 pays seulement sont représentés avec 11 épreuves au programme. Le nombre d’athlètes grecs (uniquement des hommes) est majoritaire, avec plus de 200 contre moins de 100 pour les autres nations. La présence de la foule, malgré un stade panathénaïque rénové, n’est pas une priorité lors des premiers Jeux, ni pour les organisateurs ni pour Pierre de Coubertin.

Stade panathénaïque –  Athènes – 1896

Au congrès olympique de 1894, Pierre de Coubertin souhaitait que Paris soit choisie pour organiser les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne. Mais, manquant de soutien, il décida d’accepter la candidature d’Athènes pour éviter que Londres ne soit retenue ! Il obtient néanmoins que Paris organise les Jeux suivants, prévus en 1900. Quatre ans plus tard, la compétition est implantée dans l’immense Exposition Universelle de Paris. Simple « attraction », les Jeux se tiennent sur une longue période de cinq mois. 

Les Journées anthropologiques, durant lesquelles s’affrontent Sioux, Pygmées, Zoulous, Pawnees ou Negritos, précèdent les Jeux de Saint-Louis en 1904. Si l’objectif officiel est de vérifier leurs réelles capacités physiques dites « naturelles », il existe une volonté plus implicite de rendre évidente aux yeux du monde la supériorité de la « race blanche » sur les « sauvages ». Ces journées reflètent donc les préjugés raciaux de ses organisateurs et de la jeune nation américaine.

Les Jeux de l’après-guerre

Les répercussions de La Première Guerre mondiale sur les Jeux sont importantes. Alors que Carl Diem assure la promotion des Olympiades en Allemagne, la guerre met fin à ses illusions, Les Jeux prévus à Berlin en 1916 sont annulés. Aussi, Pierre de Coubertin transfère le siège du CIO à Lausanne. Lors des « Jeux de la Paix » d’Anvers en 1920, les vainqueurs imposent leur logique : l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Turquie et la Bulgarie ne sont pas invitées. L’apparition du drapeau et du serment olympiques soulignent la progressive structuration des Jeux.

Si cette période est marquée par l’essor des Jeux (structures, organisation, nombre de participants, …), la toile de fond s’assombrit avec la  montée des totalitarismes et la dépression économique. Cette période est celle des « nationalismes agressifs » (p.40), qui trouvent dans les Jeux Olympiques un terrain d’expression de plus en plus efficace. La volonté d’universalisme olympique se heurte aux poussées ultra-nationalistes consécutives à la Grande Guerre, mais aussi au refus de l’URSS de participer. Ainsi, les dictatures mais aussi les démocraties trouvent dans l’olympisme un terrain pour mettre en scène et valoriser leur modèle et s’assurer un rayonnement international.

Les Jeux de Paris soulignent les ambiguïtés  de l’évènement à la fois rassemblement pacificateur (l’Autriche et la Hongrie sont à nouveau présents) mais aussi lieu d’affrontement des nations. Une édition marquée aussi par les succès à répétition de l’athlète finlandais Paavo Nurmi ou de l’américain Johnny Weissmuller. Ces Jeux apparaissent comme un tournant dans l’histoire de l’olympisme. Ils marquent les débuts véritables du sport-spectacle, posent la question du professionnalisme larvé et donc de la  place de l’amateurisme et enfin ils soulignent la forte politisation qui annonce les instrumentalisations à venir par les États totalitaires.

Les Jeux de Los Angeles en 1932 sont bien sûr marqués par la crise économique mondiale. Malgré cela, le faste américain impressionne la presse étrangère : réaménagement des stades, cérémonial, village olympique, etc. Des innovations apparaissent avec la cérémonie du podium (lever du drapeau, hymne) et la chronométrage au centième de seconde.

La montée des totalitarismes

Les Jeux de Berlin de 1936, attribués de 1931, intéressent les nazis du fait de leur goût pour l’Antiquité et pour la pratique du sport. Les nazis acceptent de les maintenir non pas au nom de l’internationalismDirigé pare et du pacifisme mais au contraire au nom du nationalisme et du bellicisme. Durant ces Jeux, les nazis trompent le monde : les affiches sont déchirées, des sportifs juifs sont acceptés et les visiteurs sont reçus en grande pompe et sans discrimination. La compétition olympique devient pleinement une arme de propagande, incarnée par Joseph Goebbels, en faveur du nazisme. Elle constitue désormais, avec sa popularisation exponentielle, un vecteur d’unité nationale qui actualise la confrontation entre des nationalismes agressifs et des démocraties fragilisées. Pour l’auteure, Daphné Bolz, les « Jeux Olympiques de Berlin de 1936, ont indiscutablement célébré la gloire du IIIe Reich. Mais leur histoire et leur signification ne se limitent pas à une démonstration de propagande nazie. L’ambiguïté des Jeux de Berlin réside dans la convergence improbable entre le projet olympique cher aux élites culturelles allemandes et les ambitions nazies. A la recherche d’un apaisement à tout prix, sans s’embarrasser de considérations morales, le CIO autorise alors une célébration olympique monumentale sous le signe de la croix gammée » (p.141).

 

Allemagne. Berlin 1936. Jeux Olympiques, affiche signée Werner Würbel, 1936

Un chapitre est aussi consacrée aux liens entre le régime fasciste italien et l’olympisme. Le régime mussolinien fait de la réussite des « athlètes en chemise noire » une priorité au service d’une politique extérieure aux ambitions impérialistes affichées. Ainsi, Los Angeles et Berlin sont de beaux succès pour le fascisme italien avec une 3e et une 4e place au tableau des médailles !

Grand absent durant cette période, l’URSS, qui méprise ouvertement le « sport bourgeois » et édifie ses propres structures et manifestations sportives. L’Internationale Rouge sportive, de 1921 à 1937, lance ses Spartakiades à Moscou (1928), Berlin (1931) puis Paris (1934).

À la veille de la Seconde Guerre mondiale (en 1938), le Japon renonce à organiser les Jeux Olympiques prévus à Tokyo en 1940 en raison du déclenchement du conflit sino-japonais en 1937 et la Finlande qui devait le remplacer est contrainte de renoncer à son tour après l’invasion soviétique du pays en novembre 1939.

Les mutations de l’après Seconde Guerre mondiale (1945 – 1990)

Les Jeux Olympiques dans la guerre froide

Après 12 années d’interruption, les Jeux Olympiques sont marqués du sceau de la guerre froide dès les Jeux de Londres en 1948 et surtout lors des Jeux Olympiques d’Helsinki qui voient le retour en force de l’URSS et de plusieurs nations du « bloc de l’Est ». Confrontation qui se prolongera jusqu’aux Jeux de Séoul en 1988, avant la chute du mur de Berlin en 1989.

L’affrontement de deux modèles irréconciliables prend tout son sens au travers des lieux (deux villages olympiques à Helsinki) mais aussi des duels sportifs d’anthologie comme la finale de basket lors des JO de Munich en 1972 remportée 51 à 50 par l’URSS contre les Etats-Unis. Alors, les systèmes sportifs se transforment avec l’apparition de véritables « athlètes d’État » chargés de faire triompher l’idéologie qu’ils incarnent. Avec une approche scientifique des entraînements et le développement du dopage, les deux principaux protagonistes deviennent des usines à champions, contournant ainsi le principe de l’amateurisme. L’URSS et les pays satellites n’hésitent pas à utiliser le sport féminin et les sports « marginaux » (haltérophilie, gymnastique, lutte, etc.) afin de remporter de nouvelles médailles. Pour les Soviétiques, les résultats ne se font pas attendre : 2ème dès 1952 puis 1er de 1956 à la fin de la guerre froide (hormis la 2nde place à Mexico). Les deux blocs se livrent aussi une véritable guerre médiatique et n’hésitent pas à fabriquer des héros (Nadia Comăneci, Emil Zatopek en encore Bruce Jenner) dont la performance est au service du prestige national. A l’inverse, cette Histoire mondiale de l’olympisme s’intéresse aussi aux héros réfractaires que sont Mohamed Ali, Tommie Smith, John Carlos ou Wladyslaw Kozakiewicz. Ce dernier remporte, en 1980, à Moscou le concours du saut à la perche. En réponse à l’hostilité des spectateurs russes, il leur adresse un bras d’honneur. L’image fait alors le tour de monde (à l’exception des pays du bloc de l’Est) et devient le symbole de l’aspiration à la démocratie

Le bras d’honneur de Władysław Kozakiewicz (Pologne), photographie de Rich Clarkson, 1980
Décolonisations, guerre froide et tensions internationales : boycotts et revendications

Mais cette période est aussi celle des décolonisations et de l’apparition de nouveaux acteurs, qui utilisent le sport en interne et les Jeux en externe pour affirmer le fait national. A partir des JO d’Helsinki, participent des nations indépendantes et issues des ex-empires coloniaux d’Asie, puis d’Afrique et du reste du monde.

Les enjeux de la décolonisation et de la guerre froide s’entremêlent et les boycotts en sont les révélateurs. Ainsi, les Jeux Olympiques de 1956 à Melbourne inaugurent un double boycott du fait de l’expédition militaire franco-britannique visant à la reconquête du canal de Suez nationalisé par le gouvernement égyptien de Nasser. L’Égypte, l’Irak et le Liban, en signe de protestation, boycottent alors la compétition. La Suisse, les Pays-Bas et l’Espagne boycottent également ces Jeux afin de manifester leur opposition à l’intervention soviétique en Hongrie qui met fin à l’insurrection de Budapest.

En 1968, les Jeux sont placés sous le signe de la paix ce qui est totalement anachronique du fait des évènements extérieurs (Vietnam, grippe de Hong Kong, mai 68, décolonisations, assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy) et intérieurs (répression). Le geste de Tommie Smith et John Carlos leur vaudra d’être exclus à vie des JO et le port du badge de l’Australien Peter Norman lui vaudra d’être sanctionné par son équipe. Pendant longtemps le CIO cachera la photo iconique des trois athlètes lui préférant celle de George Foreman avec le drapeau américain.

Podium du 200 m des Jeux olympiques de 1968. 1er et 3e, les Américains Tommie Smith et John Carlos avec le poing levé et ganté. 2nd, l’Australien Peter Norman

Les Jeux de Montréal en 1976 sont marqués par le boycott de 22 nations africaines. Celles-ci protestent contre l’accueil à Montréal de la délégation de Nouvelle-Zélande, l’équipe de rugby néo-zélandaise ayant auparavant participé à une tournée dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid. La situation est complexe puisque le CIO décide d’exclure l’Afrique du Sud des Jeux Olympiques en raison de sa politique raciste, mais pas la Nouvelle-ZélandeEnfin, pour dénoncer l’invasion soviétique en Afghanistan (1979), les États-Unis boycottent les Jeux de Moscou en 1980 puis, l’URSS rendra la pareille à l’occasion des Jeux de Los Angeles en 1984.

Les autres tensions internationales, comme celles au Moyen-Orient, s’invitent aussi aux Jeux. En effet, la question palestinienne résonne dramatiquement en 1972 lors des Jeux de Munich : le commando palestinien “Septembre noir” prend en otage 11 athlètes israéliens, réclamant la libération de 234 prisonniers palestiniens détenus en Israël. Les forces spéciales de la police allemande, mal préparées, interviennent et c’est le bain de sang : 17 personnes sont tuées, dont tous les athlètes pris en otage.

Le CIO dans la guerre froide

Le rôle et le positionnement du CIO est aussi analysé. Au cours de la période, « la politique du CIO apparaît surtout comme ambivalente puisque ce dernier réfuta l’instrumentalisation politique dont il faisait pourtant l’objet, réaffirmant les principes de neutralité et d’apolitisme comme bouclier tout en revendiquant les décisions éminemment politiques qu’il put prendre. Finalement, face à cette guerre froide olympique, l’instance sportive, pendant longtemps résistante aux évolutions géopolitiques, fut contrainte d’évoluer, parfois contre son gré, et ainsi de tenir compte des nouveaux équilibres en jeu, rappelant que les Jeux étaient incontestablement devenus un enjeu des relations internationales » (p.224).

Séoul, un changement d’époque

A quelques mois de la chute du mur de Berlin, de la réunification de l’Allemagne et de la chute de l’URSS, les Jeux de Séoul de 1988 apparaissent comme « l’évènement du contraste. Si diplomatiquement la guerre froide balise toujours l’horizon, la compétition est aussi tournée vers une nouvelle ère olympique, celle du modernisme, du gigantisme, du professionnalisme mais également de l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles passions sportives » (p.273).

Les Jeux Olympiques de la fin du siècle poursuivent cette mutation. Ceux de 1992 à Barcelone et de 1996 à Atlanta, puis surtout ceux de l’an 2000 à Sydney confirment un nouveau modèle libéral, lié aux grandes marques et aux puissances financières. C’est dans ce contexte que les Jeux du XXIe siècle prennent place.

La question du dopage

Le dopage est un problème très secondaire avant 1945 même s’il existe déjà (morphine, cocaïne, strychnine, etc.). Dès 1938, le futur président du CIO, Avery Brundage, évoque son interdiction. Ce sera chose faite dans la charte de 1944 puis au travers de l’article 26 de celle de 1946. La guerre froide favorise l’émergence et le développement de certaines substances (amphétamines, anabolisants, hormones, etc.) au travers d’expérimentations. Mais, la question du dopage reste encore secondaire par rapport à celle de l’amateurisme. Le successeur de Brundage, lord Killanin, développe la lutte contre le dopage. A Munich, en 1972, sont mis en place de premiers dispositifs de contrôle. En 1976, les stéroïdes sont interdits. Mais, dans les années 1980, Juan Antonio Samaranch néglige cette question et privilégie le développement économique. Le cas Ben Johnson, lors de l’édition 1988, embarrasse bien le CIO. Il faudra attendre l’affaire Festina puis la mise en place de l’Agence Mondiale Antidopage (1999) pour qu’une vraie politique et une vraie volonté s’imposent progressivement.

Les défis du gigantisme (2000 – …)

Les JO face aux mutations du monde

L’étude des Jeux Olympiques de Pékin de 2008, symboles de l’entrée dans la démesure, ceux de Londres de 2012 devant être une édition exemplaire puis des Jeux Olympiques japonais de 2020, reportés l’année suivante à cause de l’épidémie de COVID 19, permettent de mettre en relief les 3 enjeux essentiels de la période : la lutte contre le dopage, la montée en puissance et la généralisation du professionnalisme des athlètes puis les mutations internes du CIO et les évolutions de sa gouvernance pour s’adapter aux mutations de ce premier quart du XXIe siècle. La multipolarisation du monde favorise un repli sur la nation et l’affirmation nationale continue d’être l’un des moteurs de l’olympisme. L’édition de 2008 est l’occasion pour la Chine d’affirmer sa puissance face à Taipei ou au Tibet et de vanter le modèle de la grande nation chinoise. Malgré les critiques, la Chine montre sa capacité à résister aux pressions internationales dont celles du CIO et notamment sur la question des droits de l’homme.

Cérémonie d’ouverture des JO de Pékin, photographie de Mike Hewitt, 2008

L’olympisme : adaptation, mutation … ou disparition ?

Le CIO est désormais traversé par 5 évolutions majeures :

  • médiatique : plus de 3 milliards de téléspectateurs auxquels s’ajoutent les 28 milliards de vues pour les vidéos proposées sur les plateformes numériques lors des Jeux en 2021.
  • culturelle : acceptation de nouveaux sports incarnant jusque là la liberté et le plaisir. Le CIO a commencé à s’adapter à ces nouvelles attentes.
  • géopolitique : acceptation de nouveaux pays suite à la décolonisation
  • économique et financière : explosion du sport-business « s’inscrivant dans l’ère du néo-libéralisme triomphant » (p.328). Ainsi, dans la Charte olympique, la référence à l’amateurisme est supprimée en 1981 et les Jeux sont ouverts aux professionnels dès 1984. L’explosion des droits TV, le développement du sponsoring sont d’autres conséquences. Le sport et l’olympisme deviennent « une industrie et un secteur économique aux ramifications multiples » (p.329).
  • numérique : nouvelles formes de communication digitale liées aux américains GAFAMINATU et aux chinois BATX.

La fragilisation d’un modèle olympique de plus en plus contesté, en raison de ses conséquences sociales mais aussi écologiques et économiques, interroge sur l’avenir même de l’olympisme qui doit donc désormais se confronter à différents enjeux :

  • la place du paralympisme qui ne demande plus une simple dissolution dans l’olympisme mais qui revendique désormais « sa puissance et sa valeur de mouvement d’innovation sociale universelle » p.373).
  • la durabilité des Jeux qui est intégrée depuis 1999 mais de trop nombreuses promesses paraissent non tenues.
  • la catégorisation sportive et « la ségrégation sexuelle systématique » qui ont assuré « la pérennité du présupposé de l’inégalité biologique des sexes » (p.403) ainsi la question de la définition de la « vraie femme ».
  • le soi-disant apolitisme du CIO face aux régimes non démocratiques. Cette construction historique et idéologique qu’est l’apolitisme est impossible à tenir étant donné les réalités sociales et les influences géopolitiques. Les JO ont toujours été calqué sur le concept d’Etat-nation et ils sont la mise en récit du roman national.

Pour Georges Vigarello, l’avenir de l’olympisme « se doit d’atténuer les obstacles, voire de les annuler, de redéfinir des perspectives, réinventer du sens, retrouver une pertinence globale censée légitimer et dynamiser les Jeux. Ambition crédible ou ambition illusoire ? Nombre de logiques institutionnelles, techniques, politiques, publicitaires, financières, se sont installées, fortement implantées, fortement légitimées, ont été admises, reconnues. Leurs impacts toujours plus entrecroisés, rendent apparemment difficile toute perspective de changement”.

Les horizons olympiques ne sont plus ceux de 1894. Les préoccupations sociétales, éthiques ou environnementales se heurtent désormais aux impératifs de la recherche toujours plus grande de la  professionnalisation, de la financiarisation et de la médiatisation des Jeux. Une synthèse magistrale, riche et accessible, qui nous permet d’appréhender pleinement et de manière transversale les grands enjeux qui ont traversé l’olympisme depuis les premiers Jeux modernes d’Athènes et qui le questionnent désormais dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris de 2024 puis de Los Angeles en 2028. 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX

 

Le lien vers la très belle et complète exposition de la Casden et conçue par le groupe de recherche Achac : Histoire, Sport & Citoyenneté https://casdenhistoiresport.fr/

Sur le même thème, la Cliothèque vous propose ces recensions :

Les jeux du monde – Géopolitique de la flamme olympique

Atlas géopolitique du sport

Une histoire sportive de la guerre froide