Qu’y a-t-il en commun entre un nain de cour, un foulon, une prostituée, un apprenti ramoneur et une avorteuse ? Non pas d’être les sujets d’une blague de mauvais goût mais bien de subir un sale boulot, c’est à dire un métier – ou une simple activité – dégradant, difficile, mauvais pour la santé ou asservissant. Ce sont de ces métiers que Nicolas Méra nous propose de dresser un bref horizon, partiel certes, mais aussi passionnant.
Nicolas Méra est un auteur qui s’est penché sur les coïncidence en Histoire. Il a travaillé dans différents domaines, de la presse jusqu’à l’archéologie en passant par la presse. Son petit dictionnaire des sales boulots propose donc une liste de métiers, qualifiables de difficiles et souvent très déconnectés de nos réalités contemporaines, classés dans un ordre alphabétique, comme un véritable dictionnaire. Le travail est sourcé mais manque parfois de quelques précisions sur des événements historiques. Par exemple, lorsque que le chasseur de nuisibles – on entend par là d’animaux nuisibles – est évoqué, il est fait mention d’une truie, pendue après 9 jours de procès, sans que plus de précisions, notamment en terme de datation, soit données. Le cas revient plusieurs fois mais, néanmoins, le problème reste marginal. En effet le ton donné à l’ouvrage oscille constamment entre une forme d’humour, certes très noir, et le scandale de certains vécus historiques. Comment ne pas être choqué par les conséquences, en terme de santé, des apprentis ramoneurs, certains mourant d’asphyxie, coincés dans un conduit de cheminé ? Ou par les radium girls, ces femmes qui ont travaillé au contact du radium pour peindre des montres phosphorescentes et qui n’ont eu ni le soutien des autorités publiques ni celui de leur entreprise lorsqu’elles ont commencé à toutes succomber à différents maux ?
Au delà même du fait d’être outré de certaines situations, toutes proches de nous, il est aussi possible d’être amusé par le décalage immense que certaines tâches ingrates peuvent avoir avec nos sociétés qui se veulent tellement hygiénistes. Que ce soit le gadouard qui transfère les contenus des fosses d’aisance, le collecteur d’urineUn métier qui pourrait revenir, sous une autre forme : En Gironde, une start-up transforme l’urine humaine en fertilisant agricole qui vide les contenant à l’entrée des tavernes ou le foulon et le tanneur qui travaillent en manipulant fèces et urines pour produire tissus et fourrures, on comprend que le chemin a été long avant d’atteindre nos douces conditions de vie.

L’ouvrage est bien construit et permet un tour d’horizon général de ces métiers. En effet, cet ouvrage n’est pas une liste exhaustive des sales boulots. Il ne traite pas non plus des tâches entreprises par les esclaves, comme le domestique de Pépi II que l’on enduisait de miel pour éviter que le souverain ne soit attaqué par des insectes. Nicolas Méra fait le choix de les exclure car, n’étant plus considérés comme des personnes et étant devenus des propriétés, il n’ont pas le choix de réaliser ces tâches. Néanmoins il est clair que la place du libre arbitre est souvent limitée dans de nombreuses professions puisqu’ils viennent apporter des revenus nécessaires au foyer. Pour les familles de bourreau, le choix ne se limite pas aux besoins de ressources : c’est le seul emploi que la société laisse à ces individus qui se caractérisent par une relation trop étroite à la mort.
Le principal défaut de l’ouvrage réside dans l’absence totale de classification des sales boulots. Pour chaque entrée il aurait été confortable de proposer une raison pour laquelle une catégorie de la population se retrouve contrainte à de basses œuvres : des tâches liées à la mort, liées aux excréments, liées à la révolution industrielle, liées à la religion ou liées aux rapports sociaux de domination, notamment le rapport homme/femme. Il était aussi possible de les classer par rapport à leurs conséquences. Par exemple on retrouvait de nombreux métiers ayant un impact négatif sur les écosystèmes : baleiniers, bestiaire (9000 animaux tués lors de l’inauguration du Colisée), chasseur de nuisibles (chats, chiens, rats, insectes …), coureurs de bois (braconniers avant les trappeurs en Amérique du nord), draveurs et cageurs canadiens (bûcheron conducteur de bois sur l’eau), louvetiers (organisés en compagnie, attestés dès Charlemagne, connus par la crise de 1765-67 en Lozère), pêcheurs de sangsues, tanneurs (rejet des mélanges chimiques dans les rivières). Un système de symboles légendés aurait été bienvenu.
Pour contrebalancer ce léger défaut, l’ouvrage s’est construit autour d’un atout central. Chacune des entrées propose des informations, anecdotiques ou non, donnant un point de vue différent du point de vue classique sur l’organisation de nos sociétés dans le temps. Même si le lecteur n’a pas une inclination particulière envers un des métiers étudiés, il trouvera toujours une connaissance intéressante à relever. En voici quelques exemples :
• Existence de barbiers-chirurgiens dès le XIe siècle : ils sont ceux maîtrisant des lames et qui vont s’occuper d’actes médicaux, en plus de raser les gens, en opposition aux médecins qui ne sont que des hommes de lettres
• La papauté autorise la castration ad honorem dei, puisque les épîtres aux Corinthiens interdisent aux femmes de chanter dans les églises. Il faudra attendre 1798 pour que cet interdit soit levé.
• Les Tatars catapultent des corps de pestiférés par dessus les remparts de la cité de Caffa, comptoir génois en Crimée, en 1345.
• Dès le XVIIe siècle les rues de Paris ou de Londres sont envahi de carrosses. Il est difficile de circuler. Parfois les chevaux pris de panique chargent. C’est ainsi que meurt le fils de Louis Philippe 1er.
• Henry Brown, un esclave de Virginie, s’expédie par la poste dans une caisse en bois en 1849. Il arrive ainsi à se libérer.

Quoiqu’il en soit cet ouvrage propose un contenu utile, rafraîchissant et original. Il permet de rassembler des connaissances hétéroclites et inhabituels même si le choix des entrées s’est fait autour de faits marquants, impressionnants et décalés. N’oublions pas, tout de même, que l’espérance de vie des ouvriers au XIXe siècle était très basse et que, même si les morts violentes y étaient plus rares que pour les monarques comme le relève Nicolas Méra (22 % des rois, 15 % par assassinat), la mort prématurée liée aux conditions de vie/de travail y était bien plus faible. Ni même dans les mêmes ordres de grandeur.