CR par Yveline Candas
Une enquête intéressante, menée par un journaliste américain ,qui envisage sous des angles variés par le biais des études de cas les effets destructeurs du pétrole sur les Etats, les nations à travers le monde.

Alors que le pétrole de BP se déverse dans le Golfe du Mexique paraît ce livre, « plaidoyer » pour l’abolition de la suprématie de cette énergie à l’aide de multiples exemples et de nombreux arguments.

Peter Maas, l’auteur, est un journaliste américain quinquagénaire qui écrit pour de grands journaux parmi lesquels le New York Times magazines, le Wall Street journal, le New York Times, The International Heralds Tribunes. C’est alors qu’il s’interrogeait sur les causes des conflits et de la pauvreté à l’échelle de la planète qu’il s’est plongé dans le pétrole (p 11). Ce livre, « PETROLE BRUT; enquête mondiale sur une richesse destructrice », est son second et dernier livre (son premier livre concernant la guerre de Bosnie, a été récompensé par le Los Angeles book prize et l’Overseas press club book prize). C’est, comme le titre l’indique, le compte rendu, voire le journal, de son enquête.

Pour la mener, il s’est rendu dans de nombreux pays producteurs de pétrole : Arabie Saoudite, Russie, Koweït, Irak, Nigeria, Venezuela, Equateur, Azerbaïdjan, Pakistan, Guinée Equatoriale et Afghanistan qui sont venus, écrit- il « s’ajouter à plusieurs nations clés du point de vue du pétrole où j’étais parti enquêter auparavant dont la Chine, le Japon, le Soudan, le Kazakhstan, la Grande-Bretagne et la Norvège » (p 12). Il a rencontré de personnages extrêmement divers mais tous liés d’une manière ou d’une autre au « monde du pétrole ». Parmi lesquels citons par exemple, pour tenter de rendre compte de cet éclectisme : Matthew Simmons (multimillionnaire, fondateur d’une compagnie d’investissement de niche du secteur de l’énergie , membre du concil on foreign relations, conseiller le George W Bush lors de sa première campagne électorale), Asari (chef de rebelles de la région du delta du Niger, au Nigéria, qui lutte contre le gouvernement pour le contrôle des ressources et le droit à l’autodétermination ), Donald Moncayo (un des leaders du Front de défense de l’Amazonie, en Equateur, dans l’Oriente qui a notamment intenté un procès contre la puissante compagnie américaine Chevron qui a fusionné avec Texaco en 2001, pour pollution du site, et de ce fait, adversaire de l’armée équatorienne liée à Chevron-Texaco et bien d’autres compagnies pétrolières par des contrats de protection juteux), Ali al-Naimi (ministre du pétrole du Royaume d’Arabie Saoudite), Mugaiteed (dirigeant très surveillé de la branche saoudienne « Human Rights First »), Mohammed (saoudien de 20 ans désœuvré, retenu en captivité en Irak où il était venu mener la «djihâd » contre les Américains car ils sont intervenus en Irak pour le pétrole)… Chaque entretien est resitué dans son espace spatio-temporel, ses interlocuteurs sont décrits, ainsi que l’ambiance, l’atmosphère, les paysages… Ceci donne une certaine « chair »à la lecture de cette enquête. Enfin, pour rédiger ce livre, P. Maas a aussi lu, consulté de nombreux ouvrages ou rapports rédigés par des spécialistes, des commissions officielles … Il nous en donne les références précises (indiquées en bas de page) à chaque fois qu’il y fait allusion ou qu’il les cite et ses sources sont en outre répertoriées dans la bibliographie qui clot le livre (p 256 à 259), beaucoup sont rédigées en anglais.
Par conséquent, cette enquête, rédigée un peu comme un carnet de voyage, fourmille d’informations et d’arguments sérieux. C’est une synthèse très agréable, intéressante et vivante à lire du paradoxe du pétrole : c’est une « richesse destructrice ».

Alors qu’il apparaît comme la promesse de « l’eldorado » lorsqu’il est découvert, d’autant qu’il raréfie, est de plus en plus convoité (cf. chapitre 1: « Pénurie ») et que les cours s’envolent, le roi pétrole est délétère pour les états producteurs. Ce de façons diverses et variées qu’évoquent les titres des neuf autres chapitres qui composent le livre : « Pillage », « Putréfaction », « Cupidité », « Aliénation », « Désir »… Ses effets pernicieux, néfastes sur l’environnement, le comportement des dirigeants, la cohésion, les économies, les sociétés de ces pays … mais aussi au niveau des relations internationales sont au fil de l’enquête mis en exergue par P. Maas.

La découverte de l’or noir, son exploitation, laisse espérer une croissance des recettes de l’Etat et par conséquent un décollage économique, une amélioration sensible du niveau de développement ; ceci est d’autant plus attendu qu’il est trouvé dans un pays pauvre.
Ainsi en Guinée Equatoriale, le PIB/hbt a été multiplié par vingt depuis qu’on y exploite le pétrole, il est d’environ 25000$ /hbt donc les Guinéens sont un des peuples les plus riches de la planète or la réalité, le vécu des Guinéens est : un service public délabré, la malnutrition, pas d’accès à l’eau potable… Le Nigéria est le 6eme producteur de pétrole mondial mais 9 Nigérians sur dix vivent avec moins de 2$ par jour, et l’IDH est y inférieur à Haïti… ; la banque mondiale a estimé que 80% des revenus du pétrole profitaient à 1% de la population du Nigéria. La manne pétrolière est détournée, volée, gaspillée… . En profitent, dans la plupart des pays producteurs, le dictateur au pouvoir (M Obiang et sa clientèle en Guinée Equatoriale dont les quelques 70 comptes ouverts à la Riggs étaient crédités de 700 millions de dollars en 1995), la famille royale, les membres du gouvernement corrompus, les potentats locaux, rebelles … avec la complicité des compagnies, des banques et du gouvernement américains, entre autres, grâce à des manœuvres financières diverses, plus ou moins douteuses voire rocambolesques. Ceci est favorisé par le fait notamment que ces états sont souvent des états fragiles où il n’existe pas de contre pouvoir et/ou d’organisme de surveillance de l’usage des revenus du pays (exceptions signalées par l’auteur : le Canada et la Norvège). Détournements de fonds, « pots de vin ». sont aussi facilités par le fait que dans bien des cas, les responsables politiques ou leurs familles détiennent aussi les entreprises avec lesquelles les compagnies sont obligées de négocier pour exploiter le pétrole. Cette confusion des intérêts permet d’ailleurs aux compagnies, gouvernements clients … montrés du doigt ou accusés de malversation de se dédouaner.
Lorsque les revenus du pétrole profitent à la population, c’est essentiellement par le biais de subventions, d’aides diverses qui, en fait, masquent les défaillances structurelles de l’économie, retardent les réformes nécessaires… On parle ainsi de miracle, de renouveau à propos de la Russie de M. Poutine … un mirage selon P. Maas et ses interlocuteurs, car les subventions dépendent des revenus pétroliers de l’Etat donc des cours fluctuants du pétrole. Il semblerait que le Venezuela, usant du même « mode de redistribution » ne se prépare pas un avenir plus sûr et plus radieux.

Le pétrole ne génère pas de décollage économique attendu par les locaux : tout ce qui est nécessaire à son exploitation est importé par les diverses compagnies (étrangères le plus souvent ou « récemment » nationalisées comme au Venezuela) qui l’exploitent aussi les retombées économiques, la stimulation de la demande au niveau local est minime : les matériaux et même la main d’œuvre. D’ailleurs , les besoins en main d’œuvre sont très limités et les compagnies pétrolières exploitantes recherchent d’une main d’œuvre qualifiée qu’elles ne trouvent pas sur place… En Arabie Saoudite, pays riche s’il en est et largement dépendant de cette ressource, le taux de chômage des jeunes est de 30% car le système éducatif y est très défaillant notamment, (les élites locales envoient leurs enfants suivre leurs études à l’étranger) ; peu qualifiés, nombreux sont ceux qui préfèrent vivre des aides gouvernementales que d’un travail peu rémunérateur. Il peut même contribuer à mettre à mal industries et agricultures nationales, ainsi au Venezuela et au Nigeria. Ces secteurs y ont considérablement pâti et sont aujourd’hui plus mal en point qu’avant l’ère pétrolière. Délaissés par les gouvernements et les investisseurs, la population qui préfère aller tenter sa chance en ville et grossit les bidonvilles, souffre en outre de la concurrence des produits importés grâce aux rentrées d’argent.

Le pétrole, l’argent du pétrole favorise aussi le développement de mouvements rebelles, la guérilla contre un état central pillard comme au Nigeria ou encore de l’islamisme en Arabie Saoudite ou en Iran contre une monarchie décadente ou jugée comme telle.
Délétère le pétrole l’est pour l’environnement les régions concernées par son exploitation. P. Maas n’hésite pas à parler « d’écocide » ou de «Tchernobyl du pétrole » pour les sites visités dans l’Oriente (Equateur) et pour le delta du Niger nigérien. Air vicié par la présence de mercure, d’arsenic, souffre…, responsable de nombreuses pathologies, à cause à l’usage de la technique économique mais interdite dans les pays riches, du brûlage pour éliminer le gaz qui remonte à la surface lors de l’exploitation. Mares de boue polluée nauséabondes laissées sur les sites en souvenir de leur exploitation, souillures dues aux fuites des pipelines mal entretenus par souci d’économie, eau polluée … les atteintes sont diverses et multiples. Des procès sont, certes, désormais, parfois, intentés mais le mal est fait et ce sont de véritables marathons. En outre, les dédommagements ne sont pas à la hauteur des nuisances causées, subies et ils sont versés alors que la plupart des victimes sont souvent déjà mortes… En Equateur, le pétrole favorise aussi la déforestation le long des routes tracées pour l’exploiter d’autant que celle-ci est encouragée par le gouvernement afin d’éviter que cette région riche en minerais et faiblement peuplée ne soit envahie par la Colombie voisine !

Corruption, enrichissement personnel, financement de mouvements islamistes, mouvements autonomistes et guérilla, pollution… Certes, il n’y a pas de scoop à proprement parler dans cette sinistre énumération. Cependant, il est utile d’avoir, et ce livre le permet grâce à l’analyse détaillée de cas, un large panorama malgré la variété des points de vue envisagés, des effets destructeurs induits par l’exploitation du pétrole. Utile aussi, sûrement, devant un tel au bilan, d’en tirer la conclusion qui s’impose et de songer à délaisser cette énergie fossile comme l’auteur nous y invite, en guise de conclusion, en contemplant t en champs californien d’éoliennes…

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