Dès l’introduction l’auteur annonce qu’il n’entend pas renouveler l’historiographie de ce règne bien étudié (notamment par John W. Baldwin). Pour autant l’ouvrage ne manque pas d’ambition puisqu’il entend rendre intelligibles les nombreuses péripéties d’un règne de 43 ans en 225 pages. L’auteur s’appuie pour cela sur sa maîtrise des sources et son expérience d’archiviste-paléographe, en bénéficiant notamment de la masse documentaire générée par les archives royales sous le règne de Philippe Auguste.
Le plan choisi est classiquement chronologique, découpant la vie du capétien en dix chapitres d’inégale durée.
Le chapitre I, « un héritier providentiel », présente les années 1165-1179. De fait Philippe Auguste est un héritier tard-venu, puisqu’à sa naissance son père Louis VII est déjà âgé de 45 ans. L’auteur explique ensuite les enjeux de l’éducation d’un prince appelé à s’installer sur le trône. Ambitieux précoce, ignorant du latin, il semble très tôt habité par la grandeur de sa mission, quitte à se faire qualifier de « valet mal peigné » par l’entourage royal. Mais la royauté est sous influence de puissants clans aristocratiques : la maison de Blois-Champagne, le comte de Flandre, et surtout le puissant empire Plantagenêt qui prend en écharpe l’ouest du domaine royal. Dès 1179 Philippe est associé au trône lorsque son père, septuagénaire, sombre peu à peu dans la sénilité. Mais son premier sacre est manqué, dans des circonstances finalement assez mal connues, mais qui témoigne d’une certaine instabilité psychologique.
Le chapitre II, « l’apprentissage », narre les 6 premières années du règne de Philippe. D’abord le vrai sacre lors de la fête de la Toussaint en 1179, qui s’inscrit dans la tradition instaurée par Pépin le Bref (en 751 plutôt qu’en 752, page 31). Puis les rivalités d’influence qui entravent la prise du pouvoir par le jeune roi de 15 ans. L’auteur souligne au passage les mesures anti-judaïques prises par le jeune roi, qui s’inscrivent certes dans une hostilité ancienne, mais dont la sévérité marque cependant une nette rupture : arrestation dans leurs synagogues pour saisir leurs biens, annulation des dettes dues par les chrétiens, puis obligation en avril 1182 de quitter le royaume, sauf conversion au christianisme. L’auteur clôt ce chapitre lorsque début le règne véritablement personnel de Philippe Auguste.
Le chapitre III, « le jeune roi contre le vieux lion », résume les années 1179 à 1185. De fait cette époque est dominée par les tensions qui apparaissent entre la monarchie capétienne et son puissant vassal, le roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine et de Normandie. Le souverain Plantagenêt, Henri II, est un homme plus âgé et expérimenté, époux d’Aliénor d’Aquitaine. Mais il possède des héritiers aussi nombreux qu’impatients de lui succéder. Si Philippe Auguste respecte au début de son règne une forme d’ « entente cordiale » (l’expression est de l’auteur) vis-à-vis de son puissant vassal il se lance dès qu’il en a l’occasion dans des offensives ponctuelles contre un empire Plantagenêt en crise, notamment en utilisant les rivalités et les ambitions des fils d’Henri II. Le « Vieux Lion » meurt épuisé en 1189, mais son héritier, Richard Coeur-de-Lion, est assurément un adversaire tout autant ambitieux que Philippe Auguste…
Le chapitre IV, « l’épreuve : la croisade » évoque les événements des années 1189- 1191. Philippe possède désormais un héritier, le futur Louis VIII, mais son épouse (Isabelle) décède en mars 1190. L’auteur souligne les hésitations de Philippe pour accepter de partir en Orient, en dépit de sa piété. Mais les départs de plusieurs de ses barons, de Richard et de l’empereur Frédéric Barberousse, ainsi que son voeu solennel prononce en public, lui imposent le départ. Méticuleux Philippe organise avec soin la vacance du trône à travers l’ordonnance de 1190. L’auteur estime qu’elle est révélatrice d’un « compromis entre le besoin de stabilité politique (…) et son souhait de réformes plus profondes » page 77 et en détaille les enjeux avec clarté. L’étape sicilienne met cependant en lumière les tensions qui existent entre les deux souverains croisés, Richard et Philippe. A son arrivée en Terre Sainte, Philippe participe à la prise d’Acre, puis tombe malade. De plus il est vite éclipsé par la fougue et les succès de Richard, qui s’est emparé de Chypre au passage. Cela explique peut-être la décision surprenante prise par Philippe en juillet 1191 : quitter une croisade inachevée pour rentrer en France.
« Les années difficiles » constituent le chapitre V (1191-1198). L’auteur décrit le retour en France du roi ainsi que ses nouveaux objectifs : profiter de la captivité de Richard Coeur-de-Lion pour s’emparer de la Normandie, en se rapprochant notamment de son jeune frère, Jean sans Terre. Mais la libération de Richard entraîne rapidement la reprise de la guerre, dont les résultats sont plutôt en défaveur du roi de France. La bataille de Fréteval (3 juillet 1194) constitue ainsi un sérieux revers pour Philippe. Trêves précaires et combats localisés se succèdent, mais la construction rapide de Château-Gaillard, verrou du duché de Normandie, démontre la solidité des positions du Plantagenêt.
Le chapitre VI s’intitule « préparer la victoire » et présente les années 1198-1202. L’auteur souligne l’efficacité des efforts d’organisation administrative déployés par Philippe et son entourage. De fait l’historien ne peut que constater l’inflation des archives royales ainsi que l’importance accrue des conseillers d’origine (relativement) modeste. Paris commence à se transformer en capitale du royaume. La mort de Richard en 1199 ouvre de nouvelles opportunités à Philippe Auguste…
C’est pourquoi le chapitre VII, « la conquête », présente les victoires des années 1202-1206. Philippe utilise le droit féodal à son avantage en condamnant formellement Jean sans Terre, le nouveau monarque anglais. L’auteur souligne cependant les erreurs et les difficultés (ainsi le siège infructueux de Mirabeau) rencontrés par le roi de France, au détriment d’une vision téléologique d’une conquête inévitable. Ce qui n’empêche pas finalement la Normandie de tomber dans la domination capétienne, notamment après la prise de Château-Gaillard (mars 1204).
La période 1207-1213 représente pour l’auteur des années de « consolidations » (chapitre VIII). Jean sans Terre n’accepte pas sa défaite et prépare sa revanche, pendant que Philippe consolide son autorité sur les grands fiefs. L’auteur évoque aussi la croisade contre les Albigeois, une initiative pontificale dans lequel le roi de France ne joue certes qu’un rôle secondaire et indirect à ses débuts.
L’auteur réserve ensuite tout le chapitre IX pour expliquer les enjeux de « la grande coalition » durant les années 1213-1214. Philippe Auguste reste plus intéressé par le rêve de conquérir l’Angleterre que par les terres situées au sud de la Loire, mais doit faire face à un retournement d’alliances au bénéfice de Jean sans Terre. C’est au prince héritier Louis, époux de Blanche de Castille, que revient l’honneur périlleux de diriger l’expédition outre- Manche. Mais l’opération échoue, ce qui entraîne Philippe à lancer son armée sur la Flandre, toujours rétive à l’autorité royale. Le conflit est multiple, puisque des armées s’affrontent au Poitou (prise de La-Roche-aux-Moines) pendant que d’autres s’affrontent à Bouvines, une bataille à laquelle l’auteur consacre huit pages. De fait ses enjeux et son déroulement sont clairement expliqués. La trêve de Chinon consacre la victoire de Philippe Auguste, qui a un retentissement considérable en France, du moins au nord de la Loire.
Le chapitre X, « un nouveau monde » narre les années 1214-1223 : le roi, désormais quinquagénaire, n’a plus d’adversaires à sa mesure. C’est le « triomphe du suzerain », qui marque l’acmé de la « monarchie féodale ». Une situation qui n’ôte pas tout appétit territorial au roi, qui lance une nouvelle expédition contre l’Angleterre pour profiter des difficultés de Jean sans terre, en butte à la révolte de ses grands barons (la Grande Charte, 1215). Le prince Louis traverse cette fois-ci effectivement la Manche, et remporte de rapides victoires. Mais la mort de Jean sans Terre (octobre 1216) et l’accession au trône du jeune Henri II bouleverse la situation : Louis est vaincu à Lincoln par Guillaume le Maréchal (mai 1217). Philippe fait face désormais à des souverains bien plus jeunes que lui. Le prince Louis, de retour d’Angleterre, joue un rôle croissant au fur et à mesure que le roi vieillissant s’efface peu à peu, tout en conservant une impétuosité redoutée. De plus en plus sédentaire, Philippe rédige son testament en septembre 1222 et décède le 14 juillet (sic) 1223 à presque 58 ans. La transmission du pouvoir à Louis VIII est aisée et les funérailles particulièrement solennelles. L’auteur conclut en soulignant les transformations entraînées par ce règne sur le royaume de France : grâce à son patient travail de bâtisseur le roi capétien n’est plus un seigneur local mais bien un véritable monarque.
Le livre se clôt par une liste des principales sources utilisées ainsi que par une bibliographie alphabétique synthétique, utilement actualisée (la moitié des livres et articles sont postérieurs à l’an 2000). Pas d’index.
Le lecteur pourra cependant regretter _ mais telles sans doute les inévitables contraintes éditoriales d’une édition de poche _ l’absence de tableaux généalogiques ainsi que de cartes pour localiser les principaux espaces de la lutte entre Philippe Auguste et les Plantagenêt, le long d’un vaste arc atlantique. Cette absence d’outils tend à désincarner le récit, qui semble être un peu « hors sol », mais c’est le lot de beaucoup de livres d’histoire au format réduit.
Le livre est donc une présentation claire et complète d’un long et riche règne. L’auteur ne néglige cependant pas les événements plus anecdotiques mais qui peuvent s’avérer révélateurs : ainsi les difficultés maritales de Philippe avec son épouse danoise, l’infortunée Ingeburge. Il s’efforce aussi de sonder la psychologie des acteurs en s’efforçant de reconstituer leur vision du monde, qu’il s’agisse d’Innocent III ou de Jean sans Terre. Par ailleurs le livre est parsemé de citations issues d’auteurs contemporains, qui rythment la lecture et permettent au lecteur, selon le mot de La Bruyère, de « puiser à la source […] puisque c’est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d’érudition » (Les Caractères. De quelques usages, chap. 72).
Quel usage peut-on faire de cet ouvrage ? Le lecteur curieux y trouvera une synthèse actuelle, dynamique et agréable à lire sur un règne dont maintes péripéties, au-delà sans doute de la longue rivalité avec les rois d’Angleterre successifs, sont finalement assez mal connues. L’enseignant lui pourra piocher des exemples bien développés pour bâtir un cours sur la société médiévale en classe de 5° ou de 2nde en proposant une analyse sur la bataille de Bouvines, sur le siège de Château-Gaillard ou sur les heurts de la III° Croisade.