L’américanisation des occidentaux à l’intérieur d’un village planétaire est au cœur de l’ouvrage de Sylvie Sanchez, spécialiste de l’histoire des produits alimentaires au Centre d’études transdisciplinaires sociologie, anthropologie, histoire au sein de l’EHESS.
C’est la menace aux particularismes culturels des pays qui explique l’adaptation de la pizza aux changements locaux ou nationaux. Elle place son ouvrage sous la double férule d’une étude diachronique et transdisciplinaire. Pourquoi l’alimentation ? Elle en donne une réponse simple et non allusive : « Parler d’alimentation, c’est se référer à la norme de la morale, des valeurs, du symbolique mais aussi de la technique, de l’économie… ». Ainsi, son ouvrage est-il une synthèse d’études anthropologiques, sociologiques, économiques et historiques. La géographie n’est pour autant pas absente, elle se trouve dans l’étude des territoires et des spécificités de la pizza et de ses flux de part et d’autre de L’Atlantique de Naples à New York en passant par Marseille. La problématique prend le contre-pied des thèses de Levi-strauss en posant comme postulat que la pizza symbolise le maintien voire le renouvellement de la diversité culturelle et des influences réciproques. La mondialisation de la pizza ne signifierait donc pas homogénéisation culturelle.

Plat napolitain, rendu célèbre par la femme du roi Umberto Premier dans la seconde moitié du XIXème siècle, la pizza s’est adaptée. En définitive, l’identité italienne de la pizza s’est avant tout forgée en dehors de ses frontières.
Cet ouvrage est en fait une étude des enjeux identitaires qui est menée de son origine à Naples à sa diffusion quasi-universelle aujourd’hui. Avec l’émergence des plats « Totem », sa diffusion a été facilitée par l’arrivée massive de migrants italiens aux Etats-Unis et dans le sud de la France. Même si l’appropriation de la pizza par les américains est certaine tout en donnant un « coup de jeune » à la pizza française et italienne, la réponse donnée à cette appropriation demeure spécifique des traditions culinaires nationales. Ainsi, S. Sanchez peut affirmer contredisant ainsi Lévi-Strauss : « le mélange et le contact donnent lieu à des forces nouvelles et régénèrent les cultures » ouvrant la voie à son analyse du renouvellement dans la diversité. Ce syncrétisme culturel est symbolisé par de nombreux exemples comme à Marseille ou la proximité culturelle de l’Italie du Sud favorise les échanges culinaires.

Sylvie Sanchez envisage aujourd’hui ce plat comme symbole d’un républicanisme post révolutionnaire, unifiant les habitudes alimentaires en France. « Ce plat totem subit un changement de statut pour devenir marque de l’expression publique d’une identité affirmée » relève l’auteur. Au contraire, la pizza aux Etats-Unis s’est « fondue » dans le « creuset » américain.
La pizza serait ainsi un exemple de plats réappropriés que l’auteur réussit à faire vivre à travers de très intéressantes enquêtes. Ce met peut être perçu aujourd’hui comme le lieu de rencontre entre deux systèmes de règles.
Les années 1960 marquent le début des « 30 glorieuses de la pizza ». Le boom s’accompagne de mutations profondes décrites par une enquête sur les marchands ambulants de pizza mais aussi sur l’émergence d’un géant de l’agroalimentaire, Pizza Hut. Sylvie Sanchez souligne le rôle majeur du surgelé ou des marchands ambulants. Le plat maintient alors un modèle de vie familiale et un certain rythme du repas organisé auteur d’elle.

La pizza est aujourd’hui au cœur des enjeux « nationalistes » entre ces différents pays. L’auteur remarque que la tentative de réappropriation des italiens par la création d’une appellation protégée est liée à la volonté de monopole des Etats-Unis par la voie du fameux « Les pizzas sont américaines ! ». Ainsi, la signification du mot « pizza » est à « même de fédérer des représentation différentes autour d’un élément unitaire.

Entre réappropriation et adaptation, la pizza apparaît au sortir de l’ouvrage comme un met culinaire multiforme, symbole d’une diversité culturelle que chacun appelle de ses vœux. Diffusion globale ne veut pas dire selon l’auteur uniformisation, adhésion à une mondialisation américaine mais au contraire, elle permet une réappropriation des symboles, l’émergence ou la survie d’une culture propre que les gens vont se saisir. Pour les professeurs d’Histoire-Géographie cet ouvrage pourra servir pour mieux appréhender les enjeux liés à la mondialisation mais aussi le rôle des acteurs et des territoires. Plus généralement, Sylvie Sanchez nous livre des analyses pertinentes et intéressantes des mécanismes d’appropriation au cœur d’enjeux culturels et identitaires.

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