Apparue comme un centre d’intérêt solide pour les géographes à partir des années 1990, la géographie de l’éducation s’intéresse aux inégalités spatiales générées par le fait éducatif qu’il soit exercé dans un cadre formel (l’école avec un grand « e ») ou non (éducation non formelle et informelle). Si ce champ d’étude et de recherche fait de plus en plus parler de lui, c’est en lien avec un désengagement croissant de l’Etat. Voilà dans quel contexte Aurélie Delage, David Giband, Kevin Mary et Nora Nafaa, chercheur(e)s au sein de l’UMR Art-Dev de l’université de Perpignan propose ce premier ouvrage de synthèse sur la question autour de 6 chapitres.

Cadrage théorique

Le premier chapitre se veut cadrage théorique. Pour bien englober le formel et l’informel/non formel, l’éducation comme objet géographique est définie comme « un processus d’interaction entre un apprenant et son environnement socio-spatial ». Elle peut aussi être vue comme « une production et une consommation spatiale de systèmes d’éducation ». De nombreux aller-retours sont proposés entre la façon dont l’éducation produit de l’espace mais aussi sur la façon dont l’espace agit en retour sur l’éducation. On y voit les coopérations mais également les tensions et conflits afférents. Chronologiquement, les travaux ont été d’abord plutôt quantitatifs, s’ancrant sur des faits éducatifs en contextes nationaux d’éducation formelle. Ont suivi des travaux plus qualitatifs sur les processus de ségrégation puis, à partir des années 2000, des travaux sur l’informel et les représentations.

La géohistoire des systèmes éducatifs montre une construction lente démarrant d’un enseignement obligatoire présent sur tout le territoire national. Nécessairement sectorisé du fait de la massification, l’enseignement s’est ensuite vu déconcentré et décentralisé. La suite, c’est l’entrée dans l’ère de la libre concurrence, de l’évaluation, des mobilités mondiales…A échelle mondiale, la déconcentration et la décentralisation opèrent à des degrés divers. Les choses se mettent en marché et l’offre est énorme d’où l’obsession des classements.

Paysages éducatifs

Le second chapitre s’intéresse aux paysages éducatifs avec leurs multiples acteurs. En France, l’Etat est d’abord tout puissant, les collectivités locales étant des fournisseurs d’équipements et, un peu, de financements. La donne change avec un pouvoir accru des directeurs et chefs d’établissements. On y distingue bien à nouveau le formel, l’informel et le non formel. Le privé est de deux ordres (sous contrat et hors contrat), il est très présent dans l’Ouest français. En dehors des pays développés, le privé est parfois la seule option pour pallier un Etat défaillant. Un focus est fait sur les industries éducatives, le rôle des parents, les éducations populaires et les associations. La famille joue de « l’effet territoire ». Les auteurs acteurs sont le périscolaire, l’extrascolaire, les clubs, les environnements numériques.

Mondialisation de l’éducation

Le troisième chapitre aborde la mondialisation de l’éducation. La planète est un grand marché qui génère une forte concurrence et qui est dominé par quelques grandes entreprises transnationales. La gouvernance mondiale baisse la capacité des Etats à produire leurs propres politiques éducatives tout en uniformisant les choses (approche par compétences, libre choix scolaire…). De manière plus ciblée, on note une explosion du nombre d’étudiants en Amérique Latine, en Afrique subsaharienne et en Asie. De gros investissements permettent parfois le retour au pays (Inde, Chine). Les écoles sont aussi le lieu d’attaques armées (Afrique, Asie, Moyen-Orient) et touchent les femmes. Les mobilités étudiantes montrent une certaine régionalisation (proximité linguistique, culturelle). On trouve aussi des délocalisations universitaires (la Sorbonne à Adu Dhabi par exemple). L’adaptation des universités européennes à la concurrence générée par le classement des Shanghai n’est pas évidente (le modèle nord-américain domine).

Inégalités de dévelioppement

Le quatrième chapitre s’intéresse aux inégalités et au développement. Il y a bien corrélation entre la richesse et « l’espérance de vie scolaire ». Les filles sont sous représentées (question du mariage, de la grossesse et des programmes scolaires sexistes et discriminants). Le rôle de la colonisation est notable dans l’implantation des écoles. La néolibéralisation prend deux visages : exogène (arrivée d’acteurs extérieurs à qui on sous-traite quelques fonctions) et endogène (adaptation des logiques de la sphère marchande qui engendre de la concurrence). On note un focus sur l’IPS qui montre, en France, que plus il est élevé, plus la part du privé y est grande.

L’école et ses territoires

Le cinquième chapitre aborde l’école et ses territoires. L’école rurale montre des atouts et inconvénients à la faible densité et à l’isolement. On y lit les différents types de RPI. Le problème est plus grave dans les Suds avec un recrutement de moindre qualité. L’atout demeure la nature avec des internats et des bâtiments dans des cadres propices. L’école urbaine est le miroir des inégalités de la ville. Les facteurs internes (carte scolaire) et les facteurs externes (marché résidentiel) s’y combinent. On définit « l’effet cartable » comme le fait de se loger dans un quartier coté et assez cher mais qui permet d’éviter des frais d’inscription plus élevés ailleurs dans le privé. En périphérie, les situations sont contrastées. Dans les Suds, l’étalement urbain spontané n’est pas accompagné d’infrastructures.

Les universités

Le sixième chapitre s’intéresse à l’aménagement territorial, notamment en lien avec les universités. En France, la politique scolaire suit l’exemple général de l’aménagement du territoire avec un fort centralisme visant à équiper puis une décentralisation cherchant l’équité avant d’en arriver à un management voulant aller vers l’autonomie des établissements. L’université nord-américaine est présentée comme un modèle aménagiste cherchant l’agrandissement et la hausse d’attractivité. Le lien entre ville et université est très fusionnel. Le marché du logement peut se trouver modifié face à la pression des étudiants et une France à trois vitesses se dessine. Des cas fusions/regroupements sont étudiés, parfois les universités refusent.

 

Il s’agit là d’un ouvrage très important à mon sens puisqu’il constitue le premier ouvrage de synthèse sur une question d’avenir, c’est indéniable. La géographie de l’éducation, notamment sous cette appellation-ci, se rend de plus en plus visible que ce soit dans les sphères universitaires ou davantage grand public. Pour ma part, je pense même qu’il faudrait qu’elle soit un objet d’enseignement dans la formation des enseignants, j’ai pu en tester certains aspects ici.

Deux choses si réédition il y a, à l’avenir et je ne doute pas que cela se fera : des améliorations dans la gestion de la bibliographie sont à apporter (la bibliographie générale est assez maigre, les bibliographies de fin de chapitres également, et il y a pourtant pas mal de références mobilisées dans le corps des chapitres qui ne réapparaissent pas à ces deux endroits) et peut-être serait-il possible de rendre plus visible, dans le premier chapitre, les chercheurs français ayant fortement œuvré ce champ (on ne trouve pas le nom de Robert Hérin, nous avons une référence à Patrice Caro sans mentionner Rémi Rouault et leur atlas important des fractures scolaires, Vincent Veschambre et sa géographie des enseignants, Jean-Christophe François et la carte scolaire…). Bien sûr, la contrainte de pages a dû jouer…

Un livre important donc, bien écrit et richement documenté, inséré de manière visible dans la collection Cursus de chez Armand Colin, à qui nous souhaitons longue vie !