Tony Blair, illustre défenseur de la troisième voie pour les uns, fossoyeur du Labour pour les autres mais véritable orateur de talent et magicien des urnes est parti en juin 2007 du 10, Downing street. Florence Faucher-King de l’université Vanderbilt aux Etats-Unis et Patrick Le Galès, directeur de recherche au CNRS ont réuni leurs compétences pour faire un premier bilan non exhaustif des dix années de T. Blair à la tête du Royaume-Uni. Cette approche croisée est une habitude prise par les Presses de Sciences Po comme en témoigne le développement d’approches croisées de part et d’autre de l’Atlantique (voir « La France en mutations » http://www.clionautes.org/?p=1130 ).
Elles insistent dès le départ sur une approche renouvelée de la recherche sur les mandats de T. Blair en mettant en lumière le caractère composite et original du blairisme mélange de volontarisme politique avec une volonté d’action, de transformation sur la société britannique, la volonté de séduire directement les individus mais aussi la mise en avant d’un projet de société de middle classes.
Sériant les différents temps de l’action des néotravaillistes au gouvernement, l’actualité irakienne mais aussi les conflits larvés avec Gordon Brown ont grevé les dernières années du mandat. Perdant progressivement la confiance de ses administrés, les réformes d’ampleur paraissaient alors « idéologiques » et non plus novatrices.
Les auteurs se sont ainsi concentrés sur les politiques publiques menées et sur leurs effets sur la société, l’économie et la vie démocratique. Analyse du blairisme non mais analyse de ses résultats oui, tel semble être leur credo.

Le premier chapitre énonce le but central du projet néo-travailliste à savoir la bonne gestion des enjeux économiques. C’est ici que Gordon Brown a joué un rôle majeur en favorisant la croissance économique britannique tout en maîtrisant l’inflation et les hausses d’impôts grace à un savant mélange de lutte contre l’inflation, de monnaie forte et d’une discipline budgétaire de fer au détriment des couches les plus modestes de la population.
Au terme du premier mandat, le pari économique est réussi. Mais, le bilan social apparaît très succinct. Ce sera l’objet du second mandat. La volonté de maintenir la croissance à travers l’investissement public, politique néo-keynésienne au possible, est affichée par le duo de choc. L’Etat investira ainsi près de 150 milliards d’euros dans les services publics.
Les auteurs posent les principes de la politique européenne du gouvernement. Se déclarant proeuropéen et voulant assumer un rôle majeur en Europe (comme le discours devant le European Research Institute en novembre 2001 en témoigne) la réalité est différente. L’Europe est, pour eux, un grand marché et doit le rester.
C’est le travail qui semble être un cœur d’action important pour le projet néotravailliste avec le développement de l’offre d’emploi mais aussi l’utilisation de l’incitation et de la contrainte pour les chercheurs d’emploi. Ce « New Deal » est analysé dans l’ouvrage de façon pertinente et intéressante.
Au total, malgré ces politiques volontaristes, le Royaume-Uni reste un des pays les plus inégalitaire d’Europe malgré des résultats économiques brillants mais qui ne mettent pas le pays à l’abri du crise financière majeure liée à la très forte proportion de spéculation (immobilière et boursière) de son économie.

L’analyse de l’action travailliste sur les services publics en terme d’efficience et de résultats est au cœur de l’analyse de la seconde partie. Il convient de noter que la révolution bureaucratique initiée par M. Thatcher fut au centre de modernisation de la Grande Bretagne. S’appuyant sur le modèle thatchérien et les think tanks travaillistes, T. Blair et son gouvernement va mettre en place un « nouveau management public » : programme « Best Value for Money », fin du système clientéliste de quangos etc avec la généralisation des partenariats public/privé. C’est une véritable culture de l’évaluation, de l’audit qui fut mise en place.

Un des traits majeurs de la politique blairiste fut le mouvement de décentralisation dit de dévolution des pouvoirs initié dans les nations périphériques au lendemain des élections en septembre 1997 ( http://www.clionautes.org/?p=1353 ). Une gouvernance polycentrique et asymétrique, comme le rappellent les auteurs fut mise en place. Même si la dévolution n’est pas totale, laissant une part très importante des décisions aux Communes, le véritable succès de T. Blair est celui concernant l’Irlande du Nord qui semble avoir connu son épilogue en mai dernier.

Enfin, les deux derniers chapitres, qu’on pourrait juger annexes par rapport aux trois premiers, proposent une analyse de ce qu’est le Labour aujourd’hui : un parti discipliné et traitant des affaires de communication (voir l’importance du soutien des journaux de R. Murdoch lors des élections) en rupture totale avec la culture antérieure du Trade Union Congress. Ainsi, le bilan des travaillistes est à la fois manipulé mais aussi progressiste, autoritaire et démocrate.

Les auteurs tracent des perspectives très stimulantes sur le bilan de l’ « ère » Blair. Sa priorité, bien qu’ancrée dans un réel volontarisme social, est de faire de la population britannique une « société de marché » dans laquelle l’économie contraint les organisations et les individus. Le consommateur citoyen des middle classes ne peut que louer son action. Il ne reste qu’à tirer un bilan social plus profond pour en avoir une vision globale.
On appréciera les deux courtes biographies de T. Blair et G. Brown à la fin de l’introduction même si on regrettera le manque d’analyses contextuelles et historiques complémentaires pour comprendre la profondeur historique des réformes mises en œuvre. C’est un ouvrage de base que devraient se procurer les centres de documentations des établissements scolaires et universitaires.

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