Dans cette nouvelle livraison de Polka, Alain Genestar, dans son éditorial intitulé « ce sont nos démocraties joyeuses qu’on assassine », revient sur les attentats terroristes du mois d’octobre et énonce une nécessité dans une démocratie, qu’il définit sous la forme d’un triptyque : « montrer la violence en images. La dénoncer avec des mots précis. Y répondre par des actes ». Il conclue son propos en ces termes : les « extrêmes, qui doivent être contrés politiquement tant que nous en avons encore les moyens électoraux et militants de le faire, sont le péril de nos démocraties, chaperonnes conciliantes de nos libertés chéries. Ils sont, dans cette guerre qui menace nos démocraties joyeuses, les collabos des terroristes ».

Le grand invité du magazine est Stéphane Arnaud, rédacteur en chef photo de l’AFP.

Dans l’entretien qu’il accorde, Stéphane Arnaud indique que l’AFP dispose, à Gaza, d’une équipe constituée de trois photographes permanents et de deux pigistes. L’agence est également présente à Hébron, Ramallah et Naplouse. L’ensemble de ces antennes est rattaché au bureau de Jérusalem-Ouest qui lui même dépend de celui de Nicosie qui a la responsabilité de l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Stéphane Arnaud évoque les conditions de travail et de vie des membres de l’agence à Gaza. Il rappelle également la nécessité absolue de rester factuel qui se trouve au cœur même du métier de journaliste. Le débat porte ensuite sur ce qu’il est possible, ou non, de montrer en terme d’image.

Pour Stéphane Arnaud (p.32), « une image doit avant tout informer. Le voyeurisme est proscrit. On évite donc les gros plans. Il faut conserver le contexte de la prise de vue. Ne pas forcément montrer le visage d’une victime, veiller à conserver sa dignité. Le travail de l’éditeur photo est essentiel. Il reçoit le matériel brut, c’est-à-dire l’ensemble des images envoyées par le photographe. A l’éditeur de faire des choix. Il faut être habité par le doute en permanence : se poser les bonnes questions, se demander quels sont les faits, regarder le contenu de l’image, l’analyser. C’est cela, la responsabilité et le professionnalisme d’un bon agencier ».

Un article est consacré à Lee Miller, « artiste et pionnière du reportage de guerre »,  à l’occasion de la sortie d’un ouvrage présentant une centaine de ses photographies et d’un film avec Kate Winslet incarnant la photographe.

Le travail d’Eric Bouvet fait l’objet d’une large présentation. Photographe de guerre, Eric Bouvet a, pendant cinq ans, réalisé la série Elévations consacrée à la chaîne des Alpes. Il en ressort des images époustouflantes (voir, à titre d’exemple, la magnifique vue du glacier des Bossons, page 52).

Le très beau récit graphique d’Ulrich Lebeuf est ensuite présenté. Photographe de l’agence Myop, il a raconté en images, depuis dix ans, les parcours de vie d’Isabelle et de sa fille Amandine, d’abord dans la Somme à Berteaucourt-les-Dames, puis à Gien dans le Loiret.

Ce sont ensuite les photographies de Brian Bowen Smith qui sont mises en avant. L’homme, à bord de son pick-up et en plein confinement, a fait le choix de partir dans un périple de sept semaines et 18000 kilomètres, à la rencontre de citoyens étasuniens. Il a ainsi réalisé une série de clichés, baptisée Drivebys, depuis l’habitacle de son véhicule.

L’enquête sur les « nurdles », ou « larmes de sirène » du photographe italien Gianmarco Maraviglia suit. C’est en passant des vacances en Grèce que l’artiste milanais a décidé, après être tombé sur ces petits objets que sont les « nurdles », de les photographier au microscope électronique afin de dénoncer la pollution générée par ces nuisances majeures. Concrètement, ces « nurdles » sont de petites billes de résine plastique, dont la taille oscille entre 1 et 5 millimètres. Elles constituent la deuxième source de micropolluants des océans et près de 230000 tonnes de ces granulés seraient dispersés dans l’environnement chaque année, ce qui constitue une « méga-catastrophe » sanitaire et environnementale.

A l’occasion d’une exposition intitulée « Sur la route de l’Orient », le portfolio du magazine présente des œuvres de Marc Riboud et Steve McCurry lors de leurs périples respectifs en Asie. Une série de superbes clichés de ces deux photographes mondialement connus sont ainsi reproduits.

Enfin les réalisations de Nick Brandt (Sink/Rise) mettent en scène des habitants des îles Fidji directement menacés par le dérèglement climatique. Sans aucun trucage, l’artiste a conçu toute une série de prises de vues de femmes et d’hommes sous l’eau. Un résultat saisissant et pour le moins bouleversant.

D’autres petits articles sont également consacrés à la présentation des travaux de Myriam Boulos au Liban, à ceux de Derrick Ofosu Boateng au Ghana, aux ouvrages Ukraine : A War Crime et Ukraine.Fragments ou encore au parcours de Françoise Huguier. L’extraordinaire photographie d’Emeric Lhuisset, prise dans les environs de Kyiv, est également présentée. L’artiste, qui est qualifié de « report-art de de guerre », a fait poser des soldats ukrainiens de la défense territoriale de manière à reproduire la scène figurant sur la toile d’Ilya Repine intitulée Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie. L’image obtenue (après près d’un an de préparation), qui porte le titre J’entends au loin la réponse des cosaques, est particulièrement impressionnante !

Grégoire Masson