Eric Stalner qui a publié plus de 90 bandes dessinées, s’est associé au scénariste et adaptateur, Cédric Simon pour la seconde fois. Après La Curée d’Émile Zola, nos auteurs présentent Pot-Bouille le dixième volume de la saga des Rougon-Macquart. Ils ont choisi ce truculent roman qui précède Au Bonheur des dames car l’histoire plutôt légère se prête bien à la dérision. Au XIXe siècle, le mot Pot-Bouille signifiait la cuisine quotidienne des ménages. Mais ce n’est pas cette tambouille que l’écrivain décrit mais plutôt « les magouilles » des multiples personnages qui habitent, rue de Choiseul, une vénérable maison « pour des gens comme il faut », où même les escaliers sont chauffés.

Pot-Bouille raconte l’arrivée d’Octave Mouret à Paris. Élevé à Plassans (ville imaginaire proche de Marseille), le jeune homme de 20 ans cherche à intégrer la bonne société bourgeoise de la capitale grâce à son irrésistible séduction auprès des femmes. En décrivant ses fréquentations, Zola trouve un prétexte pour décrire les combines et les mœurs des Parisiens dont la vie trépidante est vouée aux spectacles et aux plaisirs  souvent liée aux transformations architecturales du baron Haussmann. Ainsi l’auteur nous montre l’envers du décor d’un immeuble moderne et luxueux occupé par plusieurs foyers dont les attitudes immorales contrastent avec leur apparence soignée et leurs propos moralisateurs.

 

M Vabre, propriétaire des lieux occupe l’étage noble avec sa fille et son gendre Alphonse Duveyrier tandis que son fils tient avec sa femme le magasin de soieries du rez-de-chaussée et de l’entresol. Octave prend pension chez les Campardon, des amis de sa famille, qui font ménage à trois au deuxième étage face à « un monsieur qu’on ne voit jamais ». M Mouret occupe un appartement, au niveau supérieur entre les Josserand et les Pichon. Dans les sous-pentes, vivent les domestiques. 

Les bédéistes ont eu une idée géniale et originale, l’utilisation d’un code couleur pour chaque appartement afin de suivre le récit des péripéties de leurs occupants : les Josserand évoluent en violet tandis que les Pichon habitent du vert, les Vabre en jaune et le magasin en orange. Ainsi le lecteur suit facilement les aventures de chacun dans ce décor théâtral de l’immeuble, pratiquement unité de lieu de l’histoire.

 

La BD s’avère un bon moyen de mettre en avant le côté grinçant du texte et le caractère particulier des personnages. Ainsi les trognes reflètent les sentiments intérieurs en exagérant leurs traits : une gueule avinée et boutonneuse pour l’oncle Bachelard que ses nièces veulent plumer, un visage émacié pour la cousine Gasparine, maîtresse de M Campardon. Vénale, Mme Josserand arbore une tête bovine tandis que Mme Hédouin, gérante du magasin, « le bonheur des dames » présente son joli minois et une belle mise. Cette galerie de portraits truculents permet une bonne adaptation du roman d’Émile Zola. Les dessins remplacent les longues descriptions tandis que les dialogues sont directement tirés du texte original. Sur une étonnante double page (p.6 et p.7), les auteurs rompent le sens de lecture, de haut en bas page de gauche puis de bas en haut page de droite, montrant ainsi la géographie sociale de l’immeuble. Plus on monte plus l’espace se rétrécit à l’image du statut social des protagonistes, même l’escalier change et se fait plus simple et plus étroit. Bien sûr, Octave Mouret aspire à redescendre vers le rez-de-chaussée.

Des belles planches décrivent le Paris haussmannien avec ses larges avenues, ses fiacres et ses becs de gaz,  Notre-Dame sur l’île de la cité, le cadre de cette société du Second-Empire où seul le paraître importe, où tout est apparence et futilité. Le documentariste Philippe Mellot a compilé en fin d’ouvrage un petit dossier iconographique commenté sur la vie parisienne sous le Second Empire. Des dessins et des photos souvent en couleur, retracent le Paris de Zola et de ses personnages avec bonheur.

Inutile d’insister sur l’intérêt d’un tel ouvrage pour l’enseignement qui permet de faire découvrir un auteur perçu parfois comme difficile dans un médium contemporain et d’aborder la bourgeoisie à la fin du XIXe siècle. On attend avec impatience une prochaine collaboration, en espérant que l’album soit Au bonheur des dames.

Présentation de l’éditeur : http://www.arenes.fr/livre/pot-bouille/