Mutations quantitatives et qualitatives des villes entraînant toujours plus de difficultés à en circonscrire les contours, crise du politique et de la cité, habitants se muant toujours plus en usagers…mais surtout absence du débat publique sauf, de façon ponctuelle, lorsque la banlieue émeut l’opinion : c’est en réponse à cette donne que Guy Burgel, qui connaît admirablement bien le sujet, lance avec cet essai, un cri engagé en faveur de la ville.

Rédigé dans un format poche, cet ouvrage de 120 pages en trois parties nous permet de découvrir les éditions Créaphis qui publient tant dans les domaines scientifiques et culturels que dans celui de la photographie. Si le propos est général, nombreux sont les exemples parisiens convoqués comme pour montrer que la capitale symbolise l’exemple « exagéré » des tendances françaises.

La ville progressive

En historien contemporain, l’auteur passe en revue, dans cette première partie, les modalités d’une croissance urbaine qui n’a pas modifié la trame originelle des villes mais, en en diluant les périphéries, a amené confort, accès au monde des loisirs, industrialisation tout en vidant les centres de leurs parties insalubres.

A l’aide de quelques bons tableaux synthétiques et efficaces, les développements sur la modernité post années 1950 rendent bien compte des transformations économiques et sociales du pays : moyennisation de la société, féminisation et surtout, essor de la mobilité individuelle via l’automobile.

La ville désenchantée

Au travers du paradoxe de cette ville qui suscite crainte mais pourtant continue d’attirer, Guy Burgel analyse un certain nombre de crises.

Une lecture fine de l’emploi permet de montrer que la pyramide sociale se fragilise à la base tout en s’alourdissant à la tête et que, si la mondialisation génère des inégalités, les vertus de l’échange ne sont pas menacées. Et à vouloir limiter la mobilité urbaine en convoquant l’économie et l’écologie, on en arrive à des idées contre-productives : péages urbains à l’entrée des villes nuisant au choix des individus, promotion d’un travail à domicile qui oublie que les actifs sont peu interchangeables, paradoxe d’une disponibilité permanente de nombreux produits frais sur les étals, aussi exotiques soient-ils.

Le logement est aussi en crise. On détruit plus qu’on ne construit mais il y a surtout inadaptation forte de l’offre à la demande. Les élus des périphéries trainent les pieds pour accueillir des constructions au nom de la ville dense et de la sauvegarde de l’environnement. Des efforts dans les infrastructures de mobilité ont été engagés mais les prix de l’immobilier font que les moins fortunés doivent toujours venir travailler en voiture.

Le malaise se ressent aussi dans les formes urbaines, tours et grands ensembles cristallisant les problèmes dans l’opinion publique alors qu’ils demeurent minoritaires dans le tissu urbain. Guy Burgel rappelle d’ailleurs que le tissu haussmannien accueille davantage d’habitants à l’hectare que les « tourettes ».

La crise en également éducative. Nombre d’élèves quittent le navire sans formation, les premiers cycles universitaires ne maîtrisent plus la dissertation et travaillent sur QCM, les ZEP et les néotitulaires sont stigmatisés, ce à quoi s’ajoutent les hérésies de l’apprentissage comme solution de masse et de la sélection systématique en première année de fac.

Concernant la ségrégation, la solution de facilité consiste à s’en prendre à l’urbanisme davantage qu’aux problèmes sociaux. Question d’image toujours, les écarts à l’intérieur d’une même banlieue peuvent parfois être forts.

Sur le développement durable enfin, l’auteur note que le Velib et le tramway sont des succès culturels mais statistiquement pas significatifs comme rempart à l’automobile.

L’espoir de la ville

Loin de s’en tenir à ces sombres constats, l’ouvrage se clôt sur de nombreuses propositions. Les réflexions de projet devraient prendre le pas sur les propositions architecturales et urbanistiques isolées.

L’auteur formule ses espérances avec trois « i » :

– l’instruction : un domaine qui ne devrait souffrir d’aucune restriction budgétaire et qui devrait arrêter de changer de visage trop souvent pour qu’enfin, une évaluation sérieuse soit possible. La spécialisation trop précoce ne semble pas être une solution,
– l’immigration : renouveler le creuset de notre société via une augmentation de l’immigration qui permettrait d’accompagner le vieillissement de notre population, le tout en renforçant au maximum deux fondements clés de notre république que sont la séparation Etat/religion et l’égalité hommes/femmes,
– l’innovation : sur l’aspect économique, il faudrait cesser de toujours viser le high-tech et l’immatériel facilement délocalisable mais plutôt investir dans des services à la personne bien territorialisés ; sur le bâti, il serait bon de redécouvrir la rue et la mixité entre activité et résidence ; sur la mobilité enfin, la gestion du temps du citadin pourrait se pencher sur la personnalisation et le libre-service.

S’il est indéniable qu’il y a des priorités urbaines, il n’est pas toujours nécessaire de partir dans de la refondation lourde mais au contraire de traiter certaines urgences (halls d’immeubles, ramassages des ordures, entretien des ascenseurs…) en renforçant davantage la présence humaine que le nombre de caméras.

La dernière idée tourne à nouveau sur la mise en place d’un projet fort avant de prétendre en cerner les limites (débats difficiles sur le Grand Paris). Les vraies stratégies ne sont pas constituées d’une somme de bonnes intentions.

Au final, la ville contemporaine, tant dans ses formes que dans ses projets, reste à inventer et c’est un rêve cher à Guy Burgel qui entretient l’optimisme sur le sujet depuis bien longtemps tant dans ses écrits que dans ses séminaires.