Premier tome de la nouvelle collection des éditions Belin, Les Mondes Anciens sous la direction de Joël Cornette, le livre d’Anne Lehoërff, spécialiste de protohistoire à l’université Charles-de-Gaulle – Lille 3 propose en 600 pages une synthèse des avancées de la recherche pour retracer les modes de vie et leur évolution sur 40 000 ans, sans jamais oublier l’œuvre des premiers découvreurs.
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Dans chaque chapitre un équilibre entre informations actualisées, méthodes récentes de recherche et travaux anciens. Quelques encarts sur un site classique en rapport avec l’aspect traité mais aussi des documents iconographiques variés.
La qualité des documents iconographiques qui accompagnent un texte riche et dense font de cet ouvrage une incontestable source de mise à niveau des connaissances sur des temps lointains qui n’ont, hélas, qu’une place réduite dans les programmes scolaires.

La question de la dénomination des périodes du temps long des premiers hommes introduit le propos. L’auteure resitue les recherches actuelles dans l’écriture même de l’histoire de ces périodes depuis les premiers travaux de Boucher de Perthes. Tout au long de l’ouvrage les connaissances actuelles sont mises en perspective par un rappel de l’évolution des méthodes et des savoirs. C’est à partir de l’archéologie que les éclairages tantôt chronologiques tantôt thématiques sont déclinés pour une histoire des hommes en Europe.

La naissance de l’Europe

Pour cette première partie l’auteure opte pour un traitement diachronique. Comment concevoir et représenter la première Europe ? Les traces laissées par les premiers Européens sont à la fois variées et difficiles à interpréter, expression d’un langage oral inatteignable, d’un langage visuel et d’un langage matériel dont les découvertes au fil du temps invitent à un renouvellement constant des hypothèses de recherche. Elle propose une typologie en 12 récits et en 12 localisations de l’Irlande au delta du Danube, du Jutland au sud du Massif central en fonction des matériaux, des répertoires représentatifs avec des focus sur la Grotte Chauvet et la Dame de Brassempouy.
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Une lente implantation : Retour sur les origines de l’Homme et la construction de cette très longue chronologie, depuis les précurseurs : Boucher de Perthes, Darwin jusqu’aux travaux récents pour une datation des paléolithiques ancien et moyen et les interrogations sur les liens entre Néandertaliens et Homo Sapiens.
Le paléolithique récent (carte p 72) est abordé par les formes d’expansion, les expressions rupestres, musicales et l’outillage à partir des techniques très actuelles de la recherche.
Le mésolithique développé dans son originalité et ses causes permet d’évoquer les changements climatiques. Focus sur Tautavel et Lascaux.
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Le VIIe millénaire marque une rupture majeure, en fait l’auteure montre la lente et évolutive néolithisation (carte p. 102-103), la complexité de cette étape : nouvel outillage, nouveau mode de subsistance, d’organisation des territoires, d’habitat et de pratiques culturelles. L’auteure décrit les formes de néolithisation et les conséquences sur les hommes et sur l’espace. Si la progressive sédentarisation favorise le travail des archéologues et aussi les controverses sur les causes de l’apparition de l’agriculture : modifications climatiques, pratiques culturelles et sociales favorables au changement technique, mouvements de population.
L’auteur développe les voies de pénétration des techniques agricoles et d’élevage par la méditerranée et les Balkans, par le Danube avec un questionnement sur le « Finistère » occidental et le Nord de l’Europe. Elle appuie son raisonnement notamment sur le rôle de la céramique dans la connaissance de la diffusion technique.

L’Affirmation des identités et des espaces

De -5000 à -2500, une longue période qui voit s’affirmer des réalités régionales et démontre à la fois la vitalité et la variété des organisations humaines et des techniques. Cet aspect est illustré par une étude approfondie de la décoration des céramiques, des choix funéraires qui permet des conclusions sur le renforcement d’identités régionales et leur dynamisme au IV et IIIe millénaires.

Les grands ensembles mégalithiques présentés au chapitre 5 donnent l’occasion d’un retour sur la « mégalithomana » : légendes et controverses avec un focus sur 2 sites exceptionnels ; Carnac, resitué dans le vaste ensemble breton et Stonehenge.

Franchir les espaces, voyager, rechanger sur les terres et les mers : L’auteur rappelle que de tous temps l’Homme a été mobile. L’étude des déplacements invite à poser la question des représentations mentales de l’espace quand les tracés figurés manquent. Ce chapitre est surtout une réflexion méthodologique : comment les chercheurs élaborent-ils la notion de limites entre 2 groupes humains anciens ? Il est à noter que les traces archéologiques semblent attester que ni la mer ni la montagne n’ont été des obstacles. L’étude de la céramique par exemple permet de définir des voies de circulation, les moyens : la marche avant l’invention de la roue, le bateau maritime ou fluvial connu grâce à quelques vestiges et représentations. Enfin l’auteur aborde les motifs de voyage : migration , apprentissage commerce (carte du commerce de jadéite p 257).

Les conditions particulières de conservation des matériaux organiques dans les lacs froids et la découverte de la première momie européenne Otzi ont amené l’auteure a consacré tout un chapitre à la vie dans les Alpes. Dès le XIXe siècle l’intérêt et les controverses à propos des vestiges lacustres occupent les archéologues. Ces sites aujourd’hui qualifiés de palafittes sont bien documentés (fouilles subaquatiques, analyses polliniques, conservation des bois et tissus) et permettent de reconstituer la vie quotidienne d’une économie de subsistance sur les rives des lacs, un artisanat associant pierre et bois, textile et premiers outils métalliques avec des focus sur Charavines et Chalain mais aussi sur Otzi, de sa découverte aux enseignements qu’il apporte et les questions qui demeurent.

Qui furent les hommes : de féroces guerriers ou de paisibles paysans ? L’auteure montre dans ce huitième chapitre que les images véhiculées tiennent à la fois aux traces laissées et à l’actualité des historiens qui en parlent. Comment le vécu d’une époque influence le champ des recherches et les représentations sur la guerre aux ages anciens. Les connaissances actuelles reposent sur les fouilles mais aussi l’apport de l’anthropologie comme dans le cas de la fosse de Talheim. Motifs, lieux de la guerre, armes et notamment à l’age du bronze sont étudiés grâce aux objets retrouvés dans les sépultures.

Espaces vécus, conquis, dessinés

À partir de l’age des métaux les phases chronologiques sont plus ramassées, Cette époque qualifiée de nouvelle voit aussi les hommes confrontés à des civilisations de l’écrit. L’auteure interroge le terme d’ «age du bronze » avant de développer les techniques nouvelles mais aussi les évolutions caractéristiques au plan funéraire. Les nombreuses tombes fouillées fournissent une masse importante d’informations sur l’organisation sociale. Les étonnants dépôts métalliques demeure source de questionnement. Deux aspects sont mis en valeur : la qualité technique et artistique des productions, notamment quand elles sont en or et des sociétés organisées autour de la vie agricole.
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Avec l’age du fer, de nombreux vestiges, facilement datables, permettent une meilleure connaissance des techniques. Les fouilles anciennes et récentes des mines autrichiennes sont une invitation au voyage dans la civilisation du sel (Hallstatt). À nouveau les sépultures sont des sources irremplaçables avec des focus sur les tombes de Vix et de Hochdorf : rituels, traces d’échanges commerciaux désormais plus nombreux et plus lointains, hiérarchie sociale dans un monde dominé par des guerriers. Apparition des premières « villes » et des lieux de culte bien identifiés.

Être Celtes

Vers – 500 s’ouvre une nouvelle période qui conduit le lecteur jusqu’à Alésia. Plus qu’une rupture c’est une lente évolution de ceux qu’on nomme Celtes au centre de nombreuses légendes. L’auteure rappelle les mythes et met en avant les nouvelles problématiques nées des fouilles qui vont jusqu’à la remise en cause de la notion de peuple celte et de l’idée d’un tronc commun indo-européen.
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Peut-on parler de conquérants ? Qu’en disent les Romains ? Qu’en dit l’archéologie ?
Sont abordés les croyances à partir de la mise en scène des sépultures y compris des scènes qui posent la question de la violence rituelle, la vie quotidienne. Un chapitre indispensable à lire avec en parallèle le dernier avatar du mythe : Astérix.
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Un chapitre entier est consacré à la ville celte, ces oppida dont une carte montre la densité au II et Ier siècle (p. 466) avec un focus sur Alésia. Un modèle spécifique et non une copie de l’urbs, autour un territoire agricole, une campagne déjà fortement anthropisée.Les nombreuses fermes nous racontent leur histoire sur plusieurs siècles : forme d’habitat, outillage, alimentation, artisanat.
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Le personnage de Vercingétorix amène la conclusion. Sa place dans l’histoire comme personnage historique est éclairée d’extraits de l’Histoire de la Gaule de Camille Jullian.

L’Atelier de l’historien

Cette dernière partie propose une réflexion sur les sources et les méthodes, l’évolution des moyens de connaissances depuis le XIXe s. et la relation aux autres sciences. Un long développement sur les fouilles de sauvetage.
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L’auteure pose la question de la conservation des vestiges et la nécessité de les montrer au grand public.
Elle développe une réflexion sémantique sur les mots pour l’histoire de ces hommes dont on ignore le langage et la toujours actuelle question de la datation.
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L’ouvrage propose des annexes utiles : repères chronologiques, glossaire, indes et bibliographie.
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Un livre passionnant qui se lit avec grand plaisir.