Henri Noguéro poursuit avec ce tome 2 (voir compte-rendu du tome 1 https://clio-cr.clionautes.org/soldat-en-alsace-lorraine-1939-1940-recit-de-guerre-et-de-captivite-tome-1.html) le travail de mémoire concernant son père qui fut prisonnier de guerre de juin 1940 à avril 1945. Il s’appuie pour ce faire sur un grand nombre de sources : d’abord des sources directes, constituées par les lettres que son père, Léon, envoie à sa famille – y compris des courriers qui parviennent par des voies clandestines – et le carnet que son père a rédigé pendant sa captivité, mais dont on apprend seulement à la page 418 que ce carnet fut perdu et qu’il le reconstitue ou « essaie de mentionner les faits les plus saillants de sa vie de prisonnier » à partir du 1er mai 1945.

Figurent aussi les lettres que la famille et les amis s’échangent. Les Durrieu, Léonie, la sœur de Léon et Louis, son beau-frère, forment le centre de cette correspondance. Aux lettres s’ajoutent des documents originaux tels des photographies, des reproductions de cartes de la Croix-Rouge, des vignettes bleues pour l’envoi de colis, des affiches… Des sources d’époque, essentiellement issues du « Bureau d’Etudes Juridiques et de Documentation Générale » du Ministère de l’Intérieur dans ses bulletins hebdomadaires « informations générales» fournissent le contexte historique en France.

Un prisonnier de guerre très exposé.
La captivité de guerre de Léon Noguéro a été très particulière. Il est fait prisonnier par reddition le 22 juin 1940, jour de l’armistice : « une voiture officielle de l’armée allemande est venue et après un entretien avec notre colonel, nous avons déposé les armes » (p. 15). Il est conduit en Allemagne et va connaître différents stalags avec la particularité, théoriquement interdite par la Convention de Genève, de travailler dans des endroits dangereux ou en rapport avec la guerre : un dépôt de munitions au stalag VA ; ensuite un Bau-und-Arbeit Bataillon (BAB) à partir d’août 1941. Ce sont des bataillons qui se déplacent dans toute l’Allemagne, et réparent les destructions dans les villes. Notamment à la fin de la guerre, ils sont cantonnés dans les villes bombardées par les Alliés et sont donc soumis à un danger important. En 1943, il signale qu’il travaille tantôt dans les usines, tantôt chez des particuliers, qui lui procurent des attestations de travail.
A travers ses lettres, on voit vivre les kommandos : il détaille les difficultés d’alimentation, sa santé, les rencontres sportives, les souffrances du captif loin de sa famille, mais sans trop s’attarder à cause de la censure. On comprend néanmoins, au détour du courrier, que cet homme qui fête ses trente ans en captivité en 1943, a vécu une séparation sentimentale : « (…) il y a aussi cette séparation, cette interruption de relations postales avec « H » qui m’a touché un bon peu. C’était malgré tout une occupation, une compagnie morale. Sur le coup, je me suis senti encore plus seul mais maintenant, je remonte la pente, péniblement. Dans un sens, j’aime mieux être libre, surtout si ce n’était pas pour aboutir et , tant que je suis là je ne voudrais pour rien au monde en entreprendre une autre. A mon retour, averti, je saurai faire mon choix et sans traîner. Rassure-toi chère sœur, je n’agirai pas en enfant. J’ai compris.(…) » (p. 284).
Léon parvient à faire passer à sa famille, grâce à la complicité d’un soldat allemand, « permissionnaire et se dirigeant sur Pau » (p. 262), des correspondances non autorisées : par exemple, dans celle du 16 mai 1943 (p. 262) il parle du statut de travailleur civil (une note explicative aurait été bienvenue). Les lettres montrent surtout deux aspects importants : d’abord le rôle fondamental des colis que la famille ou les amis envoient et qui à la fois permettent au prisonnier d’améliorer considérablement son alimentation, de recevoir des vêtements, des livres, des souliers mais aussi maintiennent le lien d’affection avec les proches. La sœur de Léon a tenu le décompte des colis envoyés – une fréquence de trois colis par mois- et le contenu de chaque colis. Ainsi la note de la page 163 indique que le colis n°7, de 5 kg, expédié le 1er avril 1942, pour un coût de 45,70 francs, envoyé par la Croix-Rouge, contient : « 500 gr de pain concentré, 250 gr pain épices, 250 gr pâtes, 40 gr potage concentré, 250 gr sucre, 50 gr savon, 2 boîtes sardines, 1 fromage rond, 250 gr chocolat poudre, un morceau confiture, 1 paquet-tabac, 4 paquets cigarettes ». Léonie y a ajouté : « 250 gr dattes, 1 tablette chocolat, 1 kg purée pois, 1 boîte pâté, 450 gr ventrèche, 12 mcx suvre, 1 potage, ail, 3 violettes pour Fête, une feuille rameau ». L’autre élément fondamental qui est évoqué dans les lettres, ce sont les mandats que le prisonnier envoie à sa famille. Ainsi, dans le courrier du 16 juillet 1944 : « (…)  Ce qui m’inquiète à mon tour, c’est que vous ne m’accusez réception d’aucun mandat, et pourtant , cette année, je vous en ai envoyé chaque mois. Avant-hier, encore 50 RM. (…) ».

Un parti pris original.
Monsieur Noguéro a choisi de juxtaposer mois par mois, année après année les lettres de son père, parfois, des extraits du carnet, les lettres de la famille et les bulletins hebdomadaires, fournissant les textes de lois, des informations plus générales, qui d’ailleurs ne concernent pas toujours les prisonniers. C’est pourquoi l’on peut dire que ce livre ne concerne pas que Léon Noguéro : les cousins s’écrivent entre eux, en n’évoquant pas toujours le prisonnier. Les documents sont bien différenciés dans la typographie : un symbole de lettre accompagne le courrier, les lettres sont en italique lorsque c’est la famille qui s’écrit ou qui répond à Léon mais les « rappels historiques », qui commencent chaque mois, ne concernent pas forcément les prisonniers. Ainsi en août 1941, les informations générales du ministère de l’Intérieur évoquent « des mesures de sécurité publique, la retraite des vieux travailleurs, des lois sur les sociétés secrètes, le retour en zone interdite des prisonniers de guerre, , la répression des vols de colis des prisonniers de guerre, le rapatriement des prisonniers, la répression de l’activité communiste ou anarchiste, la mise en liberté de militants syndicalistes, l’acquisition de la maison natale du maréchal Foch, le pèlerinage national à Lourdes, un message de reconnaissance des prisonniers envers le Maréchal, un message de prisonniers rapatriés, un message du Maréchal aux prisonniers libérés et l’envoi de journaux aux prisonniers » (p 104 à 110). Ces documents bruts, les photos, les reproductions de papiers officiels, peuvent être une source de documentation riche pour les enseignants, mais l’absence d’explications peut rendre leur utilisation difficile pour les non spécialistes de la période et/ou des prisonniers de guerre. Par exemple p. 182, les informations générales signalent que les prisonniers de guerre de la région dieppoise rentrent le 11 septembre 1942. Une note, expliquant que Hitler remerciait ainsi la population de la ville de Dieppe qui n’avait pas soutenu la tentative de débarquement des Alliés, essentiellement des Canadiens, le 19 août 1942, aurait éclairé cette nouvelle. C’est d’autant plus dommage que la bibliographie concernant les prisonniers de guerre est complète et permet d’apporter ces précisions mais elle n’est pas utilisée pour expliquer, faire des liens, passer de l’individualité de l’expérience de son père à la collectivité des captifs pour en montrer l’originalité. Le mélange d’informations concernant les Français et celles intéressant plus spécifiquement les prisonniers et leur famille provoque une impression de confusion, justement parce que le lien n’est pas fait et qu’aucune explication historique n’est fournie. Certes, le lecteur est placé dans le foisonnement de lois et préoccupations de l’époque, mais il peut aussi perdre parfois le fil entre la le récit de la captivité autour des lettres du prisonnier et de sa famille et des informations générales concernant la France de Vichy.