De nombreuses modifications récentes de notre système éducatif (approche par compétences, développement des « éducations à », mise en place des cycles, nouvelles formes d’évaluations, instauration d’un socle commun…) questionnent le mode de fonctionnement des disciplines scolaires. Structurées comme de véritables systèmes sociaux organisés dont les communautés de praticiens veillent sur les frontières et les identités, les disciplines scolaires se reconfigurent dès lors que les curricula évoluent.
C’est cette thématique que l’ouvrage dirigé par Christine Vergnolle Mainar (professeur de géographie à l’ESPE Toulouse Midi-Pyrénées) et Odile Tripier-Mondancin (maître de conférences en musicologie à l’ESPE Toulouse Midi-Pyrénées) se propose d’étudier au travers de deux parties complémentaires : la première mettant en perspective historique les changements curriculaires, la seconde offrant un regard sur les possibilités d’avenir offertes par ces transformations.
On y apprend sur l’analyse socio-historique des contenus qui permet d’apprécier les débats et les recherches de compromis qui structurent la vie d’une discipline dans le temps long (voir la contribution de Isabelle Harlé). Par exemple, le dessin a d’abord été considéré comme une discipline « utile » avant d’évoluer vers une discipline créative. La technologie a d’abord été considérée par son apport productif avant de devenir un support de la démarche d’investigation. L’image du filtre est éclairante : « nous constatons que l’installation d’une matière est le produit d’une interaction complexe entre des phénomènes de différents ordres. L’action des groupes de pression, inscrite dans des conjonctures économiques et politiques particulières est filtrée par les contraintes institutionnelles » (p 25).
Différentes disciplines sont passées en revue dans cet ouvrage (français, éducation musicale, technologie, langues anciennes, mécanique, philosophie…). Pour ce qui est de la géographie, la contribution de David Bédouret (maître de conférences à l’ESPE Toulouse-Midi Pyrénées) montre qu’après avoir hésité entre répondre à la demande sociale et garder son attache universitaire, gage de sa scientificité, la discipline s’autonomise, produit ses propres savoirs, ses propres finalités, ses contenus et ses méthodes. A travers l’exemple du concept de territoire, « intégrateur de la géographie scolaire », l’auteur montre qu’en apparence synonyme de son pendant dans la géographie savante, le territoire de la sphère scolaire sert d’autres finalités, se voit associé à d’autres concepts (paysage, milieu, aménagement…) pour aider à la compréhension du monde, tout en aidant à la mise en place de savoir-faire (croquis, schéma). Cette façon de procéder, pensée comme « noble » pour éviter l’émiettage, a pour effet pervers de voir « défiler » les études de cas et les documents.
La contribution de Philippe Hertig (professeur à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne) précise, quant à elle, le rôle clé des acteurs lors du développement de l’approche par compétence se mettant en place à partir des années 1990. La géographie se reconfigure à l’interne (liens entre la discipline scolaire et la discipline savante) mais également à l’externe (introduction d’éléments extérieurs au champ scolaire : influence de la psychologie cognitive, de la pensée complexe, des questions socialement vives). La planification de ces éléments, le « Plan d’Etudes Roman » en Suisse, se présente comme suit : de 4 à 7 ans, il est question d’explorer le réel qui entoure l’élève ; de 8 à 12 ans, l’observation indirecte (cartes, photographies) d’espaces plus lointains permet d’en saisir les logiques d’organisation ; de 13 à 15 ans, le développement durable fait son entrée ainsi que les problèmes contemporains du monde. Trois grands principes assoient la géographie : la dimension actancielle, la problématisation, la référence à des concepts intégrateurs qui, mis en réseau, structurent le raisonnement géographique. Mais les écarts entre le curriculum formel et le curriculum réel apparaissent très marqués en géographie : description, factuel et notions décontextualisées dominent chez des enseignants non spécialistes et non formés à la didactique.
La géographie permet aussi bien sûr le développement de compétences transversales comme les langages graphiques, les repères spatiaux et l’éducation à l’environnement et au développement durable. Elle est également ouverte à la diffusion de « concepts partagés » (cas du paysage en histoire des arts par exemple).
Une précieuse lecture pour comprendre les ouvertures et résistances auxquelles sont confrontées les disciplines scolaires dans un système éducatif dont les contours changent de plus en plus vite et de plus en plus profondément.