Présenté par l’éditeur comme « le vade-mecum du futur professeur », cet ouvrage d’Eric Prairat est une réflexion sur les enjeux du métier. L’auteur, professeur de philosophie de l’éducation à l’Université de Lorraine et chercheur associé au Groupe de recherche sur l’éthique de l’Education de l’Université du Québec à Montréal, a en outre participé aux travaux du dernier conseil scientifique de la DGESCO et est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont récemment « Enseigner avec tact ».

Son ouvrage est structuré en trois parties. On trouve d’abord une partie « Notions « pour clarifier des concepts. La deuxième partie « Auteurs » présente la pensée éducative de quelques grands philosophes tandis que la troisième partie « Etudes » propose des analyses sur la situation actuelle. Eirick Prairat propose donc une réflexion qui, après avoir précisé des concepts et apporté des points de vue en s’appuyant sur des penseurs, livre une analyse sur aujourd’hui qui évite le discours convenu. C’est donc un ouvrage qui peut se lire dans le désordre selon ses centres d’intérêt. Une bibliographie est proposée à la fin de chaque chapitre.

Des notions à éclaircir pour penser

Chacun des chapitres qui composent cette première partie est présenté en quelques mots par l’auteur qui précise ainsi son projet. Le premier angle invite à réfléchir à ce « lieu où l’on enseigne ». C’est à la fois un environnement et une institution. L’auteur évoque d’abord les modèles qui ont inspiré l’école, ce qui lui permet de préciser la spécificité de l’école. Il enchaîne ensuite sur quatre propriétés du lieu scolaire : « un lieu spécifique de transmission et de formation, un lieu intermédiaire et transitionnel , un lieu d’exercice et de simulation et un lieu hospitalier ». Il s’attache ensuite à « l’art d’enseigner ». L’intérêt de l’approche d’Eirick Prairat est d’analyser ce qui est le quotidien des professeurs, mais en trouvant une juste distance qui fait qu’on n’est évidemment pas dans le manuel pratique, mais pas non plus dans une approche trop distanciée. Il pointe ainsi le rôle et l’importance des routines. Il développe les différents sens du verbe « enseigner » et ajoute que l’enseignant est le représentant « d’un petit bout de monde ». Le troisième chapitre est consacré au tact et l’auteur veut montrer qu’il s’agit à la fois d’une vertu et d’une compétence. Dans le chapitre suivant il s’interroge pour savoir « qu’est-ce qu’une sanction éducative » ? Ce chapitre est aussi bien représentatif de l’esprit du livre puisque il décortique la question. La sanction doit avoir une fin politique, éthique et sociale, puis il développe chacun de ces points. Il poursuit sur les principes comme celui de signification, de socialisation notamment. Il invite enfin à rompre avec un héritage qui présentait la sanction comme une expiation. La sanction doit bien plus être une occasion de rappeler la règle, un principe, elle est une interpellation.

Des auteurs de référence sur lesquels s’appuyer

Dans cette deuxième partie, Eirick Prairat présente la pensée éducative de plusieurs philosophes. Il commence par Condorcet, Hegel et Arendt. Il précise ce que représente l’école pour chacun. Pour Condorcet, l’école n’est pas une institution comme les autres, tant son projet d’instruire est fondamental. Pour Hegel, « la finalité de l’éducation est l’accès à l’indépendance » tandis que pour Arendt c’est un espace pré-politique. Ils partagent en tout cas la conviction que l’école est un lieu où l’on se prépare à devenir un adulte. Eirick Prairat consacre ensuite quelques pages à Michel Foucault en montrant qu’il ne faut pas le réduire à la seule lecture de « Surveiller et punir ». Il revient un peu plus loin sur Michel Foucault en opposant sa pensée à celle de Norbert Elias, davantage tournée néanmoins vers une vision émancipatrice. Ensuite, il s’intéresse à la question de la responsabilité à travers Levinas et Jonas. Il développe également la question des valeurs en s’appuyant sur Dewey.

Quelques grandes préoccupations aujourd’hui à mettre en perspective

Cette partie propose des réflexions sur la période actuelle comme une interrogation sur la désacralisation de l’ordre scolaire. Eirick Prairat insiste sur le fait que, contrairement à hier, l’école doit davantage expliquer son mode de fonctionnement. Il montre aussi un « brouillage des responsabilités » pour savoir concrètement qui décide et de quoi. Il déplore également la disparition de rituels qui jouaient un rôle de sociabilité important. L’auteur se focalise ensuite sur la délicate question de l’autorité du professeur. Il préfère parler d’  « érosion » plutôt que de crise. L’objectif qui est de conduire l’élève vers la liberté peut voir ce projet se heurter à l’autorité. Il développe la question des valeurs et s’interroge sur l’éthique enseignante.

 

Cet ouvrage d’Eirick Prairat propose donc trois temps très différents et en même temps complémentaires. Refusant les propos rapides et définitifs sur l’état de l’école, il choisit de passer par une précision des termes, un appui sur les grands penseurs avant de livrer son diagnostic sur quelques grands thèmes actuels comme l’autorité ou la place de l’enseignant. C’est un ouvrage exigeant qui pourra permettre d’aborder plusieurs problématiques actuelles avec du recul, mais sans être trop éloigné des réalités quotidiennes.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.