En réaction au livre d’Yves Lacoste publié en 1976 insistant sur la guerre comme sujet d’étude géographique, le spécialiste du Japon Philippe Pelletier prend le pari de définir 4 conditions dans lesquelles la géographie est vectrice de paix.

Pour mieux comprendre les situations actuelles

Dans son essai en mémoire du géographe Jacques Bethemont (1928-2017), Philippe Pelletier commence par rappeler la genèse de la géopolitique en Allemagne, en France et au Japon. L’irénisme, autrement dit l’apaisement des conflits pour tendre vers la paix, est au cœur de la géopolitique. Il critique la double affirmation d’Yves Lacoste qui distinguait la « géographie d’origine ancienne » et la « géographie des professeurs » en 1976 (page 12). Des géographes comme Emmanuel de Martonne, Jean Brunhes, ou Albert Demangeon se sont engagés dans des organisations internationales délimitant « les possessions étatiques aux côtés des diplomates et militaires ». Concernant la formation de l’école de géopolitique allemande au XIXème siècle, Philippe Pelletier rappelle l’appartenance de Karl Haushofer (1869-1946) et d’Ernst Haeckel (1834-1919) à la Société de Thulé, berceau idéologique du national-socialisme. Plus tard, le courant recevra également les sympathies du Corbusier. Au Japon, l’école de géopolitique rejette clairement le républicanisme de l’école française, et le poids du déterminisme dans l’école allemande. L’École de Kyoto insiste sur l’asiatisme (vu alors comme un support de l’impérialisme japonais).

Une mise en perspective entre l’alexandrin Claude Ptolémée (90-168) et le géographe chinois du Shandong Pei Xu (224-271) s’avère intéressante : elle illustre les échanges culturels entre « les mondes méta-méditerranéen et sinisé ». Selon l’auteur, la méta-méditerranée est « un espace de civilisation qui s’étend de la Mésopotamie [jusqu’au] littoral de l’Atlantique » (page 42). Les deux espaces s’avèrent notamment proches dans la dénomination de la discipline : en grec comme en chinois, la racine du terme de « géographie » est la Terre.

L’avancée de la réflexion suit un plan non-linéaire, où les rappels et renvois sont nombreux (messianisme, marxisme, écologie). L’édition est de qualité, à l’exception de deux erreurs typographiques dans les 30 dernières pages. On peut également ajouter qu’une coquille s’est glissée dans le titre du chapitre III sur le « catastrophisme en question » (p. 245).

La partie centrale de l’ouvrage aborde en profondeur les liens entre l’écologie, la place des religions, le catastrophisme et le marxisme. Le ton est bien plus engagé, marqué par la mise en avant de la pensée marxiste (dont le développement est parfois a-géographique). Finalement, l’ouvrage de Philippe Pelletier publié par les éditions du Bord de l’eau s’avère être un essai éclectique qui ne paie pas de mine au premier regard mais se révélant d’une grande richesse et incitant à la réflexion géographique.

En complément de ce compte-rendu, il est intéressant d’écouter l’interview de l’auteur à propos de son livre, par Anik Schuin sur la RTS (Suisse)

Antoine BARONNET @ Clionautes