La musique réconcilie, agresse, célèbre, influence et rayonne. Aussi, dès le XVIIIème siècle, elle est devenue un outil régalien au même titre que la diplomatie. Comme le sport durant la guerre froide, le quatrième art s’est imposé comme un nouvel espace de rivalités entre deux blocs. Elle peut aussi soutenir les revendications identitaires.

Hélène Daccord, musicienne et chercheuse, propose dans cet ouvrage quinze évènements majeurs qui ont marqué l’histoire mondiale. Les chapitres se terminent par des « ouvertures », comme une sorte de mise en perspective de l’évènement traité.

1er août 1754 : l’exception française

Ce jour là, l’opéra-bouffe vient bousculer l’opéra français, genre policé par excellence. L’opéra italien est beaucoup plus libre et accorde une place centrale à l’improvisation et au comique. « La Serva pardona » est l’opéra qui met le feu aux poudres. Finalement, Louis XV tranche et interdit toute nouvelle représentation de l’oeuvre. De façon générale, la question qui se pose ici c’est celle de la nationalité d’une oeuvre et de ses interprètes. Une oeuvre appartient-elle par essence à son peuple ?

Musique et politique au XIXe siècle

Beethoven, qui était un fervent admirateur de Napoléon, est furieux lorsqu’il apprend que celui-ci s’apprête à devenir empereur. Il décide de retirer la dédicace envisagée d’une de ses oeuvres. Prêt à monnayer sa musique, Beethoven refuse portant que sa musique soit mise au service de n’importe quelle cause. Le problème qui se pose à lui et à beaucoup d’autres est comment conserver son indépendance artistique tout en cherchant le soutien des puissants ? Un autre chapitre évoque Verdi et l’époque du Printemps des peuples. Les noms de Verdi et de Wagner demeurent des symboles d’unification politique et les emblèmes de quêtes identitaires.

Négocier le « la »

On découvre ici un affrontement franco-américain qui a tourné à l’avantage des seconds. Au début du XIXème siècle, chaque pays, chaque salle, chaque compositeur avait son propre « la ». Dans cette « anarchie sonore », la recherche d’un unique «  mètre musical », d’un diapason universel, semblait être la seule voie pour aller vers une plus grande harmonie entre les hommes. Après une première victoire, c’est finalement le diapason américain qui triomphe.

L’importance des Etats-Unis

Hélène Daccord raconte ensuite les relations entre Nadia Boulanger et les Etats-Unis. Elle est la première femme à la tête du New York Philarmonic. Si sa maîtrise, sa technicité et sa compréhension artistique sont reconnues, ce sont les oeuvres de sa soeur, de Copland puis de Stravinsky qu’elle fait connaitre. De très grands noms comme Astor Piazzolla, Philip Glass ou encore Daniel Baremboïm étudient auprès d’elle. Elle travaille avec plusieurs générations de compositeurs et tisse un véritable réseau international. Le livre se poursuit avec une entrée sur la musique à Hollywood dans les années 30. On découvrira peut-être la figure d’ Erich Korngold, un compositeur qui trouvait l’inspiration dans la salle de projection devant le film. Durant l’âge d’or hollywoodien, il crée les premiers codes du style symphonique des films d’action.

Musique et Seconde Guerre mondiale

Comment être musicien en France sous l’Occupation ? Faut-il se produire devant les autorités allemandes ? Certains musiciens ont mis leur carrière entre parenthèses et ont été jusqu’à donner leur vie. Le choix d’interprétation de telle ou telle oeuvre peut être un message, encore faut-il qu’il soit compris. Une autre entrée est consacrée à Chostakovitch. Sa Septième symphonie a été érigée en hymne presque officiel de la résistance soviétique face aux Allemands. Cependant, le compositeur ne gagna pas une assurance vie dans l’URSS stalinienne. Hélène Daccord parle également de la musique à Auschwitz. Sur le quai d’arrivée des camps, quelques notes légères rassurent les passagers et préviennent tout mouvement de foule. Mais la musique est aussi un instrument de résistance face à la barbarie nazie comme le montre l’opérette composée par Germaine Tillion dans l’horreur de Ravensbrück.

Musique et Guerre froide

En 1958, un jeune pianiste texan éblouit Moscou. Il est reconnu par les autorités soviétiques pour sa façon de jouer Tchaïkovsky. A son retour aux Etats-Unis, il est célébré comme une star avec 100 000 personnes venues l’acclamer. Van Cliburn souhaitait rendre la musique accessible à tous. Il joua un véritable rôle d’ambassadeur qui n’est pas sans rappeler la « diplomatie du ping-pong » par laquelle des représentants des deux blocs s’affrontaient de façon indirecte. Une autre entrée évoque le système vénézuélien appelé El Systema qui vise à lutter contre les fractures sociales et territoriales en permettant à des jeunes issus de quartiers populaires d’intégrer un orchestre de référence. Le système fut un instrument politique mais, dans un pays aux multiples soubresauts, il réussit à survivre à plus de dix régimes politiques différents. L’auteure raconte également l’épisode célèbre qui vit Rostropovitch jouer aux pieds du mur de Berlin qui vient de s’effondrer. Il choisit de jouer Bach plutôt que Beethoven.

Du côté de l’Asie

En 1998, la Chine entre en scène. Cette année-là, pour la première fois de son histoire, « Turandot » retentit dans la Cité interdite. Ce concert marque un infléchissement du régime en faveur de la liberté d’expression. Entre 1998 et 2015, plus de 364 nouveaux théâtres sont construits en Chine parmi lesquels plus de cent sont de gigantesques Grands Théâtres. Pour la Corée du Nord, la date repère est 2008 car, pour la première fois, un orchestre new-yorkais atterrit à Pyongyang pour venir jouer devant Kim Jong-il.

En conclusion, Hélène Daccord souligne que les quinze entrées choisies témoignent du fait que depuis le XVIII ème siècle, rien n’est anodin dans la musique. Les Etats s’en saisissent pour envoyer des messages diplomatiques. Instrument d’influence culturelles, d’affrontement normatif, de résistance engagée, d’aménagement territorial ou de revendication sociale, la musique est sur tous les fronts.

Cet ouvrage se révèle très plaisant à lire et offre pour l’enseignant quantité de faits et d’anecdotes pour illustrer ses cours avec des exemples originaux.