Un professeur doit-il aimer ses élèves ? Et si oui, ce verbe est-il bien approprié ?  Mael Virat, chercheur et enseignant spécialiste des mécanismes d’apprentissage et des pratiques éducatives, s’attaque ici à un sujet longtemps délaissé, voire écarté, celui des relations entre enseignants et élèves.

Avant tout, lever des ambiguïtés

Le sujet d’étude de Mael Virat a pu parfois être mal compris. Précisons d’abord que, comme il le dit lui-même,  il a fait « l’expérience avant de la nommer et de la théoriser de la relation enseignant-élève ». Son livre présente les résultats de ses recherches sur la relation affective enseignant-élève « tant du côté de l’attachement des élèves, que du côté de l’implication affective des professionnels ». Chaque chapitre porte un titre qui interpelle, sous forme d’une remarque qui correspond souvent à des a priori autour du sujet comme « Les profs sont là pour enseigner, pas pour créer du lien ». On entend souvent que les élèves fonctionnent à l’affectif mais que le professeur doit être vigilant dès qu’on se situe sur ce terrain. L’auteur pointe dès le début les différences qui peuvent exister entre enseignants du primaire et du secondaire. Il entreprend surtout de s’attaquer aux multiples dimensions de cette relation affective.

Instaurer une relation de qualité entre élèves et enseignants 

La question de la relation enseignant-élève n’est en tout cas pas nouvelle. En effet,  au XVII ème siècle, Comenius disait que le « but du maitre est d’élever les coeurs, non d’abaisser la personne. Si cette affection n’est pas sentie par les élèves, ils méprisent la discipline avec obstination ». Mael Virat procède dans un premier temps à un inventaire des acquis de la recherche en rappelant, par exemple, les travaux de John Hattie. Dans son ouvrage « Visible learning » en 2008, il montrait l’importance de la qualité des relations entre l’enseignant et les élèves. Celle-ci influence l’implication et la réussite scolaire. Dans le chapitre 2 intitulé « Il faut rester professionnel », Mael Virat invite à dépasser l’opposition entre le professionnel et l’émotionnel et à reconnaitre l’ existence de ce dernier de manière à pouvoir, si nécessaire, le réguler. Plusieurs études montrent que la motivation des enseignants déteint sur celle des élèves. Ce sont les enseignants les plus engagés affectivement qui sont susceptibles de favoriser la motivation de leurs élèves. Il est donc vain de vouloir opposer dimension affective et dimension professionnelle. Inévitablement alors se pose la question d’une bonne ou d’une nécessaire distance avec les élèves. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’elle doit exister mais personne ne sait où la situer. En tout cas, il faut noter qu’aucune étude ne montre qu’une « relation affective très forte puisse avoir un effet délétère ». Un bon enseignant est toujours pour les élèves un enseignant qui se soucie et prend soin de chacun d’eux. 

Un climat serein pour travailler

L’établissement d’un climat de confiance, pour dire vite les choses, permet d’aller plus loin avec les élèves. Dans le chapitre 5, Mael Virat montre que la « sécurité affective stimule la prise d’autonomie ». Il passe aussi en revue les apports de plusieurs travaux qui ont tous insisté sur cette dimension comme ceux d’Abraham Maslow ou de Daniel Favre. Mais il faut aller plus loin : il reste à organiser des activités pédagogiquement intéressantes. Tout ne se joue pas simplement dans le climat et, à ce moment là, l’auteur insiste utilement sur le fait qu’il faut aussi maitriser ce que l’on enseigne pour justement proposer des défis de qualité aux élèves. Mael Virat essaye de montrer que tout est lié car les enseignants les plus engagés sont ceux qui développent le plus d’activités qui misent sur l’autonomie des élèves. En fin de chapitre, l’auteur évoque également des études qui montreraient que, plus la relation élève enseignant est de qualité, plus l’élève est respectueux envers toutes les formes d’autorité institutionnelle. 

Et du côté des enseignants ? 

Mael Virat aborde dans ce sixième chapitre une thématique délicate et pose les termes du débat ainsi : « l’amour des enseignants :  un moteur pour les élèves ». Il prend soin évidemment de préciser le sens du mot « amour » et s’oriente vers l’idée d’amour compassionnel, un concept anglophone au départ. Il enchaine ensuite sur la question de l’impartialité en mettant en perspective des formules toutes faites que l’on entend souvent comme « Qui aime bien, châtie bien ». Le chapitre huit lui offre l’occasion de s’interroger pour savoir s’il n’est pas dangereux pour l’enseignant de trop s’engager émotionnellement au risque de déceptions et d’épuisement. L’auteur développe le concept d’eudémonisme qui remonte à l’Antiquité et qui est une philosophie qui fait du bonheur la finalité de la vie humaine. Il faut préciser que cet accès au bonheur se fait par la satisfaction de valeurs intellectuelles ou morales. Finalement, l’engagement ou le désengagement seraient un peu les deux faces possibles du métier, soit pour s’accomplir par le travail, soit se protéger de l’épuisement en se désengageant. « Vouloir plaire aux élèves, ça cache toujours quelque chose… » Voilà le genre de phrase que l’on peut encore entendre parfois. Mais l’auteur montre bien que tout ce qu’il a évoqué jusqu’alors est nécessaire, et pas suffisant, pour faire réussir les élèves. La dimension affective n’est qu’une dimension de la relation enseignant-élève. Alors certes, elle fait l’objet de tout ce livre mais cela s’explique par le fait qu’elle a été trop souvent occultée. 

Implications et conclusions 

En conclusion, Mael Virat revient sur les principaux points travaillés  et synthétise les apports de son ouvrage en une quinzaine de pages. Les relations chaleureuses entre enseignants et élèves sont un facteur d’implication et de réussite scolaire. Cela a aussi des conséquences positives sur le développement de l’adolescent en dehors de la classe. La sécurisation affective est positive lorsqu’elle soutient l’autonomie de l’élève. Se soucier de sécuriser implique de pratiquer certaines pratiques pédagogiques. Le terme de bienveillance, qui est apparu dans les textes officiels récemment, est souvent galvaudé et vu comme une espèce de facilité ou de résignation alors qu’il n’est pas cela. 

Il faut reconnaitre que l’auteur explore un aspect du métier d’enseignant très souvent évacué rapidement et, comme il le dit à un moment donné, « l’enseignement est avant tout une affaire d’interactions humaines, par nature émotionnelles ».

 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes