La nouvelle livraison de Soif ! est disponible. Pour celles et ceux qui découvriraient cette nouvelle revue, la chronique de son précédent numéro est disponible ici. Rappelons simplement que le principe est de donner accès à la recherche en train de se faire en alliant un chercheur et un dessinateur. Chaque reportage commence par une accroche qui met en avant le thème traité. Après la présentation du chercheur, c’est au tour de la bande dessinée complété par des bulles qui apportent des précisions. A la fin, d’autres informations complètent et prolongent le thème. Elle garde ce qui forme son ADN à savoir une approche qui conjugue l’angle sociologique, médical ou encore historique. Cette fois, la revue avance un thème fédérateur unique : agir avec les enfants pour leur bien-être. Comme pour le précédent numéro, et pour plus de facilité dans sa découverte, je propose un regroupement des différents reportages mais l’important est vraiment de se laisser porter par ses envies et ses découvertes.
Du côté de l’école
Un premier reportage se demande si les enfants peuvent philosopher. Il n’y a pas d’âge pour se poser des questions et on découvre le travail mené dans une médiathèque avec des enfants. Il s’agit d’une philosophie vivante, ouverte sur aujourd’hui et qui n’hésite pas à jouer le jeu de la comparaison en convoquant, par exemple, Harry Potter. Les histoires jouent un rôle essentiel pour penser le monde et les ateliers expliqués ici sont aussi un lieu qui permet aux enfants d’accepter l’incertitude. Il est question ensuite d’empathie à l’école. Celle-ci repose sur quatre principes expliqués dont le fait qu’il est essentiel d’inverser parfois les rôles pour partager les ressentis. On trouve aussi très concrètement le récit d’un scénario pédagogique appelé « la visite au musée » et qui entre dans ce cadre de l’empathie.
Violence et maladie
On change d’ambiance ensuite avec les travaux de Bérengère Taxil qui s’intéresse à la question des violences sexuelles et des conflits armés. Avec la bande dessinée, on apprend davantage sur le combat du docteur Denis Mukwege. Depuis 1999, il a opéré plus de 40 000 femmes victimes de viols pendant des conflits. On comprend surtout que le processus de reconstruction n’est pas que physique mais aussi psychologique. Le terme d’ « enfants serpents » désigne ces enfants nés du viol et rejetés de tous.
« Vivre avec le syndrome de Turner » nous explique ce qu’ est cette maladie chromosomique rare qui se traduit généralement par une petite taille. Elle touche près de 10 000 femmes en France et parmi les autres conséquences la bande dessinée revient sur la difficulté à gérer les émotions. On suit également Mickaël Dinomanis et ses travaux sur la paralysie cérébrale chez l’enfant. Cela représente 1500 cas chaque année. La bande dessinée rappelle les travaux pionniers de Margaret Kennard sur la plasticité cérébrale. On aurait tendance à penser qu’un enfant récupère mieux en cas de problème. Or, ce n’est pas forcément le cas, car la période de maturation du cerveau chez l’enfant est aussi une période de grande fragilité.
La construction du bébé
Avec Géraldine Gascoin, la revue s’intéresse aux 1000 premiers jours d’une vie. Le reportage insiste sur l’importance de la grossesse que l’on peut voir notamment à travers une étude sur l’impact d’un stress prénatal pour un enfant. On apprend aussi quelques chiffres étonnants. Dans les premiers mois de sa vie, un bébé grandit de deux centimètres par mois et la taille de son cerveau est multipliée par cinq. Les connexions neuronales s’établissent à la fréquence de 200 000 par minute.
« Littérature jeunesse et catastrophisme écologique » : à travers cette entrée, c’est l’occasion de se poser la question de savoir s’il faut faire peur aux enfants concernant l’avenir de la planète. L’article rappelle qu’il n’existe pas de littérature jeunesse en tant que telle avant le XVIIIème siècle. Il précise aussi qu’aujourd’hui il s’agit d’un secteur essentiel qui représente 13 % du marché éditorial français et qui continue de croitre.
Fanny Thomas se demande elle ce que cachent les étiquettes des produits pour bébés. Elle nous aide à décoder les stratagèmes des publicitaires, ce qui est fondamental quand on sait que le consommateur moyen ne se décide entre des produits identiques qu’en quelques secondes. L’image affichée sur le paquet correspond rarement au contenu réel. Fanny Thomas a montré par exemple que les images de fruits de petites tailles, contrairement aux grandes images de fruits, font percevoir le produit de « meilleure qualité et plus honnête ».
La construction de l’enfant et de l’adolescent
A l’heure du numérique la question du rapport des enfants avec les photos de famille mérite d’être posée. En effet, les enfants d’aujourd’hui entretiennent forcément un rapport différent avec elles. L’interrogation est aussi de se demander, quand l’enfant devient photographe, quel regard il porte sur la famille. On s’aperçoit qu’avant les gens posaient pour la photographie ce qui donnait des clichés stricts. Les critères ont changé car aujourd’hui la photo réussie est la photo prise sur le vif. On peut aussi en savoir plus sur les familles en observant les photos actuelles et notamment les recompositions familiales. Un terme aussi s’impose : l’ « extimité » c’est-à-dire ce qui est rendu visible dans l’espace public. C’est un temps d’expérience et d’apprentissage. Laurence Moisy s’intéresse à l’expérience du camping pour voir si ce type de vacances est l’occasion de développer des aptitudes et des connaissances particulières.
Ecouter l’enfant
Un article est consacré à la Convention nationale des droits de l’enfant qui a aujourd’hui trente ans. On découvre plusieurs cas d’enfants et d’adolescents dans plusieurs pays, en ne réduisant pas le sujet à Greta Thunberg. David Niget s’intéresse, lui, aux femmes oubliées de l’histoire. En l’occurrence il se focalise précisément sur celles qui sont affublées du terme de « mauvaises filles ». Amélie Elie, dite Casque d’Or, est un exemple de ces Apaches qui terrorisèrent Paris vers 1900. Elle fut placée dans un couvent de bonnes sœurs pour être rééduquée. La dernière entrée de ce numéro est consacrée à la question du mode de garde des enfants. 400 000 adolescents de moins de 18 ans sont en garde alternée et la bande dessinée donne à voir à quoi peut ressembler leur quotidien.
Ce nouveau numéro de cette toute jeune revue confirme l’impression qu’on en avait eu lors de sa découverte. Exigente et ludique, Soif ! creuse un sillon qui démontre que l’on peut offrir de la culture de façon intelligente et surtout de la curiosité. Le prochain numéro de la revue sera notamment consacré à la question de la colonisation, de la décolonisation et des mémoires. Il proposera aussi une rencontre avec Lilian Thuram et entre autres un reportage sur le cirque et ses artistes.
Jean-Pierre Costille