Il n’a fallu que cinq jours à l’application chatGPT pour atteindre le million de comptes créés là où Facebook avait mis dix mois. Face à une telle accélération, on peut éprouver le besoin de mettre pause et de prendre le temps de réfléchir à ce qui est en train de se passer.
Une histoire critique de la raison artificielle
L’expression « intelligence artificielle » doit être interrogée pour mieux la saisir. L’auteur en propose une histoire éclairée par une mise en perspective qui s’intéresse à ses origines mais aussi grâce à des éléments philosophiques. En dix-sept chapitres, Vivien Garcia plaide pour prendre un peu de recul sur cette question qui agite l’actualité. L’ouvrage comprend un glossaire et une biographie de quelques figures importantes de l’IA.
L’auteur et son projet
Vivien Garcia est philosophe, spécialiste des enjeux liés aux nouvelles technologies et des questions éthiques et politiques. Il enseigne à la faculté de Médecine de l’Université de Lorraine. « Le mépris des objets techniques, qui ne considère ces derniers que pour leur utilité, de même que leur culte, qui veut en faire un double formidable de l’humanité, livrent selon Simondon deux figures d’une même aliénation : elles tiennent l’être humain dans un éloignement des machines, y compris lorsqu’elles les veulent présentes partout. »
L’IA entre science et spectacle
L’auteur s’appuie sur l’histoire et notamment sur celle des automates au XVIIIe siècle. Il explique aussi ce qu’est le test de Turing. Si on discute avec une machine et qu’on ne s’en aperçoit pas, on dit alors qu’elle a passé le test de Turing. Certains en concluent alors que la machine pense.
De la cybernétique à l’intelligence artificielle
L’héritage de la cybernétique est incontestable mais il y a une différence fondamentale avec l’IA. Cette dernière aspire à faire faire aux machines ce qui n’est encore réservé qu’aux êtres humains. Deux voies différentes ont été empruntées par l’intelligence artificielle : la voie connexionniste et la voie symbolique. C’est aujourd’hui la première citée qui domine. Si l’IA connexionniste fait du cerveau une machine, l’IA symbolique en fait tout autant de l’esprit. Les approches diffèrent mais finissent par se recouper.
L’IA et ses financements
Lorsque l’IA voit le jour, la voie symbolique et la voie connexionniste paraissent également prometteuses. Leurs réalisations sont effectives bien que modestes. L’auteur rappelle que l’IA a connu des épisodes de gel où les crédits n’alimentaient plus la recherche. Cela a d’ailleurs eu des conséquences : certains ont changé d’employeur. A la fin des années 80, certaines entreprises bannissent l’expression d’IA et se présentent plutôt comme des fournisseurs de solutions.
Les données ne sont pas données
Les bases théoriques de l’IA aujourd’hui en vue sont déjà là dans les années 80. Parmi les questions à résoudre, il y a alors notamment celle de la puissance de calcul des ordinateurs. Cependant la quantité ne suffit pas. Les données doivent avoir certaines qualités. Sans cela, la machine apprend des erreurs. Les données ne sont jamais données, elles sont le fruit de différentes normes et médiations techniques, sociales et culturelles plus ou moins conscientes et affirmées.
L’IA est-elle neutre ?
L’auteur évoque la question des biais algorithmiques. Ils peuvent avoir été introduits, plus ou moins consciemment, par les personnes ayant contribué à la création d’un programme. Le problème n’est pas seulement d’atténuer des biais mais de déterminer comment et en quel sens. L’auteur souligne aussi d’autres dimensions. Ainsi, il faut tenir compte de « la matérialité du monde que portent nos mots et la manière dont nous nous y engageons en particulier corporellement. « Car si les systèmes d’intelligence artificielle ne peuvent com-prendre le monde, c’est bien parce que, contrairement aux perroquets, ils s’efforcent de le posséder sans jamais être possédé par lui ».
En conclusion, Vivien Garcia souligne que l’informatique de masse a pris son envol en dissimulant toujours plus sa dimension technique aux yeux de ses utilisatrices et utilisateurs qu’elle nomme finaux. Quelle raison y aurait-il pour que les systèmes d’intelligence artificielle n’en fassent pas de même ? L’aspect de l’IA qui se diffuse aujourd’hui le plus est celui qui, depuis son émergence, s’est révélé le plus stable : son grand récit. Tout futur possible ne serait imaginable qu’à partir de lui. Vivien Garcia conclute en appelant à utiliser d’autres intelligences que la seule IA.